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Laurent Wauquiez, le démagogue autoritaire qui déteste l’écologie

À 41 ans, Laurent Wauquiez cumule les rôles de numéro 2 de Les Républicains et de président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, dont il fait un laboratoire très droitier de ses ambitions. Pourfendeur autoritaire des « contraintes écologiques », il s’attaque aux associations, notamment paysannes, et soutient des projets destructeurs de la nature, comme l’autoroute A45 ou le Center Parcs de Roybon.

Oui aux autoroutes, non aux parcs naturels : c’est une assemblée plénière somme toute ordinaire qu’a connue le conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes (ARA), jeudi 7 juillet à Lyon. En abandonnant le projet de parc naturel régional (PNR) des sources et gorges de l’Allier en même temps qu’il augmentait le financement du projet d’autoroute A45 Lyon-Saint-Étienne, Laurent Wauquiez (Les Républicains) continue dans la droite ligne de ces tous premiers mois à la tête de la région.

Quelques semaines après son élection, il avait déjà remis en cause un autre projet de PNR, celui de la Dombes dans l’Ain [1] Avec neuf parcs déjà existants, la région est la mieux dotée de France : une aubaine pour celui qui pourfend à tout-va les « contraintes écologiques »… Quant au projet d’A45, le nouveau président de la région avait pris de vitesse tous les élus, et jusque dans sa propre majorité, en annonçant un financement de 100 millions d’euros [2]. Mais rien n’avait été voté : il a donc décidé d’y ajouter quelques deniers publics en votant finalement hier une subvention de 132 millions d’euros…

Que Laurent Wauquiez ne soit pas un grand défenseur de la nature n’a rien de vraiment nouveau : aux élections régionales de décembre, le numéro 2 de Les Républicains s’était fait élire en faisant campagne contre les « ayatollahs écologistes » dans des lettres envoyées aux agriculteurs et aux chasseurs [3]. « Mais on ne pensait pas que cela serait aussi grave, aussi vite », dit un militant d’Alternatiba Lyon.

« La montagne ne se résume pas à la saison d’hiver et à ses lobbys industriels » 

Aux parcs naturels, Laurent Wauquiez préfère ainsi les Center Parcs et notamment celui de Roybon, pour lequel il a fait voter une subvention de 4,7 millions d’euros le 14 avril dernier [4]. Une vision de la nature qui s’est également manifestée au travers du « plan montagne », révélé en mai, pour lequel la région prévoit 10 millions d’euros, dès 2016, afin de favoriser la neige de culture.

Un canon à neige. Le plan montagne de Laurent Wauquiez prévoit 10 millions d’euros, dès 2016, afin de favoriser la neige de culture.

Une hérésie pour Pierre Mériaux, adjoint au tourisme et à la montagne à la mairie de Grenoble : « C’est voir la montagne par le plus petit bout de la lorgnette que de la résumer aux canons à neige. Non seulement la montagne est une sentinelle avancée du changement climatique, et l’industrie du ski y contribue, mais elle en est une des premières victimes. Consommer autant d’argent public pour faire de la neige artificielle sur une fenêtre raccourcie est une ineptie. La montagne ne se résume pas à la saison d’hiver et à ses lobbys industriels. »

En plus des autoroutes, la nouvelle majorité soutient d’autres projets d’infrastructures de transport dans la région. Si elle se montre encore silencieuse sur la question du Lyon-Turin, elle a d’ores et déjà annoncé faire de la gare d’Allan, une « priorité ». Une bétonnisation de plusieurs dizaines d’hectares de terres agricoles, sorte de « réplique locale » de Notre-Dame-des-Landes, comme l’écrivait Corinne Morel-Darleux [5].

« Une mise sous tutelle de la politique agricole de la région par la FNSEA » 

En à peine six mois aux manettes de la région ARA, la collection des atteintes à l’environnement se trouve donc bien garnie. Un travail de sape se poursuit par ailleurs : la déconstruction du tissu associatif écologiste. Depuis la prise de fonction de Laurent Wauquiez, nombre d’ONG voient leurs subventions drastiquement réduites, quand elles ne sont pas entièrement supprimées, comme cela semble être le destin de Mountain Wilderness, une association environnementale en charge de la sauvegarde de la montagne.

