Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

Notre-Dame-des-Landes

Notre-Dame-des-Landes : le tribunal ordonne l’expulsion, la mobilisation se prépare

Le juge des expropriations a tranché lundi 25 janvier : l’expulsion des paysans « historiques » de la ZAD est possible immédiatement. Tous les scénarios sont maintenant ouverts.

-  Actualisation -
. Mardi 26 janvier 2016 - Analyse du jugement et réactions, à lire ici

. Lundi 25 janvier 2016 - 15 h 12 - Le juge de l’expropriation du tribunal de grande instance de Nantes a rendu sa décision en début d’après-midi. Il confirme l’expulsion réclamée par une filiale de Vinci des derniers occupants « historiques » de la ZAD, mais sans l’assortir d’astreinte financière. Onze familles et quatre agriculteurs sont concernés par ces expulsions. Huit des onze familles se sont vues accorder un délai de deux mois, courant jusqu’au 26 mars, a ajouté le juge en annonçant sa décision. « L’évacuation peut commencer pour les exploitations agricoles » et pour les familles non concernées par le délai, a indiqué Pierre Gramaize, le juge de l’expropriation.


-  Nantes, correspondance

Expulsion ou pas ? Avec astreinte financière imposée pour chaque jour de refus d’un départ volontaire ? Ce lundi 25 janvier, en début d’après midi, le juge aux expropriations rendra sa décision. Quatre agriculteurs « historiques » et onze familles qui ont refusé un accord à l’amiable sont concernées. L’audience a déjà eu lieu, le 13 janvier. Vinci, rappelant que c’est l’État qui lui tient la main, a demandé l’expulsion des paysans historiques opposants au projet, exploitants dans le périmètre de la ZAD. Pour ajouter à la pression et dépasser la seule autorisation d’expulsion, Vinci a demandé 200 euros d’astreinte par jour et par dossier, ce qui cumule à 1.000 euros par jour pour certains des paysans, relevant de plusieurs procédures conjointes pour leur ferme, des bâtiments agricoles, des terrains. Vinci a aussi demandé la mise sous séquestre de leurs biens s’ils n’obtempèrent pas, c’est-à-dire la confiscation de leurs tracteurs et troupeaux de vaches.

A ce stade, quels sont les scénarios possibles dans un calendrier balisé par plusieurs dates butoirs ? Du côté des promoteurs du projet, une certaine course contre la montre est engagée.

Expulser un peu beaucoup ou pas du tout ?

Plusieurs possibilités s’ouvraient au tribunal :

-  Le juge des expropriations peut accorder à Vinci ce que la multinationale du BTP demande : expulsion et sanction financière pour chaque jour où les fermiers et les habitants refuseraient de partir d’eux-mêmes.
-  Le juge peut minorer l’astreinte financière, ou se limiter à la décision d’expulsion, sans l’assortir d’une astreinte jour par jour. C’est ce qu’il a choisi.
-  Il aurait pu suivre les arguments des avocats des paysans et des familles visés par la procédure, et juger qu’il n’y a pas d’urgence à ordonner le départ forcé.
-  Il avait aussi la possibilité de donner un premier avis sur la recevabilité d’une question prioritaire de constitutionnalité, qu’ont demandé les avocats des paysans. Sa fonction ne l’autorise qu’à dire si oui ou non la question est « dépourvue de sérieux ». S’il décrétait que la question n’est pas dépourvue de sérieux, il ouvrirait de fait un délai de plusieurs mois, le parcours normal de ce questionnement imposant un autre examen préalable par la Cour de cassation, puis jugement par le Conseil constitutionnel. Il s’agit de savoir si l’expulsion ne bafoueraient pas d’autres droits inscrits dans la Constitution, droit au logement, droit au travail, voire des textes internationaux, comme la Convention universelle des droits de l’enfant.
-  Enfin, « le magistrat peut encore se fonder sur la législation européenne et accorder un délai supplémentaire aux expulsables, ce que ne lui permet pas le droit français », avait souligné pendant l’audience du 13 janvier Erwann Le Moigne, l’un des avocats des paysans.

Les obstacles administratifs au début des travaux

Le climat entretenu par les promoteurs du projet est celui d’une urgence teintée d’exaspération : Vinci, le préfet, sans parler du lobby local favorable à ce projet, annoncent leur volonté d’aller vite. Mais s’ils vont devoir tenir compte de la résistance, déterminée, populaire, et du rapport de force, qui empêche l’arrivée d’engins de BTP, ils doivent aussi intégrer des empêchements légaux.

Il y a un calendrier de périodes où des travaux seraient illégaux, en tous cas contraires au droit.

Dates possibles ou non, selon la législation, des travaux

La zone humide de Notre Dame des Landes a quelques atouts pour se protéger des bulldozers. On ne peut pas malmener les tritons et les campagnols amphibies à n’importe quelle époque de l’année.

