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Luttes

Le Conseil d’État suspend la dissolution des Soulèvements de la Terre

Les porte-paroles et soutiens des Soulèvements de la Terre devant le Conseil d’État, à Paris, le 8 août 2023.

Dans une décision rendue le vendredi 11 août, suite à l’audience du mardi 8 août, le Conseil d’État a suspendu la dissolution des Soulèvements de la Terre.

C’est un camouflet pour Gérald Darmanin et une victoire pour le mouvement écologiste. Vendredi 11 août, le Conseil d’État a suspendu en référé la dissolution des Soulèvements de la Terre qui avait été annoncée le 21 juin dernier par le ministre de l’Intérieur.

Les avocats des Soulèvements, Raphaël Kempf et Aïnoha Pascual, avaient déposé un recours devant la plus haute juridiction administrative en France le 26 juillet dernier. « C’est un rappel du fait que l’on ne peut pas dissoudre à tour de bras et que la protection des libertés doit primer dans un État de droit », a déclaré à Reporterre Aïnoha Pascual.

Cette décision du Conseil d’État est d’abord une victoire pour les libertés publiques, comme l’avaient dénoncé les associations requérantes contre le décret. « L’atteinte qui est nécessairement portée à la liberté d’association par l’exécution d’un décret prononçant la dissolution d’une association ou d’un groupement de fait est, en principe, constitutive d’une situation d’urgence », écrivent les juges du Conseil d’État.

Ainsi Les Soulèvements, comme les 180 comités locaux de soutien, vont pouvoir continuer à se réunir et appeler à des actions. « Il est de nouveau possible de se revendiquer sans risque de l’appartenance aux Soulèvements de la Terre », assure Aïnoha Pascual.

Autre victoire sur la définition même des Soulèvements. Le gouvernement assurait qu’il s’agissait d’un groupement de fait susceptible d’être dissous sur le fondement des dispositions de l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure, plus connu sous le nom de loi Séparatisme.

« Une erreur manifeste »

« Une erreur manifeste », assuraient les associations, qui parlent des Soulèvements comme « d’un courant de pensée », en accord avec les revendications du collectif. Un conglomérat composite réunissant associations, syndicats et partis politiques, dépourvu de dirigeants et de membres identifiés, mais largement soutenu au sein de la société civile.

Près de 150 000 personnes se sont déclarées sympathisantes via une pétition et plus d’une trentaine d’associations s’étaient jointes au recours contre cette dissolution : de Greenpeace à Solidaires en passant par les Amis de la Terre.

Pour leur avocat, Sébastien Mabille, « cette décision marque un coup d’arrêt au processus de criminalisation des militants écolos. C’est aussi un camouflet pour le ministère de l’Intérieur car cela fait des mois qu’il s’investit sur ce sujet pour en arriver à un échec total. »

150 000 sympathisants

Les partis politiques de gauche s’étaient également ralliés au mouvement, notamment Europe Écologie-Les Verts et la France Insoumise.

« Le gouvernement, déjà condamné pour inaction climatique, est maintenant désavoué par la justice dans sa tentative de dissolution des SLT. Le gouvernement ferait mieux de s’attaquer au problème de raréfaction de la ressource en eau plutôt qu’aux messagers qui, eux, respectent le cadre républicain », a déclaré sur Twitter Marine Tondelier, la cheffe des Verts.

Pour Jean-Luc Mélenchon, « la macronie et “l’arc républicain” ont voulu violer la loi en interdisant une ligue d’associations citoyennes. Une idée avance en France. La légitimité de la désobéissance civique fait son chemin ».

Désarmement

La désobéissance civile a été longuement abordée durant l’audience du recours le 8 août dernier. L’État accusait les membres des Soulèvements d’appeler à des agissements violents contre les biens, notamment en appelant au désarmement.

« L’agissement violent contre infrastructures est le fonds de commerce des Soulèvements de la Terre », assurait Pascale Léglise, à la tête de la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’Intérieur, durant l’audience.

« Ils s’autorisent également des agissements violents contre les personnes », avait-elle affirmé, rappelant le nombre de gendarmes blessés à Sainte Soline. Une théorie abondamment réfutée par l’ensemble des soutiens des Soulèvements : « Si des appels à la violence avaient été proférés, les gens ne seraient pas venus avec leurs enfants en poussette », avait déclaré l’eurodéputé Benoît Biteau.

Cet argumentaire a convaincu le Conseil d’État : « Il ne résulte pas des pièces versées au dossier du juge des référés ni des éléments exposés à l’audience que ce collectif cautionne d’une quelconque façon les violences à l’encontre des personnes. » Quant aux « violences alléguées à l’égard des biens », le Conseil d’État estime qu’elles ont été en nombre « limité » et « symboliques ». « Eu égard au caractère circonscrit, à la nature et à l’importance des dommages résultant de ces atteintes, le moyen tiré de ce que les actions reprochées au collectif ne peuvent pas être qualifiées de provocation à des agissements troublant gravement l’ordre public de nature à justifier l’application des dispositions précitées du 1° de l’article 212-1 du Code de la sécurité intérieure. »

« Il a indiqué, suivant notre raisonnement, que Les Soulèvements de la Terre n’appelaient pas à des violences à l’encontre des personnes. Concernant ensuite les agissements contre les biens, le Conseil d’État vient indiquer que tout type d’atteinte aux biens n’est pas de nature à justifier une dissolution », a déclaré l’avocate Aïnoha Pascual.

« Les Soulèvements de la Terre appellent certes à de la désobéissance civile, mais les dégradations qui ont pu être constatées revêtent un caractère symbolique et sont en nombre limité, poursuit-elle. Elles ne justifient pas que soit porté atteinte à la liberté d’expression ou à la liberté de réunion et d’association. »

Au final, le Conseil d’État estime qu’il y a « un doute sérieux quant à la légalité de ce décret » et demande sa suspension.

Ce jugement est provisoire, une nouvelle audience sur le fond aura lieu, vraisemblablement à l’automne. Pourrait-elle annuler totalement le décret de dissolution ? L’avocat Sébastien Mabille se veut optimiste : « D’ici l’audience sur le fond, il faudrait que le ministère apporte davantage d’éléments pour démontrer la réalité des griefs à l’encontre des Soulèvements. Ce qui m’étonnerait car il a déjà produit 243 pages de notes blanches des services de renseignements qui n’étaient qu’un agrégat de copies d’écrans et de tweets. »

« Ce n’était pas suffisant. Il serait vraisemblable que la décision soit annulée car il est rare que le Conseil d’État suspende et ensuite confirme », analyse-t-il.

Depuis le début des mandats d’Emmanuel Macron, c’est la troisième fois que le Conseil d’État suspend une dissolution puis l’annule totalement. [1] « Jamais un président n’a autant dissout, avec une trentaine de procédures au total, rappelle Sébastien Mabille. Cette manière d’annoncer une dissolution dès lors qu’une organisation tient des propos qui peuvent déplaire est une pratique qui doit cesser. »

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