Parmi les premières visées, les associations travaillant sur l’agriculture. Mais pas n’importe lesquelles : « uniquement celles travaillant sur l’agriculture durable et paysanne », note Paul Chataignon, président de l’Ardear (l’association pour le développement de l’emploi agricole et rural), pour qui l’explication est limpide : « Le nouveau conseil régional compte huit membres, ou anciens, de la FNSEA [Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles]. Ils règlent donc leurs comptes. Il y a aujourd’hui une mise sous tutelle de la politique agricole de la région par la FNSEA, pour qui la région était le maillon important qui lui manquait. » Les conséquences ne se sont pas fait attendre : l’Ardear doit perdre 41.000 euros sur l’année 2016. « Elle est de surcroît obligée de travailler avec les chambres d’agriculture, qui sont aussi aux mains de la FNSEA », ajoute Paul Chataignon. Pour une association qui travaille à accompagner les paysans dans leur autonomie et à aider les «  hors-cadres familiaux » à s’installer, autrement dit à éviter le circuit traditionnel des chambres d’agriculture, la pilule est amère.

Par ailleurs, Terre de liens, qui aide les paysans à l’acquisition du foncier, devrait perdre 50 % de ses subventions régionales. Pour le réseau des Amap, fort de 225 associations dans la région, on parle de 35 %. Toutes ces structures ont regroupé leur force, avec d’autres, dans le réseau Inpact (Initiatives pour une agriculture citoyenne et territoriale), qui a lancé une pétition pour défendre le maintien « de la diversité des structures d’accompagnement agricole ». Mais on ne défie pas ainsi publiquement Laurent Wauquiez : les signataires ont été punis d’une entaille supplémentaire à leur porte-monnaie. « On nous a expliqué qu’on nous enlevait 6.000 euros supplémentaires parce qu’on s’était rebiffés, rapporte Paul Chataignon. Ce sont des gens qui travaillent à la hussarde, ils ne font pas dans le détail. »

À la merci de son pouvoir discrétionnaire 

Les conséquences sont sévères : « Il y a un plan social en cours à la Frapna » [Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature], dit Éric Feraille, président de l’association. Car la Frapna voit sa commande publique passer de 750.000 euros par an à moins de 400.000. Conséquences pour cette structure, qui emploie actuellement plus d’une centaine de salariés ? « 20% de notre masse salariée est amené à disparaître en 2016, sans préjuger de 2017, où la tendance risque fort de se poursuivre », commente le responsable, qui dénonce une « volonté de destruction en règle des associations qui agissent en matière d’environnement ».

Le phénomène touche en réalité l’ensemble de la vie sociale : structures d’accompagnement social, projets artistiques ou institutions culturelles sont tous victimes de coupes budgétaires, présentées comme les nécessaires économies d’une institution que Laurent Wauquiez entend mettre « à la diète ». Des métiers du cirque jusqu’au Planning familial, ils sont nombreux à se retrouver aujourd’hui dans le viseur du président de région, à la merci de son pouvoir discrétionnaire.

Laurent Wauquiez, Henri Guaino et Nicolas Sarkozy pendant la soirée électorale du second tour des élections départementales du 29 mars 2015, à Paris.

L’homme se montre nettement moins avare dans d’autres circonstances : l’UNI, syndicat étudiant marqué très à droite, a lui reçu une enveloppe de 50.000 euros. Et si les théâtres de quartiers se trouvent aujourd’hui mis en danger, le festival Jazz à Vienne voit sa subvention doubler, à 150.000 euros. Un événement dont le président, Thierry Kovacs, n’est autre que le maire de Vienne et… le président du parti Les Républicains en Isère.

« Comme souvent, le fond et la forme se rejoignent » 

Maire du Puy-en-Velay pendant près de 8 ans (entre 2008 et 2016), Laurent Wauquiez n’oublie pas de servir ses anciens amis avec une subvention de 300.000 euros pour « la mise en lumière » de la ville : histoire peut-être de concurrencer la célèbre fête des lumières lyonnaise et « sa débauche de dépenses en kilowatts et argent public », ironisait Siné Mensuel, le mois dernier.

