Néonicotinoïdes : des abeilles au Panthéon pour « rappeler le droit à l’État français »

Devant le Panthéon, à Paris, le 20 janvier 2023. - © Justine Guitton-Boussion / Reporterre
Devant le Panthéon, à Paris, le 20 janvier 2023. - © Justine Guitton-Boussion / Reporterre
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La justice européenne a réaffirmé l’illégalité des néonicotinoïdes alors que le gouvernement français s’apprêtait à les réautoriser. Une décision qui remplit d’espoir les défenseurs de la nature mobilisés vendredi à Paris.
Paris 5ᵉ (Île-de-France), reportage
Sur la place du Panthéon, vendredi 20 janvier, les touristes venus admirer le monument parisien ont eu la surprise de tomber sur une drôle de scène : des centaines de pancartes représentant des abeilles en colère étaient disposées sur le sol, et des militants déguisés en insectes jaunes et noirs gisaient à terre.
Cette action, organisée par l’association Agir pour l’environnement, avait pour but de dénoncer la potentielle réautorisation en France — pour la troisième année consécutive — des insecticides néonicotinoïdes, surnommés les « tueurs d’abeilles ».

« Le ministère de l’Agriculture veut encore réautoriser ces insecticides extrêmement toxiques, alors qu’il n’y a aucune raison de le faire, et que la Cour de justice de l’Union européenne vient de rappeler que c’est illégal », a dénoncé Stéphen Kerckhove, directeur général d’Agir pour l’environnement.
Interdits depuis 2018
Les « néonics », interdits dans l’Union européenne depuis 2018, ont été réintroduits en France en 2021 par le gouvernement, pour venir en aide aux producteurs de betteraves sucrières.
L’année précédente, leurs champs avaient été touchés par une épidémie de virus de la jaunisse de la betterave. Le retour des semences enrobées aux « néonics » était donc censé prévenir les infestations de pucerons, vecteurs de la maladie.

Depuis, ces insecticides toxiques ont été réautorisés en 2022 pour la même raison — alors que des prélèvements réalisés par l’Institut technique de la betterave (ITB) montraient un faible risque de propagation du virus de la jaunisse cette année-là.
Rebelote en 2023 : le gouvernement s’apprêtait à signer un nouvel arrêté de dérogation, alors que les données fournies par l’ITB montraient une pression virale encore moindre.
Mais un rebondissement est venu perturber la stratégie du gouvernement. Le 19 janvier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a publié un arrêt rappelant que les 27 États membres de l’Union européenne n’avaient pas le droit de déroger à l’interdiction des semences aux néonicotinoïdes. Et ce, y compris en cas de circonstances exceptionnelles — comme en France, avec le cas des betteraviers touchés par la jaunisse.
« Une grande victoire pour les écologistes »
« C’est un avis très important, qui rappelle le droit à l’État français », s’est réjoui Stéphen Kerckhove, devant le Panthéon. « Cela met en exergue le fait que la réautorisation des semences en France est préventive, et non pas curative, ce qui est illégal », a poursuivi Magali Leroy, responsable du pôle enquêtes d’Agir pour l’environnement.
« Il s’agit d’une décision formidable […] et d’une grande victoire pour les écologistes, a même salué François Veillerette, porte-parole de Générations futures, dans un communiqué. [Nous demandons] donc que le gouvernement retire immédiatement sa proposition de nouvelle dérogation. »

Cet arrêt de la CJUE vient rebattre les cartes, et donne un nouvel espoir aux associations de défense de l’environnement. Depuis 2021, celles-ci avaient beau protester contre les réautorisations successives, ni le gouvernement ni la justice ne les écoutaient. Elles avaient saisi deux fois le Conseil d’État. Les deux fois, en vain.
Le ministère de l’Agriculture ne cachait même plus son envie d’accorder une nouvelle dérogation en 2023, et mettait la charrue avant les bœufs. En décembre, avant même que les données de l’ITB ne soient disponibles, le ministre Marc Fesneau avait affirmé publiquement, lors de l’Assemblée générale de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB), qu’il « espérait » une troisième dérogation pour « lutter efficacement contre la jaunisse en attente de solutions alternatives ».
Brûler les étapes
Toujours dans cet esprit de brûler les étapes, le gouvernement s’apprêtait à signer cette troisième dérogation le 20 janvier… alors que l’arrêté est encore en consultation publique jusqu’au 24 janvier.
Pire encore, la Ligue de protection des oiseaux a dénoncé le fait que, malgré ses relances « quasi quotidiennes », elle n’avait pas reçu de « garantie ferme du gouvernement » sur le fait qu’aucune dérogation ne serait possible après 2023.
Finalement, le conseil de surveillance des néonicotinoïdes (une assemblée regroupant des représentants des ministères, des agriculteurs, des parlementaires et des associations) ne se réunira que le 26 janvier.

« Le gouvernement utilisera le délai permis par ce report pour expertiser les conséquences juridiques de [la décision de la CJUE] en droit français et les conséquences pour la campagne de production qui s’ouvre », ont précisé les ministères de l’Agriculture et la Transition écologique dans un communiqué.
Les associations de défense de l’environnement, qui avaient annoncé vouloir quitter ou boycotter le conseil de surveillance (Agir pour l’environnement, Générations futures, la Ligue de protection des oiseaux…) vont peut-être revoir leur position. « On voulait le quitter pour montrer que ce conseil de surveillance n’est qu’une chambre d’enregistrement, que c’est un exercice artificiel, rappelle Stéphen Kerckhove. Mais la décision de la Cour de justice de l’Union européenne change la donne. Pour le coup, on va sûrement avoir des choses à dire lors du prochain conseil. »