Les alternatives écolos à l’exploitation intensive de la forêt

Un artisan fabrique de la vaisselle en châtaigner avec un tour à bois low-tech, lors du Festival des scieurs et de la forêt, en Dordogne, fin septembre 2023. - © Enzo Dubesset / Reporterre
Un artisan fabrique de la vaisselle en châtaigner avec un tour à bois low-tech, lors du Festival des scieurs et de la forêt, en Dordogne, fin septembre 2023. - © Enzo Dubesset / Reporterre
Durée de lecture : 7 minutes
Pratiques sobres, sylviculture douce, bois revalorisé... En Dordogne, les acteurs de la filière bois proposent un contre-modèle à l’industrie forestière intensive.
Tursac (Dordogne), reportage
Équipés de bottes et de cirés, des curieux s’aventurent sur le « chemin du bois » pour une balade didactique. Ils sont accueilis par Anthony Cheval, le coorganisateur du Festival des scieurs et de la forêt, qui s’est tenu fin septembre à Tursac, dans le Périgord noir. Le rendez-vous se présente comme le creuset des initiatives écologiques locales en faveur de la forêt. Objectif : trouver l’interstice entre productivisme à outrance et mise sous cloche de la forêt.
« La raison d’être de ce “chemin du bois”, c’est de montrer qu’il y a plein de façons de s’occuper d’une forêt entre les deux extrêmes, que sont les grosses coupes rases et la systématisation du “Je ne touche pas” », résume Anthony Cheval, également membre de l’association Cœur de forêt, qui accompagne les propriétaires dans une gestion durable de leurs parcelles. Le parcours dans les bois s’adresse tout particulièrement à ces propriétaires privés, acteurs incontournables de toute alternative puisqu’ils possèdent 99 % de la forêt périgourdine et 75 % des forêts métropolitaines [1].
Sous la futaie de chêne, où le parcours est aménagé par l’association Au coin des scieurs, les visiteurs peuvent échanger avec des naturalistes, des scientifiques, des bucherons ou encore des gestionnaires. Autant de personnes « représentant les différentes visions qu’on peut avoir de la forêt », poursuit Anthony Cheval.

Méthodes sobres, bois revalorisé...
Après quelques pas, les visiteurs découvrent le stand de SOS Forêt Dordogne, un collectif luttant notamment contre des parcs photovoltaïques. Ils parviennent ensuite dans une salle de classe improvisée. Entre un tableau noir et des pupitres du siècle dernier, un écologue à la retraite présente l’écosystème où nous mettons les pieds et anime des débats sur la place du loup en forêt ou sur le rôle écologique du lierre.
Plus loin, à la « cabane du forestier », deux professionnels présentent les métiers du bois à l’aune de la sylviculture douce, une méthode de gestion forestière mettant l’accent sur l’équilibre de l’écosystème au détriment de la production.
« Une méthode pour une futaie irrégulière comme celle-ci, ça va être la coupe jardinatoire, explique le sylviculteur Frantz Veillé, pancartes schématiques en main. On va venir prélever l’équivalent de 15 à 20 % de la parcelle tout en maintenant un parapluie forestier sur les champignons, les sols, les zones humides, tout ce qui fait la biodiversité de la forêt. »

Contrairement à l’exploitation industrielle où sont marqués en premier les arbres à abattre, le travail du sylviculteur consiste ici à identifier en priorité les arbres à sauvegarder — notamment pour leur valeur environnementale — et à éclaircir les alentours « afin de favoriser leur développement et le renouvellement du peuplement », insiste cet ex-technicien sylvicole de l’Office national des forêts (ONF).
Parmi les autres pratiques à développer « pour des forêts vivantes », celle du débardage à cheval, soit le fait d’avoir recours à la traction animale pour apporter les arbres abattus de leur lieu de coupe jusqu’à la route.
De son côté, la scierie associative de Tursac, qui commencera réellement sa production à partir de l’année prochaine, propose une technique également sobre. Une fois le bois récupéré chez les particuliers accompagnés par l’association Cœur de forêt, les grumes sont transformées pour les besoins de la coopérative d’écoconstruction Coop&Bat, active dans le nord de la Nouvelle-Aquitaine, ou pour ceux des charpentiers « traditionnels » de l’atelier Copeaux Cabana, situé aux Eyzies, à une dizaine de kilomètres.
Même les chutes de chênes, de douglas ou de châtaigners sont valorisées et vendues aux bricoleurs et ébénistes amateurs dans un coin de la scierie aménagé en « épicerie anti-gaspi ». « Notre projet, ce n’était pas tant d’avoir un outil hyper productif qu’un lieu où on peut se rassembler, discuter avec les autres acteurs sensibilisés à la gestion durable pour monter une filière locale », dit Philippe Petrau, charpentier et coordinateur de l’association Au coin des scieurs.

Course contre l’industrie
Sur ce point, le succès est visible. Sous les barnums ou sous la canopée, les coordonnées de contact s’échangent et les réseaux se tissent au fil des rencontres. À écouter les bûcherons et autres charpentiers venus partager leurs expériences, il y a urgence à proposer un contre modèle à l’industrialisation rapide de la forêt.
À l’heure du dérèglement climatique, les forêts — un tiers du territoire métropolitain — intéressent de plus en plus, tant pour leur valorisation énergétique, en remplacement des énergies fossiles, que dans la construction, en alternative au béton.

Entre 2015 et 2021, la récolte de bois commercialisé a augmenté de 7 % atteignant près de 40 millions de m3 [2]. Derrière cette croissance se répand un modèle, celui de la monoculture de résineux et des coupes rases comme l’a révélé dans une récente enquête l’association Canopée.
Sa nocivité pour la biodiversité, la santé des sols ou le stockage du carbone est largement documentée, y compris par le très officiel Groupement d’intérêt public Ecofor [3].
« Une grosse dynamique depuis quelques années »
Pour autant, en Périgord comme ailleurs, monter une filière autonome allant du marquage des arbres à la pose de la charpente reste encore une gageure. En cause, la faible densité des professionnels formés à la sylviculture douce et le manque de productivité, lié à la lenteur et à l’absence d’économies d’échelle, qui rend les alternatives forestières rarement rentables dans le système économique actuel.
Si les scieurs peuvent compter sur une aide financière de la région Nouvelle-Aquitaine, cela reste une exception au niveau national. « Les coopératives vont recevoir des aides à l’investissement alors que nous n’avons aucune compensation pour prendre soin de la forêt et nous assurer qu’elle reste fertile. Les politiques publiques accentuent le déséquilibre en faveur du conventionnel », observe Alicia Charennat, coordinatrice au Réseau pour les alternatives forestières, dont fait partie la scierie de Tursac.

Elle place tout de même un espoir dans l’opinion publique, où elle note une évolution grâce à la médiatisation croissante des dégâts de l’industrie forestière [4]. « On a une grosse dynamique depuis quelques années. Les formations qu’on propose sont saturées, on ne peut pas répondre à la demande », dit-elle.
Un engouement qui se remarque dans les profils de non-initiés débarquant aux tables rondes du festival, comme cette jeune femme installée dans un village voisin, venue renforcer son carnet d’adresses : « Qui est-ce qu’on doit contacter quand on a quelques billes à valoriser et qu’on ne veut pas cautionner le modèle d’Alliance Forêt Bois [première coopérative forestière française] ? » Ou ce petit propriétaire qui raconte : « Chez mon voisin, la débardeuse est passée sur une zone humide. C’était Verdun ! J’ai du douglas chez moi, mais du coup je n’ose pas l’exploiter », avant de réfléchir à la solution du débardage à cheval.