A l’audience du 13 janvier, l’avocat de Vinci a revendiqué une urgence à intervenir sur place, et à effectuer ce que les textes appellent une « prise de possession » du terrain. « Tout retard de la prise de possession entraînerait au moins un an de retard pour le calendrier des travaux », avait soupiré Me Rajess Remdenie, en évoquant les entraves environnementales rappelées devant une autre audience, celle devant le tribunal administratif le 17 juillet dernier : interdiction d’abattre des arbres entre mars et juillet pour préserver la faune, interdiction de travaux sur les ruisseaux d’août à octobre, interdiction de combler des mares entre février et juin. « Pour les dates le comblement des mares étant impossible dès février, c’est déjà impossible. Pour les espèces protégées, Biotope, le bureau d’études faune et flore missionné par Vinci et le ministère de l’Ecologie, a dit le 10 mars, mais selon les Naturalistes en luttes, il faut tenir compte d’une marge d’erreur de dix jours, ce qui ramène la date butoir au 1er mars », explique à Reporterre Raphael Romi, avocat et professeur à la Faculté de droit de Nantes.

Si on se réfère au calendrier des travaux prévu par l’arrêté préfectoral du 20 décembre 2013 permettant d’accorder légalement une « dérogation aux interdictions de capture, d’enlèvement, de transport, de perturbation intentionnelle, de destruction de spécimens d’espèces protégées » et de destruction de leurs habitats, il est prévu un « calendrier des travaux sur les mares » à réaliser « en dehors de la période de reproduction des amphibiens et développement des juvéniles, entre le 1er juillet et le 10 février inclus ». L’arrêté précise aussi que « tout abattage d’arbres est interdit entre le 10 mars et le 15 juillet ».

-  Télécharger l’arrêté préfectoral du 20 décembre 2013 :

Contraintes administratives

Forces de l’ordre devant le palais de justice de Nantes, le 13 janvier 2016

Lors du procès le 13 janvier dernier, Rajess Ramdenie, l’ avocat de Vinci, a plaidé l’urgence à faire place nette pour les travaux en rappelant que l’ordonnance d’expropriation du préfet date de janvier 2012. Sa validité est de cinq ans, et en janvier 2017, cette procédure sera caduque. Le Code de l’expropriation prévoit que les terrains qui ont fait l’objet d’une expropriation doivent « recevoir leur destination » dans les cinq ans, faute de quoi les anciens propriétaires peuvent demander la rétrocession des terres.

Cela obligerait à partir de janvier 2017, à reprendre de fond en comble la procédure, ordonnance d’expropriation, évaluation des biens, indemnisation, refus du chèque par les occupants expropriés, consignation des montants, avant d’envisager à nouveau une expulsion.

Autre obstacle administratif, la déclaration d’utilité publique (DUP) ; elle date du 9 février 2008. Mais son article 3 spécifie que les expropriations devaient avoir lieu dans un délai de dix ans à compter de sa publication. Comme le décret d’utilité publique a été publié le 10 février 2008, cela laisse jusqu’au 10 février 2018. Au-delà de ces délais, la déclaration d’utilité publique comme l’arrêté de cessibilité des terrains deviennent caducs. Mais une DUP pourrait être prorogée par un nouveau décret.

« L’avocat de Vinci a raison, le retard plombe tout le dossier », note Dorian Piette, un autre juriste attentif aux procédures

Echéances de lutte

Des milliers de personnes ont bloqué le périphérique nantais le 9 janvier 2016

Le rapport de force instauré par le mouvement pose plusieurs échéances, défensives et constructives.

Défensivement, Le 28 janvier, d’autres conducteurs sont convoqués au commissariat, pour avoir participé le 12 janvier au ralentissement du périphérique nantais. Le même jour, la conserverie installée dans une maison abandonnée depuis trois ans par Vinci connaîtra la décision quant à une expulsion éventuelle, demandée par Vinci en octobre. Le 23 février prochain comparaissent en justice les trois paysans dont les tracteurs ont ralenti sur la route.

Le 24 février, ce sera au tour des 19 conducteurs de voitures particulières d’être jugés pour « entrave à la circulation automobile ».

Du côté de la solidarité active, les 30 et 31 janvier, la ZAD invite les comités anti-aéroport de toute la France, ainsi que tous les groupes et bonnes volontés à participer à plus d’une vingtaine de chantier de débroussaillages, de construction, d’installation de buttes de permaculture... Le programme est ici.

Et dores et déjà une grande manifestation est prévue le 27 février à Nantes.

En cas d’intervention militaire visant à déloger les occupants de la ZAD, le plan de réponse prévoit notamment de perturber la vie économique de Nantes avec des actions similaires au blocage du périphérique, tel qu’il a été entrepris le 9 janvier par la manifestation massive qui a pu servir de répétition générale. Mais les occupations de lieux de pouvoir sont aussi envisagées dans toute la France, de la même façon que des mairies et permanences de députés avaient été occupées par des groupes de soutien au lendemain de l’opération César fin 2012.

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende