La viande cellulaire n’est pas si écolo

La viande cellulaire consomme plus que les élevages, quels qu’ils soient. - © Juan Mendez/Reporterre
La viande cellulaire consomme plus que les élevages, quels qu’ils soient. - © Juan Mendez/Reporterre
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Alimentation SciencesPlusieurs défis écologiques attendent la viande cellulaire : elle nécessiterait moins de terres, mais plus d’énergie que l’élevage. Cette innovation émet aussi des gaz à effet de serre. [2/3]
Vous lisez l’enquête « La viande cellulaire, une fausse bonne idée pour le climat ». La suite est ici.
Le développement d’une nouvelle technologie repose sur l’ampleur de ses promesses. Celles de la viande cellulaire égrainent les faillites de l’élevage industriel.
« Cette innovation répond à la fois au problème du bien-être animal en évitant la maltraitance et la mort d’animaux. Mais aussi aux enjeux environnementaux, alors que l’élevage est une des principales sources d’émissions de gaz à effet de serre. Et enfin aux enjeux sanitaires car, sans antibiotique, elle ne concourt pas à l’antibiorésistance », liste, méthodique, Nicolas Bureau, cofondateur d’Agriculture cellulaire France, une organisation de promotion de cette technologie.
Des émissions de gaz à effet de serre
Éviter l’abattage est probablement l’argument le plus indéniable. Les entreprises du secteur cherchent à sortir au maximum les animaux du processus industriel. Le sérum fœtal prélevé sur des vaches gestantes qui servait initialement de milieu de culture est aujourd’hui remplacé par un substrat artificiel avec des composés d’origine végétale.
Et certains industriels cherchent même à s’affranchir totalement de la vie animale, explique à Reporterre Gilles Candotti, conseiller de Mosa Meat, une entreprise hollandaise de production de viande cellulaire de bœuf : « Mosa Meat utilise la biopsie qui est bénigne pour les animaux prélevés. Aux États-Unis, des projets travaillent à créer des lignées immortelles grâce au génie génétique, des OGM donc, pour ne plus utiliser d’animaux. »

Concernant les promesses environnementales en revanche, le bilan se complique. Les derniers rapports (2019 et 2022) du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) notent que si une première étude en 2011 était très optimiste sur le bilan d’émission de gaz à effet de serre de la viande in vitro, la littérature scientifique est depuis beaucoup plus nuancée. D’autant que l’évaluation repose sur des hypothèses, puisque la production de viande in vitro à l’échelle industrielle n’existe pas. Les experts du climat estiment aujourd’hui que la viande cellulaire ne ferait pas mieux que l’élevage de poulets en termes d’émissions.
En 2020, un récapitulatif publié dans Nature, cité dans le rapport du Giec de 2019, est encore plus critique en montrant qu’en matière d’émissions, la viande cellulaire fait mieux que le bœuf, mais moins bien que le poulet et le porc. Deux scientifiques de l’université d’Oxford estiment même, dans une étude de 2019, que la production de viande cellulaire émet plus que celle de bœuf.
En effet, le bilan désastreux de l’élevage bovin est en particulier lié aux émissions de méthane, qui ont un pouvoir de réchauffement plus de vingt fois supérieur au dioxyde de carbone. Mais à la différence de ce dernier, le méthane reste beaucoup moins longtemps dans l’atmosphère. Or la viande cellulaire requiert beaucoup d’énergie pour sa fabrication, ce qui engendre des émissions de carbone conséquentes.
Maintenir la température à 37 °C
Sans conteste, l’énergie est le fardeau écologique de la viande in vitro. L’étude de Nature montre qu’elle consomme plus que les élevages, quels qu’ils soient. Multiplier artificiellement des cellules demande beaucoup d’énergie, en particulier pour maintenir la température des cuves de culture à 37 °C. Ce à quoi il faut ajouter l’énergie nécessaire au cycle de vie industriel, de la production du milieu de culture à la stérilisation des cuves entre chaque production. Toute la question pour les industriels repose donc sur les sources d’énergie. Quitte à afficher des énergies 100 % renouvelables pour des bilans plus verts.
La consommation d’eau et de terres par l’élevage rentre aussi dans l’équation des atouts de la viande cellulaire. « Mais ces calculs ne distinguent pas les différents types d’élevage et ne tiennent pas compte des services rendus par le pâturage des prairies par exemple », pointe Jean-François Hocquette, directeur d’une unité sur les herbivores à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Des arguments étudiés en 2022 par la société de conseil Alcimed, qui relativise aussi les bilans très avantageux dressés par les tenants de la viande cellulaire.

