Les 4 méthodes de greenwashing qu’emploie l’industrie de la viande

La vitrine d'une boucherie au Royaume-Uni. - Unsplash / Kyle Mackie
La vitrine d'une boucherie au Royaume-Uni. - Unsplash / Kyle Mackie
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AlimentationDes chercheurs ont analysé les publications des lobbies de la viande en Grande-Bretagne. Ils révèlent les stratégies de communication et de fabrication du doute.
Trois chercheurs de la London School of Hygiene and Tropical Medicine et de l’université de Boston ont analysé les sites de six organisations [1] — dont la National Farmers Union, le principal syndicat agricole du pays — représentant les intérêts de l’industrie de la viande en Grande-Bretagne.
Les scientifiques, qui ont publié leurs résultats le mois dernier dans la revue Food Policy, ont identifié quatre stratégies utilisées pour minimiser les effets sanitaires et environnementaux de la consommation de viande rouge et transformée :
- « le débat reste ouvert »,
- « la plupart des gens n’ont pas à s’inquiéter »,
- « continuez à manger de la viande pour être en bonne santé » et
- « pas besoin de réduire sa consommation pour être écolo ».
Une des manœuvres de communication mises en lumière par l’étude est la production de doute. Une « stratégie cognitive » finement analysée par Joan Cortinas Muñoz et Daniel Benamouzig, sociologues au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po, dans Des lobbys au menu : les entreprises agro-alimentaires contre la santé publique (Raisons d’agir, 2022).

« La stratégie du doute a été inaugurée par l’industrie du tabac aux États-Unis, dit à Reporterre Joan Cortinas Muñoz. Elle consiste à fragiliser la réception des études scientifiques dont les résultats établissent une corrélation entre un produit et une pathologie, la viande rouge et l’infarctus par exemple. Cela passe notamment par le fait de critiquer la méthodologie employée pour conclure que l’étude n’est pas valable, ou de dire que les chercheurs ont des intérêts militants et que donc leurs études sont biaisées. »
Une part d’incertitude et de biais est irrémédiablement présente dans toute production de connaissance, mais les « marchands de doute » cherchent à fragiliser les consensus scientifiques. En générant des controverses et de la confusion, ils empêchent la tenue de débats publics informés et paralysent les décisions politiques au détriment de l’intérêt général.
Un exemple ? En 2020, en réaction à un rapport du Committee on Climate Change britannique affirmant qu’une réduction de 20 % de la consommation de bœuf, d’agneau et de produits laitiers est nécessaire pour que le pays puisse atteindre son objectif de zéro émission nette d’ici 2050, la NFU a publié un court livret intitulé Climate friendly farming. Celui-ci conteste la nécessité de réduire la consommation de viande, et assure que la solution réside avant tout dans l’optimisation des techniques de production, notamment par le recours à l’agriculture de précision et la modification du génome des cultures et du bétail. Des arguments à contre-courant du consensus scientifique sur le sujet.
Rééquilibrer les forces, un enjeu démocratique
Les arguments produits par ces stratégies cognitives sont ensuite diffusés dans les sphères de la décision publique, par le biais de stratégies relationnelles. « Les activités d’influence de l’industrie agro-alimentaire sont diverses et peuvent compter sur des ressources très importantes, dit Joan Cortinas Muñoz. Les débats autour de l’alimentation sont quelque part faussés. Rééquilibrer les capacités d’influence de l’industrie et des acteurs de la santé publique est un vrai enjeu démocratique. »
Les auteurs de l’étude disent s’attendre à ce que leurs observations s’appliquent également à d’autres pays — c’est ainsi ce que font en France les industriels de la charcuterie en minimisant les dangers des nitrites. lls appellent à la vigilance sur ces stratégies d’influence, dans la mesure où celles-ci peuvent « déterminer la manière dont un sujet est compris, s’il est discuté et l’attention qu’il suscite, et guider le choix des options d’action ».
Pour l’heure, en France, « la tendance est d’orienter la consommation petit à petit, dit Romain Espinosa, chercheur en économie au CNRS et auteur de Comment sauver les animaux ? Une économie de la condition animale (PUF, 2021). La loi Egalim a ainsi mis en place un repas végétarien par semaine dans les cantines scolaires. De nombreuses municipalités vont même au-delà et proposent deux ou trois repas végétariens hebdomadaires. Ça fonctionne bien, c’est peu contraignant, et finalement ça a emporté l’adhésion des parents. »