Au Sénat, la loi Climat continue de s’étioler

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Lundi 14 juin, après des travaux en commission, l’examen du texte de la loi Climat débute au Sénat en séance plénière. Bien qu’il soit dominé par la droite, ses membres ont parfois eu une approche plus progressiste que les députés de la majorité. Du côté des associations, la lassitude guette.
Peut-on encore attendre quelque chose de la loi Climat ou son échec est-il acté ? En avril dernier, son examen à l’Assemblée nationale avait conduit au fiasco, fiasco qui avait déclenché une mobilisation d’ampleur dans la rue, où des dizaines de milliers de manifestants ont réclamé « une loi à la hauteur des enjeux ». Les associations écologistes dénonçaient « un texte pour rien » tandis que les députés de l’opposition protestaient contre « un enfumage ».
En effet, rien ne permet pour l’instant d’atteindre les objectifs de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, comme se l’est fixé la France au niveau européen. Rien parmi les dispositions votées ne permet non plus de « changer de civilisation, de culture et de mode de vie », contrairement à ce que répète allégrement la ministre Barbara Pompili. Sur les 149 propositions de la Convention citoyenne pour le climat, l’exécutif n’a repris qu’une quinzaine de mesures, reniant par là les promesses de M. Macron.

L’histoire n’est cependant pas tout à fait terminée. Lundi 14 juin, l’examen de la loi Climat débute au Sénat en séance plénière. Le texte a déjà été débattu en commission, à huis clos, la semaine précédente. Près de 700 amendements ont été adoptés. Paradoxalement, alors que le Palais du Luxembourg est dominé par la droite, les sénateurs ont parfois eu une approche plus progressiste et rigoureuse que les députés La République en marche (LREM). Lors d’une conférence de presse, le président Union des démocrates et indépendants (UDI) de la commission de l’aménagement du territoire, Jean-François Longeot, a d’ailleurs affirmé vouloir « rehausser les ambitions environnementales » de ce texte et n’a pas hésité à pourfendre « le manque d’efficacité et de crédibilité » de la version livrée par l’Assemblée nationale.
« La droite ne veut pas être reléguée au second plan sur l’écologie »
À l’approche des régionales, le climat n’échappe pas aux calculs politiques. Pour Clément Sénéchal, porte-parole de Greenpeace, les Républicains ont compris qu’ils ne pouvaient plus ignorer le sujet : « La droite ne veut pas être reléguée au second plan sur l’écologie par rapport à LREM. Ils ont réalisé que la vision de LREM était de l’esbroufe et ils veulent se positionner sur le sujet pour en obtenir des gains politiques ».
Une approche qui contraste avec l’attitude caricaturale des membres de Les Républicains à l’Assemblée nationale. Ils avaient alors tiré à boulets rouges sur la loi Climat, dénonçant tout de go « l’écologie punitive » et la « satanisation des énergies fossiles ». « Au Sénat, leur position est plus tempérée, observe Clément Sénéchal. Ils défendent toujours un logiciel productiviste mais il y a comme un frémissement. Leur vision évolue même si elle reste encore hasardeuse, peu consistante et souvent contradictoire. »

Plusieurs avancées sectorielles ont été obtenues. Parmi les plus significatives, la baisse de la TVA sur les billets de train de 10 à 5,5 %, la mise en place d’une trajectoire pour relancer la consigne, la création d’un chèque alimentaire ou encore le développement d’un prêt à taux zéro pour l’achat d’un véhicule peu polluant. Les sénateurs ont également introduit plusieurs dispositions visant à garantir la protection des forêts et des sols forestiers alors que le sujet avait été mis de côté par l’Assemblée nationale.
Concernant la publicité, ils ont intégré une proposition de la Convention citoyenne pour le climat : ajouter une mention alertant sur le fait que la surconsommation nuit à la préservation de l’environnement. Les sénateurs ont aussi adopté un amendement qui interdit en 2028 les publicités pour les véhicules les plus polluants.
Un progrès sur la rénovation énergétique
En matière de rénovation thermique, les sénateurs ont retiré une bévue introduite à l’Assemblée, réservant la définition d’une « rénovation énergétique performante » aux logements présentant une étiquette A ou B après rénovation. À l’origine l’Assemblée nationale l’avait étendue à l’étiquette C, voire D. Par ailleurs, selon les Amis de la Terre, l’un des rapporteurs du texte, le Républicain Jean-Baptiste Blanc, va déposer un amendement en séance plénière pour que le commerce en ligne, jusqu’ici épargné, soit soumis comme les zones commerciales aux mesures de limitation de l’artificialisation des terres.
Dans un communiqué, le groupe écologiste, qui compte douze sénatrices et sénateurs, s’est félicité de ces « avancées concrètes ». En commission, il a porté plusieurs amendements qui ont été adoptés, dont la création d’une dotation financière d’un milliard d’euros à destination des collectivités locales pour accompagner la mise en œuvre des plans climat-énergie territoriaux. Sur le modèle de la loi Labbé, qui avait interdit les pesticides dans les espaces urbains, les sénateurs écologistes ont obtenu la réduction de l’usage des engrais azotés pour les pratiques non agricoles.
En séance plénière, leur chef de file, Ronan Dantec, veut également porter avec les autres forces politiques un amendement pour inscrire l’objectif européen de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Une affaire de cohérence, dit-il à Reporterre. De manière plus générale, il évoque son avis « mitigé » sur l’examen de la commission. « Le bilan global est contrasté, juge-t-il. Des reculs ont aussi été observés. »
Les zones à faible émission (ZFE) en ville, par exemple, ont été détricotées, leur mise en place retardée de cinq ans. Idem pour l’écotaxe régionale, qui a été finalement enterrée. L’expérimentation des menus végétariens à la cantine n’a pas non plus été généralisée mais seulement prolongée de deux ans pour les collectivités qui le souhaitent. La redevance sur les engrais azotés, déjà bien malmenée par l’Assemblée nationale, est définitivement abandonnée, elle aussi. Le terme d’écocide également. Le Sénat veut le réserver uniquement au droit international.

Concernant l’aviation, les sénateurs ont encore réduit l’efficacité des mesures. Les vols domestiques entre deux villes qui se situent à moins de 2 h 30 en train ne seront finalement pas interdits si la moitié des passagers sont en correspondance. Avec ce critère, seule la ligne Orly-Bordeaux fermera définitivement.
Artificialisations des sols, technologie et nucléaire : ce que veut la droite
En matière de publicité, les reculs sont là aussi visibles. L’expérimentation pendant trois ans du dispositif « Oui pub » pour les collectivités volontaires a été supprimée [1]. Sur le sujet des déchets, plusieurs dispositions ont également sauté, et l’interdiction des emballages en polystyrène ou autres polymères pour 2025 n’a pas reçu l’aval des sénateurs. Quant aux propositions sur l’artificialisation des sols, elles ont été largement atténuées pour privilégier « une approche territorialisée ». Tous les maires pourront ainsi soumettre un « petit » projet commercial à autorisation d’exploitation commerciale.
La lecture du Sénat reste, somme toute, idéologique. Pour sauver le climat, la majorité de droite parie sur l’innovation et la technologie, le recours à l’hydrogène ou aux biocarburants. L’objectif de sobriété a été oublié au profit du nucléaire. Alors que cette énergie n’était pas présente dans le texte, le Sénat a fixé comme principe qu’un réacteur nucléaire ne pouvait pas être arrêté « en l’absence de capacités de production équivalentes fournies par des énergies renouvelables ».
Les débats vont se poursuivre en séance plénière cette semaine. Les associations environnementales et la société civile entendent bien se mobiliser, même si elles constatent une forme de désintérêt à la fois médiatique et politique, les regards étant tournés vers les régionales. « Il y a une forme de découragement avec cette loi, reconnaît Alma Dufour, des Amis de la Terre. On a tellement donné à l’Assemblée nationale avec si peu de résultats qu’on en est dépité. On ne s’attend pas à de grands bouleversements au Sénat. » Le vote final du projet de loi est prévu le 29 juin.