Un clientélisme qui semble avoir atteint son comble avec le scandale de la maison d’Izieu : menacé d’une perte de financement de 40.000 euros, ce lieu de mémoire dédié aux enfants juifs raflés et exterminés dans l’Ain a pu négocier une diminution de « seulement » 20.000 euros. Soit exactement la somme qui a été allouée à la commune du Chambon-sur-Lignon, autre lieu de la Résistance, dont la maire n’est autre que… la mère de Laurent Wauquiez, Éliane Wauquiez-Motte.

Mémorial des enfants d’Izieu, à Belley, dans l’Ain.

« Comme souvent, le fond et la forme se rejoignent », dit Frédi Meignan, président de Mountain Wilderness France. C’est par des bruits de couloir qu’il a appris que tous ses dossiers de subvention avaient été purement et simplement retirés des ordres du jour des commissions. Autrement dit, il n’a jamais été averti que l’association risquait de perdre 100 % de ses subventions de projet, soit 20.000 euros par an en moyenne depuis plus d’une dizaine d’année. « C’est fréquent qu’il y ait des désaccords avec des collectivités, mais on essaye toujours de dialoguer et de réfléchir ensemble. Là, tout semble complètement fermé. C’est d’une brutalité inouïe », raconte Frédi Meignan.

« Nous avons sollicité plusieurs rendez-vous, mais nous n’avons jamais été reçus. Nous n’avons aucune information directement », confirme de son côté une responsable d’association dans le logement social. « Qu’il y ait des choix politiques, certes, mais là, il s’agit de stopper de manière unilatérale, sans aucune négociation, une convention triennale qui courait encore sur deux ans », témoigne Daniel More, président de Terre de liens Rhône-Alpes.

Un « malin malhonnête »

Ce mauvais traitement n’est toutefois pas réservé aux associations. Au sein même de l’institution, les voix se lèvent pour raconter la violence des rapports avec le nouveau président de région. Une tension qui a culminé lors de l’adoption du premier budget régional, en avril : à cette occasion, fait semble-t-il inédit, la majorité des élus de l’opposition, gauche et Front national réunis, a déserté l’hémicycle pour protester contre l’absence d’informations fournies aux élus dans la préparation du vote. Le signe d’une « dérive autocratique », proclamait Jean-François Debat, conseiller régional et leader du groupe socialiste à la région, tandis que le Front national allait jusqu’à « regretter » le prédécesseur socialiste de Laurent Wauquiez, Jean-Jack Queyranne : « Malgré nos désaccords, il était toujours cordial et laissait tous les groupes d’opposition s’exprimer lors des assemblées plénières. »

Un comportement absolutiste, parfois jusqu’aux dépens de sa propre majorité : les 100 millions d’euros annoncés pour l’A45 ? Son camp l’aurait découvert en même temps que les autres, dans la presse. C’est que le projet d’autoroute serait loin de faire l’unanimité, même à droite : « Wauquiez est un “malin malhonnête”. Il est passé en force car il n’était pas assuré du soutien de ses propres amis. Chez Les Républicains, de nombreux élus locaux et certains députés ne sont pas d’accord avec l’A45, mais il n’y a pas eu de débat. Il y a un manque total de communication et de franchise », rapporte Maurice Fisch, grand opposant au projet [6].

Éric Woerth et Laurent Wauquiez sur un chantier, en juin 2010.

L’arrêt du parc naturel dans l’Allier ? Même décision unilatérale, sans concertation avec les acteurs locaux engagés dans le projet depuis cinq ans. « Un déni de démocratie », lâche Guy Vissac, père du projet et ancien sénateur… de droite. En interne, on rapporte plusieurs cas de « dysfonctionnement » entre les vice-présidents et leur président. En off, une élue raconte comment la vice-présidente aux lycées est dessaisie de ses propres dossiers. Une autre, comment la déléguée aux politiques sociales ne peut renseigner les associations concernées, faute d’information. « Éric Fournier, le vice-président à l’environnement, a essayé de nous défendre et de maintenir notre volume d’activité, témoigne Éric Feraille, président de la Frapna. Il s’est battu mais il a perdu et depuis, il a disparu des écrans radar, il ne parle plus. La communication est verrouillée en haut-lieu. »

