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25 avril 2017 / Julie Lallouët-Geffroy (Reporterre)Jusqu’au 2 mai, une consultation publique ouverte à tous, citoyens et agriculteurs, doit préparer la réforme de la politique agricole commune (PAC), prévue en 2020. Née en 1962, la PAC est un des piliers de la construction européenne. Décriée, elle est également méconnue. Reporterre vous aide à y voir plus clair, pour que vous puissiez donner votre avis.
La PAC, ou politique agricole commune. Cet acronyme bien connu des agriculteurs l’est moins du citoyen lambda. Pourtant, elle est au cœur du fonctionnement de notre agriculture et son influence sur la qualité de ce que nous mangeons et sur le type d’agriculture. Fait rare, la Commission européenne a demandé aux Européens leur avis à son sujet : agriculteurs ou non, nous sommes invités à participer à la définition des objectifs de la PAC, qui sera réformée en 2020. Cette consultation, accessible à tous et ouverte jusqu’au 2 mai, alimentera la Commission européenne pour établir un bilan de la PAC 2014-2020 et pour formuler des propositions pour la PAC post-2020.
Preuve que le sujet est sensible politiquement, la FNSEA (la Fédération nationale des exploitants agricoles) a lancé en mars une campagne de réponse à la consultation. Selon le site d’information Euractiv, le syndicat agricole français majoritaire aurait diffusé à ses antennes locales un guide appelant son réseau à inonder la Commission et à ainsi submerger les réponses de la société civile afin que la prochaine PAC ne contrevienne pas aux intérêts de certains agriculteurs.
Alors, pourquoi la PAC inquiète-t-elle autant les syndicats agricoles ? Et qu’est-ce que c’est, au fait ? Avant de participer à la consultation, Reporterre vous propose un rappel.
Au moment de la création de l’Union européenne, un de ses premiers objectifs était de garantir l’autonomie alimentaire de l’Union en augmentant sa production et sa compétitivité et en misant sur l’exportation. Les mesures votées en 1957 avec le traité de Rome et entrées en application en 1962, ont constitué les fondements de la politique agricole commune, qui s’appuie sur deux piliers.
Le premier, de loin le plus important, a cinq objectifs toujours en vigueur :
Le second pilier est arrivé dans les discussions européennes en 1999 et mis en application en 2003. Il est dédié au « développement rural ». Il vise à inverser la tendance à l’appauvrissement des campagnes en promouvant de nouvelles pratiques sous le signe de la qualité. C’est de ce pilier que dépendent les aides aux mesures environnementales et au bio.
Dans les années 1970, la politique agricole commune représentait le premier poste de dépenses de l’Union européenne avec 70 % du budget total. Elle en représente aujourd’hui environ 40 %. En 2014, sur les 54,5 milliards d’euros de la PAC — pour un budget européen total de 134 milliards —, 41,5 milliards d’euros étaient destinés à la gestion des marchés et à la stabilisation des prix au titre du premier pilier de la PAC et seulement 13 milliards au second pilier, dédié au développement rural. Avec 16,6 % du budget agricole, la France en est le premier bénéficiaire, avec 9,1 milliards d’euros par an, pour la période 2014-2020. Puis viennent l’Espagne (12 % du budget global), l’Allemagne (11 %), l’Italie (10,4 %), la Pologne (9 %). En 2014, la France a consacré plus de 8 milliards d’euros en aides directes à la production (premier pilier) et 800 millions pour le développement rural (le second).
La création de la politique agricole commune a résulté de la décision politique d’assurer la souveraineté alimentaire du continent. Le choix alors fait a été d’investir dans la mécanisation pour améliorer la productivité. En parallèle, la préférence communautaire était mise en place : droits de douane et prix minimum garantis pour les agriculteurs communautaires. Avec ces investissements massifs, l’autonomie alimentaire a été atteinte à la fin des années 1970.
Dans les années 1980, l’Europe produisait plus qu’elle ne consommait. Les quotas laitiers sont mis en place en 1984, un plafond de production céréalière en 1987 et l’accent est mis sur les exportations, subventionnées par des prix garantis.
Un tournant s’amorce avec la réforme de la PAC de 1992, préoccupée en premier lieu par le marché mondial. Pour enrayer la surproduction, les agriculteurs européens sont incités à produire moins. Les prix garantis sont réduits et compensés par des aides directes aux agriculteurs. Le budget agricole européen passe ainsi de 70 à 40 %.
La mainmise qu’avait l’Europe sur son marché agricole s’estompe. Les aides financières aux diverses productions agricoles s’orientent désormais vers les producteurs. Les crises sanitaires, comme celle de la vache folle, commencent à inscrire dans la PAC l’exigence d’un meilleur respect de l’environnement.
2003 marque l’achèvement de la réforme commencée dans les années 1990 avec le versement des aides directes aux agriculteurs : elles ne dépendent dorénavant plus du volume de production, mais du nombre d’hectares cultivés. Ainsi, les « gros » propriétaires, comme les céréaliers, vont bien plus en bénéficier que les « petits », comme les éleveurs de montagne. Les aides deviennent de plus en plus conditionnées à de bonnes pratiques, essentiellement liées à la qualité de la production. Les quotas laitiers ont disparu en avril 2015 exposant la production européenne au marché mondial, avec ses aléas, ses fluctuations et ses crises.
En 2013, la réforme de la PAC prévoit son verdissement. Depuis, 30 % des aides directes sont conditionnées par des pratiques environnementales : diversification des cultures et maintien de prairies permanentes. Une partie des syndicats juge ce verdissement trop pâlot et l’autre, trop contraignant. La réforme de 2013 modifie également les aides du second pilier, comme la conversion en bio, le soutien aux organisations de producteurs, la mise en place de labels de qualité ou la constitution d’une réserve financière en cas de crise agricole. Par ailleurs, sept catégories d’aides peuvent relever à la fois de l’enveloppe du premier pilier et du second pilier.
Le contexte agricole mondial a également beaucoup changé : les terres arables se vendent dorénavant à prix d’or, les fermes-usines ont fait leur apparition, les crises alimentaires se mondialisent, comme en 2008. Et les acteurs de l’agriculture sont devenus colossaux, comme le géant Monsanto racheté par Bayer ou l’agro-industriel français Avril-Sofiprotéol.
Source : Julie Lallouët-Geffroy pour Reporterre