Loi Climat : avancées et reculs, ce qui s’est décidé lors de la deuxième semaine

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Loi Climat PolitiqueDu 6 au 9 avril, les discussions sur le projet de loi Climat se sont poursuivies. Contrats publics, formation des employés, gestion des écosystèmes, orpaillage illégal, interdiction des véhicules diesel… Point sur les avancées et les reculs du texte, en discussion jusqu’à la semaine prochaine.
Les discussions à l’Assemblée nationale ont repris le mardi 6 avec l’article 15 du projet de loi, et se sont closes vendredi 9 avril. Les séances avaient été interrompues jeudi pour laisser place au débat sur la proposition de loi sur la fin de vie.
. Reporterre a raconté ici les discussions sur la loi Climat lors de la première semaine, commencée le 29 mars et portant sur les articles 1 à 15.
. Le dossier de l’Assemblée nationale sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience
. On trouvera notamment dans ce dossier le texte du projet de loi, les amendements et l’accès aux comptes-rendus des séances.
• Article 15 concernant les contrats publics
Mardi 6 avril, deux amendements portés par la députée Clara Motin (LREM) et adoptés ont fait reculer le texte initial. L’amendement 5620 exclut les marchés de la défense et de la sécurité des contraintes environnementales, deux secteurs pourtant très émetteurs de gaz à effet de serre. Autre recul, cette fois-ci pour les commandes publiques concernant les produits alimentaires et l’agriculture : elles pourront désormais se faire via une dérogation (pour les commandes de moins de 100 000 euros), sans appel d’offres et sans mise en concurrence. Un dispositif temporaire justifié par la crise sanitaire, mais qui inquiète les oppositions. Concernant les matériaux biosourcés, rien de très ambitieux : ils devront intervenir en 2028 seulement dans 25 % des rénovations et des constructions dans les commandes publiques.
• Article 16 à 18 sur la formation des salariés et la responsabilité des entreprises
L’article 16 du projet de loi, adopté en séance publique mardi 6, visait à « adapter l’emploi à la transition écologique ». Les citoyens de la Convention avaient formulé des propositions précises, comme un diagnostic régional par filière ou encore le renfort du plan de programmation de l’emploi et des compétences (PPEC). Le gouvernement n’a pas intégré ces propositions dans l’article 16, mais a en revanche inclus les enjeux environnementaux dans le Comité social et économique (CSE) (une instance qui représente les salariés) et dans les négociations obligatoires de la Gestion prévisionnelle de l’emploi (GPEC). Des mesures symboliques dont l’efficacité — par rapport aux enjeux évoqués par la Convention — laisse à désirer, selon Loïc Prud’homme (LFI, La France Insoumise) : « L’article 16, qui ouvre un nouveau chapitre, prétend adapter l’emploi à la transition écologique, mais comment le faire sans parler de la responsabilité des entreprises ? » Parmi les amendements rejetés, celui de Dominique Potier (PS) et d’autres députés de l’opposition et de la majorité, sur la mise en place une journée de formation obligatoire sur les enjeux de la transition pour les membres du CSE, ou encore l’amendement de Delphine Batho, — issu d’une proposition du Shift Project — qui devait rendre public le bilan des émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise au CSE.
• Article 19 sur la préservation des écosystèmes et de la biodiversité
Concernant la ressource en eau, le 7 avril, Cendra Mottin (LREM) a porté un amendement garantissant une considération égale pour les zones humides et les autres écosystèmes aquatiques. L’article 19 de la loi Climat permettra aussi de prendre en compte, dans le Code de l’environnement « la qualité de l’eau » au même titre que la qualité de l’air en tant que bien commun. En revanche, la demande d’indemnisation portée par Mathilde Panot pour les victimes des pollutions des eaux — notamment celles en Martinique par le chlordécone — a été rejetée.
Les députés ont ensuite longuement débattu sur les moulins à eau. Composants du patrimoine français pour les uns, anti-écologiques — car empêchant les poissons et sédiments de circuler — pour les autres, un amendement a finalement été adopté qui vise à limiter leur destruction.
Autre amendement rejeté, celui de Mathilde Panot (LFI) qui devait imposer un moratoire sur l’extraction de sable en baie de Lannion, un « grand projet inutile qui provoque de terribles ravages environnementaux ».
La gestion forestière a fait l’objet de beaucoup d’amendements, inspiré du travail de l’association Canopée. Des propositions qui ont été sous-amendées par le gouvernement : « Vos sous-amendements vident nos amendements de leur substance, alors que nous n’avons même pas évoqué l’encadrement des coupes rases, qui est pourtant un sujet majeur, ni les services publics forestiers, que vous êtes en train de saigner », a réagi Mathilde Panot (FI, France Insoumise) lors des débats. La notion de « puits de carbone » est néanmoins insérée dans le Code forestier à l’article 19, via l’amendement 265 déposé par Dino Cineiri (LR, Les Républicains) ainsi qu’un amendement qui doit doter l’État d’une « stratégie nationale pour l’adaptation des forêts au dérèglement climatique » avant le 31 décembre 2022.
• Article 20 à 21 sur l’orpaillage illégal
L’article 20 qui a été adopté vendredi matin renforce les sanctions contre l’orpaillage illégal. L’amendement de Léanïck Adam (LREM) prévoit de punir les orpailleurs illégaux de cinq ans d’emprisonnement et d’une interdiction de territoire pour les étrangers. Ces sanctions seront encore plus fortes dans le parc amazonien de Guyane et pourront atteindre jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 4,5 millions d’euros d’amende. Les agents de l’Office national des forêts et des réserves naturelles auront aussi désormais la possibilité de contrôler. Pour autant, les amendements sur l’interdiction de la montagne d’or en Guyane n’ont pas été adoptés.