« C’est l’homme à l’anorak rouge, qui fait campagne en famille » 

Tellement verrouillée qu’il nous a été impossible d’obtenir un quelconque entretien avec la majorité lors de notre passage à Lyon, et ce malgré une demande effectuée plus de dix jours à l’avance. Ni avec le président, Laurent Wauquiez, ni avec l’un de ses vice-présidents dont le même service de communication gère les demandes d’interview. Pour ne pas être trop embêté par la presse, Laurent Wauquiez a d’ailleurs débauché deux pointures journalistiques locales. Frédéric Poignard, alors délégué général du club de la presse de Lyon, est devenu l’attaché de presse de Laurent Wauquiez, tandis que Geoffrey Mercier, journaliste politique au Progrès, en charge notamment des dernières élections régionales, a intégré la direction de son cabinet.

« Il fait peu de cas des contre-pouvoirs et décide tout seul, c’est la définition de l’autoritarisme », analyse Guillaume Dupeyron, directeur de cabinet à la mairie du Ier arrondissement de Lyon. « On est entre Poutine et Louis XIV, c’est le règne de l’absolutisme : le chef donne les ordres et les courtisans obéissent, compare Éric Feraille. C’est d’autant plus dangereux qu’en apparence, c’est un garçon charmant, avenant et policé, style gendre idéal. Mais derrière, c’est un requin sans foi ni loi. »

On parle directement aujourd’hui du style Wauquiez : « Ce côté mielleux, pas du tout technocrate, avec un langage clair et intelligible », souligne Corinne Morel-Darleux, conseillère régionale d’opposition du rassemblement de la gauche et des écologistes. Celui qui est sorti cacique en histoire à l’École normale supérieure soigne son image de « moderne » et maîtrise parfaitement sa communication. « C’est l’homme à l’anorak rouge, qui fait campagne en famille, avec un côté à la fois dynamique et ouvert. Il paraît beaucoup plus sympathique que ne l’était Queyranne, qui est un homme froid », poursuit Nicole Benayoun, cosecrétaire du Parti de gauche dans le Rhône.

« La région est une rampe de lancement » 

Un jeu de dupes qu’il assoit sur une politique démagogique : « Ce sont des effets d’annonce permanents : il a fait toute sa campagne sur la baisse des impôts alors que la région n’en lève quasiment aucun… L’essentiel de son budget, c’est la dotation de l’État ! » souligne Corinne Morel-Darleux. Et peu importe s’il faut rétropédaler par la suite, comme sur cette histoire des portiques de sécurité à l’entrée des lycées, annonce faite en janvier pour surfer sur le contexte post-13 novembre en France.

Laurent Wauquiez et son pardessus rouge lors de la manifestation contre le mariage pour tous du 26 mai 2013, à Paris.

Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, le président déchu de la région, Jean-Jack Queyranne, analysait les ressorts de ce qu’il qualifiait de « populisme » : discours réactionnaire et ultrasécuritaire, reprise du « tous pourris » et maquillage des économies… « Depuis son “laboratoire” d’Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez veut s’attacher à façonner un bloc de droite et de droite extrême qui aura un poids politique d’autant plus important qu’il épousera les mouvements de l’opinion et les évolutions du ressenti de la société », écrit-il.

Un « laboratoire » tant les ambitions de Laurent Wauquiez sont claires. À 41 ans, celui qui est également député, est le numéro 2 d’un parti dont il pourrait prendre la tête si Sarkozy devient le candidat de Les Républicains pour 2017.

« La région est une rampe de lancement, il s’en sert comme d’une vitrine où il expérimente sa politique ultralibérale, prévient Corinne Morel Darleux. Ce serait une erreur politique de ne pas interpréter la dimension nationale de ce qu’il se passe en Rhône-Alpes-Auvergne. » Un laboratoire des pires menaces qui guettent la France dès 2017 ? Pour l’heure, conclut Éric Feraille : « La région est aux mains des forces les plus obscurantistes et anti-écologistes de notre République. »

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