Rayer l’élevage de la carte libère nécessairement beaucoup de terres. Pour autant, « parmi les 2,5 milliards d’hectares de terres agricoles mobilisées pour l’élevage et la production d’aliments pour bétail à l’heure actuelle, 1,3 milliard sont des terres non arables, qui ne pourraient donc pas être réallouées à des cultures destinées à l’alimentation humaine », pointe la société pourtant promotrice des biotechs.
Sur l’eau, le gain n’est pas tranché. La fabrication de viande in vitro nécessiterait entre 400 et 500 litres d’eau par kilogramme, contre 550 à 700 litres pour de la viande de bœuf issue de l’élevage. Autre risque environnemental, le milieu de culture des cellules. Quid des milliers de litres de ce milieu de culture enrichi avec différents facteurs de croissance ? Toutes évaluations confondues, un consensus ressort pourtant : parmi les différentes sources de protéines, le meilleur bilan écologique revient toujours aux protéines végétales.
Nestlé, Cargill et Bell Food
La liste des incertitudes fragilise donc l’argumentaire des industriels, d’autant plus lorsqu’ils promettent de créer des milliers de tonnes de viande à partir d’une cellule pour nourrir le monde. Philip H. Howard, spécialiste des systèmes alimentaires durables l’université du Michigan, aux États-Unis, les a pourtant pris au sérieux.
Dans une étude publiée dans Nature Food en octobre dernier, le scientifique a conclu que la viande in vitro ne résoudra rien, au contraire, puisque le principal problème de la faim dans le monde est l’accès à l’alimentation. L’industrie de la viande cellulaire devrait réduire encore le nombre d’acteurs agroalimentaires. Or qui dit concentration du marché dit, potentiellement, hausse des prix et fragilisation de l’accès à la nourriture.

« Les entreprises d’agriculture cellulaire sont de plus en plus contrôlées par les mêmes firmes qui dominent la transformation industrielle de la viande, du poisson et des aliments pour animaux », pointe Philip H. Howard.
Dans son organigramme des groupes agroalimentaires et agro-industriels qui ont des liens avec des entreprises de la viande cellulaire se trouvent Nestlé, Cargill et Bell Food. Ou encore des industriels de la viande. Le chercheur étasunien explique comment secret industriel et brevets sont le moteur d’une concentration industrielle. Autre argument de la vulnérabilité du système alimentaire : « Les chaînes d’approvisionnement continueront de dépendre de matières premières monoculturales intensives. »
« Une des craintes, avec cette innovation, est le risque que le premier à maîtriser la technologie remporte tout le marché. Mais ce n’est pas propre à cette production, rappelons qu’aux États-Unis quatre entreprises se partagent 53 % des parts de marché de la transformation de viande et plus de 80 % pour le conditionnement du bœuf », observe Nicolas Treich, économiste à l’Inrae et conseiller d’Agriculture cellulaire France, qui promeut l’investissement de la France dans cette technologie.
Philip H. Howard propose une autre perspective : « La plupart des avantages de l’agriculture cellulaire pourraient plutôt être obtenus en augmentant le soutien à des stratégies moins centralisées, telles que l’agroécologie, l’augmentation de la diversité des systèmes alimentaires et une plus grande autonomie. »