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EntretienPolitique

Plan ruralités : « Le gouvernement a une vision misérabiliste des campagnes »

La Première ministre Élisabeth Borne a présenté le 15 juin le plan France ruralités.

Le plan France ruralités, dévoilé par le gouvernement, propose des mesures « anecdotiques », selon Maxime Verdin, spécialiste de la transition dans les campagnes. Il prouve la défiance de l’État envers les collectivités locales.

Elle promet « l’équité territoriale ». La Première ministre, Élisabeth Borne, a présenté jeudi 15 juin le plan France ruralités. Elle entend « permettre à la ruralité d’exprimer son potentiel », et lutter contre « le sentiment d’abandon ». Le gouvernement promet 100 chefs de projets sur le territoire pour aider les petites communes en manque de compétences d’ingénierie ; une reconnaissance de leur rôle écologique ; des médicobus face au manque de professionnels de santé ; un fonds de 90 millions d’euros pour les mobilités « innovantes » ; un soutien aux commerces ruraux ; une fiscalité avantageuse pour les zones en déprise, etc.

Maxime Verdin, cofondateur de l’association La Traverse, qui œuvre pour la transition écologique et sociale en milieu rural, réagit auprès de Reporterre.



Reporterre — Que pensez-vous de ce plan gouvernemental pour les territoires ruraux ?

Maxime Verdin — C’est une bonne nouvelle que le gouvernement s’intéresse à la ruralité. Car l’une des préoccupations majeures dans les campagnes est qu’elles sont peu considérées dans les politiques publiques d’aménagement du territoire. Donc, l’intention de départ est louable. D’ailleurs, les mesures sont saluées par l’Association des maires ruraux de France. Mais dans la version que le gouvernement sous-tend, on reste sur une vision misérabiliste des campagnes.

Pourquoi ?

C’est la posture et le ton employé. On a l’impression que l’on vient résoudre les problèmes dans les campagnes avec des petites enveloppes et une pincée d’ingénierie. On a une vision linéaire d’un développement à sens unique d’une société qui doit s’urbaniser. On considère que les zones rurales ont un temps de retard qu’il faut compenser. Ce n’est pas seulement une vision du gouvernement, mais aussi de la sphère médiatique. Mercredi soir, le premier article que j’ai lu sur le plan, publié par Les Échos titrait « Élisabeth Borne veut donner un coup de fouet aux territoires ruraux ». Je trouve cela assez violent. Ça fait « allez, on se bouge, on grandit ! »

Le gouvernement annonce un peu plus de 50 millions d’euros supplémentaires pour la protection de la biodiversité dans les villages, 90 millions sur trois ans pour la mobilité, 5 millions pour rénover les bâtiments en centre-bourg, etc. Les financements sont-ils suffisants ?

Le gouvernement aime dire qu’il décentralise dans ses discours. Mais, en réalité, les collectivités locales, elles, ne font qu’accuser le coup des suppressions de recettes fiscales locales comme la taxe professionnelle, la taxe d’habitation. Ces décisions nationalisent la fiscalité locale et portent atteinte à l’autonomie des collectivités. En plus, Emmanuel Macron a demandé l’année dernière aux collectivités locales de faire un effort de 10 milliards d’euros d’économies. Je n’ai pas fait l’addition des mesures du plan mais ça ne doit pas du tout compenser la réduction des moyens que les communes connaissent depuis des années.

« Les collectivités locales sont pointées du doigt comme de mauvaises gestionnaires »

En plus, on est passé à une logique de contractualisation permanente entre les collectivités et l’État. Aujourd’hui, pour obtenir des financements, il faut cocher les bonnes cases, qui sont décidées loin des réalités locales. Tout doit passer par du « projet ». Les dépenses de fonctionnement baissent. Cela révèle un manque de confiance, voire carrément de la méfiance. Les collectivités locales sont pointées du doigt comme de mauvaises gestionnaires de l’argent public. Donc, on ne décentralise pas, on réduit les moyens alloués aux collectivités locales et en faisant cela, on réduit leur capacité à répondre à leurs enjeux spécifiques.

Le gouvernement identifie cependant certaines préoccupations des habitants des territoires ruraux : le sentiment d’abandon, le transport, la santé, rénover les logements de centre village, etc.