• Article 22 à 24 sur les énergies renouvelables
Deux amendements de la députée Cendra Motin (LREM) marquent de très légères avancées.
L’un d’eux permet d’ajouter au comité régional de l’énergie la mission de « favoriser la concertation, en particulier avec les collectivités territoriales, sur les questions relatives à l’énergie au sein de la région » et permet de mettre en place un suivi de la mise en œuvre des objectifs, sans donner plus de précisions. Concernant l’autoconsommation, les citoyens de la Convention avaient formulé plusieurs propositions, dont l’obligation d’installer des panneaux photovoltaïques pour les nouveaux entrepôts ou encore d’encourager les particuliers à mettre en place des puis thermiques. L’article 24, discuté en 2e séance le 9 avril, ne reprend que la première, en obligeant les structures de plus de 500 m² à installer un système de production d’énergie renouvelable ou un toit végétalisé. Du côté de l’opposition, les amendements ont été en grande majorité rejetés. Marie-Noëlle Battistel (PS) souhaitait par exemple renvoyer aux différentes régions la fixation les objectifs régionaux de développement des énergies renouvelables. Matthieu Orphelin avait quant à lui proposé de mettre en place un portail de suivi des projets d’autoconsommation collective et de communautés d’énergie citoyenne pour « simplifier la vie des porteurs de projet ».
• Article 25 à 29 sur les substituts à la voiture individuelle
Vendredi 9 avril, les débats ont repris à la troisième séance sur la thématique « se déplacer ». L’amendement de Matthieu Orphelin qui visait à avancer l’interdiction de la vente de voitures diesels à 2030 et celui de Jean-Charles Colas-Roy (LREM) qui proposait 2035, ont été tous les deux rejetés, comme l’amendement pour la fin de vente des véhicules thermiques en 2030 — celui-ci était pourtant une demande de la Convention. De même pour la proposition de Matthieu Orphelin de mettre en place des prêts à taux zéro pour l’achat « de véhicule particulier à très faible émission » pour les ménages les plus modestes.
Concernant la mobilité douce, l’amendement de Jean-Marc Zulesi (LREM) sur la généralisation des pistes cyclables dans les ZFE (zones à faible émission) a été adopté à l’unanimité. Une série d’aides à l’achat de vélos sont également passées : la prime à la conversion est élargie aux personnes qui souhaitent remplacer leur véhicule par des vélos à assistance électrique, en plus de la création d’une prime à l’acquisition de vélos cargos.
Le 10, lors des débats concernant l’article 26, seuls des amendements de la majorité ont été adoptés. Parmi eux, l’amendement déposé par M. Jean-Marc Zulesi qui vise à généraliser les bornes de recharge des parkings publics de plus de 20 places lors du renouvellement des contrats publics. Le gouvernement a également adopté un amendement des députés LREM qui renforce « les taux minimaux d’incorporation de véhicules à faibles émissions » au sein des entreprises, de « 35 % » à « 40 % » pour le premier, et de « 50 % » à « 70 % » pour le second. Sera également intégrée dans la loi d’Orientation des mobilités la possibilité pour l’État de prendre en charge jusqu’à 75 % le raccordement des infrastructures de recharge de véhicules électriques et hybrides sur les aires de service. L’article 27, qui porte sur les zones à faibles émissions, est complété par une obligation d’aménagement de voies cyclables et il permettra aux collectivités de mettre en place, si elles le souhaitent, des tarifs préférentiels pour les covoitureurs.
• Article 30 à 33 sur le transport de marchandises et la réduction des émissions
Les oppositions ont vu toutes leurs propositions rejetées pour les articles 29 à 38. Delphine Batho et Mathilde Panot (FI) avaient pourtant repris la demande de la Convention de mettre en œuvre un taux réduit de TVA pour tous les transports publics de voyageurs du quotidien [1]. La proposition de Delphine Batho d’insérer après l’article 31, une interdiction d’« exonérations de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques sur le kérosène utilisé pour les vols nationaux » est rejetée, tout comme celle de la France insoumise d’instaurer une contribution financière spécifique pour les poids lourds.
• Article 35 à 38 sur le transport aérien
Concernant l’article 36 sur le volet aérien, François Ruffin (FI) souhaitait rétablir la durée initiale proposée par la Convention sur l’interdiction des vols internes à 4h au lieu de 2h30 [2]. Les députés de la France insoumise ont également demandé de mettre fin « de façon immédiate et définitive » à l’agrandissement de plusieurs aéroports — dont le projet d’agrandissement de Roissy-Charles de Gaulle. Mathilde Panot en a profité pour alerter, lors de la 3e séance, sur les dangers d’une trop grande systématisation de la logique de compensation carbone : « (…) la compensation est une illusion qui nous détourne de l’essentiel. Lorsque l’on compense, la priorité n’est plus de réduire les émissions de gaz à effet de serre, notamment celles de l’aviation. » Il a néanmoins été adopté. Enfin, la demande de Delphine Batho « d’intégrer les émissions de CO2 du transport international, notamment aérien, dans l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050 » — comme le préconise le Haut Conseil pour le climat dans son dernier rapport — n’a pas été adoptée.
Commentaire du député Cédric Vilani sur l’ensemble des débats : « Toutes les ambitions fortes ont été rabotées. (…) Cette loi restera une petite loi. »