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Mondial, JO, Tour de France… L’overdose de compétitions climaticides

Ski dans le désert, stades à usage unique… La Coupe du monde au Qatar n’est pas la seule grande compétition sportive à détruire l’environnement. De nouvelles bombes climatiques se préparent. [1/2]

Dans un monde bouleversé par le changement climatique, est-il toujours souhaitable d’organiser de grandes compétitions sportives ? Alors que la Coupe du monde au Qatar va débuter, Reporterre a mené l’enquête. La deuxième partie est ici.


• Cette enquête est diffusée en partenariat avec l’émission La Terre au carré, de Mathieu Vidard, sur France Inter. Vous pouvez écouter l’émission sur la démographie ici, avec le journaliste Alexandre-Reza Kokabi, Carole Gomez, directrice de recherche à l’IRIS en géopolitique du sport et Pierre Rondeau, spécialiste de l’économie du sport.



Stades climatisés et à usage unique, « navettes » en avion pour se rendre aux matchs… La Coupe du monde au Qatar, qui se déroule du 20 novembre au 18 décembre, jette une lumière crue sur les dérives écologiques du sport business et de ses grandes messes : les compétitions continentales et internationales. « Ces évènements rassemblent des centaines de milliers de personnes venant du monde entier qui, pendant quelques semaines, voyagent et consomment, sur des sites parfois tout juste sortis de terre », observe la géopolitologue Carole Gomez, spécialiste des conséquences du sport sur les relations internationales.

Dans leur sillage, les émissions de gaz à effet de serre explosent, notamment en raison des déplacements en transport aérien [1]. La Fédération internationale de football association (Fifa) évalue celles du Mondial au Qatar à 3,6 millions de tonnes équivalent CO2, autant que les émissions de l’Islande et du Monténégro pendant un an. Les précédentes éditions en Russie, au Brésil et en Afrique du Sud étaient déjà désastreuses, avec des émissions supérieures à 2 millions de tonnes équivalent CO2. [2]

Ces chiffres, sous-estimés [3] et difficiles à appréhender, représentent une contribution concrète et palpable aux dérèglements du climat.

Aux JO de Pékin : des pistes couvertes de neige artificielle dans une zone industrielle désolée. Le site a été construit au-dessus d’une ancienne aciérie. © Koki Kataoka / The Yomiuri Shimbun / AFP

Et des destructions directes. Les infrastructures (enceintes sportives, hôtels, autoroutes, aéroports, etc.) sont réalisées au détriment d’espaces naturels. Pour les Jeux olympiques d’hiver en Russie — organisés en 2014 dans une station balnéaire — la société publique Olympstroy a construit une autoroute à travers les forêts du Caucase, dont certaines parties sont classées au patrimoine mondial de l’Unesco. En Corée du Sud, quatre ans plus tard, la forêt du Mont Gariwang, constituée d’arbres millénaires et considérée comme sacrée, a été détruite pour des pistes de ski. Une fois les athlètes rentrés chez eux, la province du Gangwon ne savait plus quoi faire des installations.

Un vent de fronde souffle

Telles qu’elles sont organisées, « ces compétitions sont une gabegie dans un monde au bord du gouffre, où la température moyenne en France pourrait être de 3,8 °C supérieure à celle du début du XXᵉ siècle, déclare Jérôme Santolini, l’un des coordinateurs du collectif Scientifiques en rébellion, composé de scientifiques de toutes disciplines qui se mobilisent contre l’inaction climatique. Nous sommes dans une zone de complète incertitude, si ce n’est que l’ampleur de la catastrophe dépendra de nos choix d’aujourd’hui. Les compétitions sportives ne peuvent pas s’extraire de l’équation. »

En concentrant les absurdités écologiques, la Coupe du monde au Qatar peut-elle provoquer un grand sursaut ? « Nous vivons un moment important », estime l’économiste du sport Christophe Lepetit. Un vent de fronde souffle, sur un air de « plus jamais ça ». Les condamnations, y compris de la part de footballeurs, se multiplient. Des citoyens s’engagent à boycotter les matchs pour priver la Fifa de sa rente principale : les droits télévisés. Ils organisent des évènements alternatifs tout au long du mondial.

« La stratégie du Qatar est malmenée »

Ce désaveu « malmène la stratégie du Qatar, visant à étendre son influence régionale et internationale en utilisant la popularité d’un grand évènement sportif », estime la géopolitologue Carole Gomez. « Le pays a sous-estimé l’ampleur du front qui se dresserait, notamment avec la sensibilité de plus en plus forte des populations aux catastrophes environnementales et aux droits humains. » De là à menacer la tenue de ces compétitions ? « On pourrait imaginer qu’à force de voir leur réputation ternie, plus aucun pays ne voudra accueillir ces évènements. Un phénomène de rejet qu’on observe déjà pour les villes hôtes des Jeux Olympiques, dont les candidatures se raréfient », poursuit-elle.

L’Arabie Saoudite a décroché les Jeux asiatiques d’hiver 2029

Les décideurs — les instances internationales, comme le Comité international olympique (CIO) ou la Fifa —, continuent comme si de rien n’était. Le Mondial n’a pas commencé qu’elles amorcent, déjà, les bombes de demain. Le Mondial au Qatar 2022 est l’arbre qui cache une forêt de coupes immondes. La prochaine édition sera disputée en 2026 par 48 équipes, et non plus 32, avec des matchs éclatés entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. « La Fifa a imposé un tel gigantisme que des pays seuls ne veulent plus assumer l’organisation d’un Mondial », remarque Pierre Rondeau, économiste du sport. Selon le quotidien britannique The Times, après le duo Espagne-Portugal et le quatuor Uruguay-Argentine-Paraguay-Chili, l’Arabie Saoudite, l’Égypte et la Grèce s’apprêtent à déposer une candidature commune pour organiser la Coupe du monde 2030.

Comme si la coupe n’était pas déjà pleine, le Qatar recevra la Coupe d’Asie de football en 2023. Cette fois, ce sera en juin-juillet 2023, quand le mercure atteindra les 50 °C et la climatisation fonctionnera à plein régime. Et malgré les images des sites des JO de Pékin — des pistes couvertes de neige artificielle dans une zone industrielle désolée — l’Arabie Saoudite a décroché les Jeux asiatiques d’hiver 2029 qu’elle organisera à Neom, une mégalopole futuriste en construction en plein désert. Les promoteurs assurent que les températures descendent « en dessous de 0 °C en hiver », mais sont restés silencieux quant à la rareté des précipitations — et donc de la neige — dans cette zone désertique. La ville comprendra des pistes de ski ouvertes toute l’année, un lac artificiel d’eau douce, des chalets, des manoirs et des hôtels de luxe.

La France est-elle au-dessus de la mêlée ? Pas vraiment, malgré une communication de plus en plus verte. La Coupe du monde de rugby 2023, dont elle est le pays hôte, est une vitrine pour la compagnie aérienne Emirates, ou encore TotalÉnergies, l’un des plus gros émetteurs de CO₂ au monde. Le Tour de France cycliste est toujours précédé par sa « caravane » de sponsors — à peu près 160 véhicules —, qui jettent une avalanche de goodies le long des routes de France [4], et suivi par une ribambelle de voitures (staff, médecins, organisateurs, médias, officiels…). Comme l’a montré une récente enquête de Reporterre, les courses en voiliers comme la route du Rhum sont responsables de la mort de dizaines de cétacés, cisaillés par les ailerons de navires de plus en plus rapides.

Les JO à Paris entraînent une accélération des projets de destruction, d’expulsion et de spéculation

Les Jeux olympiques organisés à Paris l’année suivante, se présentent comme « le premier grand évènement sportif à contribution positive pour le climat » : « Le Comité d’organisation s’est engagé à réduire de moitié les émissions liées à l’organisation des Jeux d’été, et à compenser encore plus d’émissions de CO2 que celles que nous allons émettre », explique à Reporterre la directrice de l’excellence environnementale Paris 2024, Georgina Grenon. « Que les JO 2024 s’en sortent mieux que d’autres, pourquoi pas… Mais il n’empêche que des espaces naturels sont sacrifiés pour les organiser, et que l’écologie ce serait mieux portée s’ils n’avaient pas eu lieu », déplore Yun, militant au sein du collectif Saccage 2024, pour qui les Jeux Olympiques sont « un accélérateur-catalyseur » du Grand Paris.

En novembre 2020, 30 collectifs et 150 personnes ont organisé un Toxic tour pour dénoncer « l’héritage local empoisonné » que vont laisser les JO 2024. © Alexandre-Reza Kokabi/Reporterre

Les 13,4 millions de spectateurs attendus tout au long de la compétition viendront principalement en avion. En Seine-Saint-Denis ou dans le Val-d’Oise, des collectifs dénoncent une accélération des projets de destruction, de pollution, d’expulsion et de spéculation. Une partie des jardins ouvriers d’Aubervilliers ont été rasés pour construire une piscine d’entraînement et un solarium. À Taverny, le chantier d’une piscine olympique a détruit 30 000 m2 d’espaces verts. La cour administrative d’appel de Paris a débouté les opposants, sans appel possible, car ce projet était protégé par la « loi d’exception des Jeux olympiques », visant à accélérer les procédures. À Élancourt, des arbres sont abattus pour une piste de VTT. Des travailleurs sans-papiers sont exploités sur les chantiers.

« Le piège, en considérant la Coupe du Monde au Qatar comme un grand repoussoir, ce serait de relativiser le pouvoir de nuisance des compétitions suivantes, poursuit Yun. À chaque nouvelle attribution, on se dit que ce sera la dernière. Jusqu’à quand ? Si l’on regarde sérieusement l’urgence climatique, c’est tout un modèle qu’il faut revoir. » Compensation carbone, décroissance, disparition… Dans le deuxième volet de cette enquête, Reporterre explore plusieurs solutions pour ramener la Coupe à la raison.

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