Le diagnostic thématique est bon. Penser une mobilité qui s’émancipe de la voiture individuelle, répondre à la problématique des logements vacants, remettre des services publics dans les campagnes, mettre des médicobus pour proposer des consultations de spécialistes qui manquent dans les déserts médicaux. Ces mesures sont louables, vont dans le bon sens, prises les unes après les autres. Mais j’ai l’impression d’une liste qui aurait pu être construite par une intelligence artificielle. Si on va sur ChatGPT et que l’on pose la question, « quels sont les enjeux des campagnes et les réponses qu’on peut y apporter ? », on va trouver ce genre de réponses. Ces mesures vont certes dans le bon sens, mais elles sont anecdotiques. Les moyens sont ridicules et la vision qui sous-tend ce plan manque d’épaisseur. On a un gouvernement qui se revendique de la pensée complexe et là, c’est simpliste. Les campagnes sont opposées à l’urbanité, vues comme oubliées, abandonnées et votant Rassemblement national.

Et puis, il y a une forme d’hypocrisie. Toutes les problématiques identifiées — la dislocation du lien social, l’étirement des distances, l’éloignement des services publics, la dépendance à la voiture individuelle, la destruction des milieux et de la biodiversité, etc. — ont pour cause les politiques de métropolisation et de concentration des activités dans les grandes villes et les métropoles. Ce n’est pas une évolution naturelle qui fait qu’une société s’urbanise, c’est le résultat de politiques publiques, de lois, qui ont consacré les métropoles. Cela a causé le déclin de certaines campagnes.

« Il faut reconnaître les impasses sociales et écologiques de la métropolisation »

Aujourd’hui, on ne va pas, sur un claquement de doigts, dégonfler les métropoles et repeupler les campagnes. Mais déjà, il faudrait commencer à reconnaître les impasses sociales et écologiques de la métropolisation. Cela suppose de changer de logiciel idéologique, de sortir de la recherche à tout prix de la croissance économique. Le chercheur Olivier Bouba-Olga parle de l’idéologie « Came », un acronyme pour compétitivité, attractivité, métropolisation, excellence. C’est cela que recherche le gouvernement avec la métropolisation. Cette « came », il faudrait s’en sevrer. Et il ne faut pas se leurrer, c’est aussi une drogue qui tourne dans les campagnes. Beaucoup d’élus ruraux sont tentés par ces dynamiques d’attractivité, de compétitivité, d’excellence.

Quel modèle de développement désirable, alternatif, proposez-vous ?

On a l’impression que le gouvernement vient au chevet des campagnes, alors que nous, ce qu’on aime dire, c’est que les campagnes sont capables de venir au chevet du pays. Ce sont des territoires d’avenir où la société de demain peut s’organiser pour faire face aux crises, bâtir des territoires résilients, faire face aux chocs climatiques, à l’effondrement de la biodiversité, à la déplétion des ressources énergétiques. C’est dans les campagnes que se réinventent de nouvelles formes de démocratie de proximité, au moment où le pays traverse une crise démocratique et que la population s’éloigne toujours plus des élus. C’est aussi dans les campagnes qu’on assiste au développement des formes les plus innovantes de gouvernance, que l’économie se fait la plus coopérative, la plus solidaire. C’est aussi dans les campagnes que doit s’organiser le renouveau du monde agricole et alimentaire. Donc, si on veut être raisonnable, on ne peut pas se passer d’une profonde reconnaissance des campagnes pour répondre aux défis sociaux, écologiques, démocratiques que notre société traverse. C’est l’intention, qui est mise dans ce plan, mais qui n’est pas aboutie.

Agrivoltaïsme, éoliennes... L’intention est bonne mais on « considère les campagnes comme support des villes, et pas comme des endroits où l’on vit. » © Tom Grimbert / Hans Lucas via AFP

Le gouvernement dit reconnaître les atouts des territoires ruraux, notamment leur rôle écologique comme lieu de protection de la biodiversité, de production alimentaire et d’énergie. Qu’en pensez-vous ?

Longtemps, les campagnes ont été le territoire support pour alimenter le pays en nourriture. Depuis peu, elles deviennent aussi un support pour la production d’énergie, idéalement décarbonée. On y a mis des éoliennes, on a l’agrivoltaïsme qui se déploie avec d’immenses champs de panneaux photovoltaïques. Et là, dans ce plan, on a les prémices d’une vision des territoires pour leurs services écosystémiques. Cela part d’une bonne intention, qui est de considérer la juste valeur écologique des campagnes. Mais c’est considérer les campagnes comme support des villes, et pas comme des endroits où l’on vit. Et puis, il y a un gros angle mort, qui est l’adaptation au changement climatique. Il y a les enjeux de la protection de la ressource en eau, de l’avenir de l’agriculture, de la préparation aux catastrophes naturelles, qui ne sont pas abordés.

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