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Europe

Politique agricole commune 2020 : le bal des négociations est ouvert

La politique agricole commune pour la période 2020-2026 se négocie dès aujourd’hui : le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, reçoit ce mardi 19 décembre sept de ses homologues et le commissaire européen chargé du secteur. Des discussions qui s’annoncent longues et complexes avec, en ligne d’horizon, une possible nationalisation de la politique agricole.

  • Rennes (Ille-et-Vilaine), correspondance

Du bio dans les cantines, interdire le glyphosate, aider les jeunes à s’installer, garantir une juste rémunération aux agriculteurs ; mais aussi, d’un autre côté, des œufs contaminés au Fipronil, du lait contaminé aux salmonelles, des fermes-usines qui poussent comme des champignons et des agriculteurs qui se suicident en nombre : la politique agricole commune (PAC) tente de mettre ces enjeux, souvent contradictoires, en musique et d’établir une vision européenne de l’activité agricole.

Pas simple : il suffit d’observer les débats sur l’interdiction, ou pas, de l’utilisation du glyphosate. Et pourtant, la politique agricole commune est la première politique mise en place au sein de l’Union européenne en 1962. Elle représente l’enveloppe la plus épaisse du budget européen et a pour objectif de garantir un revenu décent aux agriculteurs, une alimentation de qualité aux consommateurs et d’avoir une agriculture compétitive sur le marché mondial. Un pilier fondamental de l’Union européenne.

Quelle agriculture pour demain ? La question a été posée aux citoyens européens au printemps dernier. Les 322 000 réponses, un nombre non négligeable pour une consultation de ce type, ont été utilisées pour poser les bases de réflexions de la prochaine PAC.

Phil Hogan, le commissaire européen chargé de l’agriculture, a ainsi posé les premières grandes orientations via une communication publiée fin novembre. « Un texte très large », commente Henri Brichart, de la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire ; « un texte fourre-tout où chacun peut trouver des arguments qui lui conviennent », remarque Mathieu Courgeau, porte-parole de la Confédération paysanne (un syndicat agricole minoritaire) des Pays de la Loire.

Le danger d’une PAC à la carte nationale

Mais, il y a un point qui ne fait pas du tout consensus : celui de permettre aux États membres d’adapter la PAC à leur État, de faire une PAC à la carte. Henri Brichart, vice-président de la FNSEA : « Il y a déjà toute une partie de la PAC qui peut être définie au cas par cas par les États. Notre crainte, c’est qu’à l’avenir il n’y ait plus rien de commun à l’échelle européenne. » Mathieu Courgeau, de la Confédération paysanne, parle d’« une nationalisation pure et simple. Cela va pousser à une concurrence entre États membres au lieu de les garder unis face au marché mondial ».

Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, met l’accent sur le développement des interprofessions en expliquant dans un texte en réponse à la communication du commissaire européen : « Je souhaite que l’on réfléchisse au renforcement des missions des interprofessions qui devront être nécessairement élargies à l’ensemble des maillons de la chaîne alimentaire. (…) Je regrette que la communication de la Commission [européenne] soit muette sur ces sujets, mais elle ouvre aussi le champ de l’accompagnement de l’action collective et cela est essentiel. »

Les interprofessions ont un rôle dans la gestion des marchés et la fixation des prix. Ces organisations de producteurs, qui existent déjà, ne parviennent pas vraiment à rétablir le rapport de force avec les entreprises agricoles et la grande distribution. Pour s’en convaincre, rappelons-nous la dernière crise du lait, où les producteurs ont manifesté pour être mieux rémunérés. Et alors que l’Insee (Institut national de la statistique) vient de constater que le nombre de faillites des exploitations agricoles est en hausse.

Stéphane Travert, le ministre de l’Agriculture, en septembre 2017.

En se structurant, les interprofessions pourraient accroître leur marge de négociations dans la fixation d’un « prix juste », comme l’a expliqué Emmanuel Macron mi-octobre au marché de Rungis ; un prix juste déterminé, entre autres, par les producteurs.

Une démarche difficile aujourd’hui tant la marge de manœuvre d’un producteur de lait est réduite lorsqu’il signe, seul, son contrat avec une entreprise agricole. Une marge de négociation d’autant plus réduite que les entreprises tendent à se concentrer, à l’image d’une fusion en préparation entre Triskalia et D’Aucy (les petits pois en conserve) ou celle entre Monsanto et Bayer.

Les négociations s’annoncent complexes sur le fond et tortueuses sur la forme 

Faire avancer l’agriculture vers des pratiques environnementales semble faire consensus, mais les caractéristiques concrètes restent floues pour l’instant. Mathieu Courgeau, de la Confédération paysanne, prêche pour le développement des mesures agroenvironnementales et climatiques mises en place par Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture sous la présidence Hollande. « Elles permettent aux paysans d’améliorer leurs pratiques en douceur et sur un temps long sans avoir à changer radicalement leur modèle d’exploitation du jour au lendemain. » Un levier à élargir, selon lui, pour que chaque agriculteur puisse passer le pas.

Henri Brichart, de la FNSEA, prône pour sa part « une approche globale des exploitations ». Ces mesures agroenvironnementales comprennent certains critères à respecter : « Au lieu de regarder si une exploitation est bonne sur tel ou tel point, il serait plus pertinent de regarder si le fonctionnement global d’une exploitation est bon. Rappelons que l’objectif est de faire progresser tout le monde et pas de sanctionner si un critère n’est pas respecté. »

Dans ce premier tour de négociations, chaque syndicat avance prudemment ses arguments au point qu’ils semblent pour le moment proches ; mais il y a fort à parier que ces débats vont se tendre dès que les mécanismes concrets à mettre en place et le budget octroyé seront sur la table. D’autant plus que les citoyens comptent faire entendre leur voix.

La consultation européenne du printemps dernier les a laissés s’exprimer, et un ensemble d’associations, allant de la Confédération paysanne à la Ligue de protection des oiseaux, compte poursuivre ce travail avec la plateforme Pour une autre PAC afin que les citoyens et consommateurs pèsent dans le débat.

À l’échelle européenne, les négociations s’annoncent complexes sur le fond, mais aussi tortueuses sur la forme. Le budget européen pour les années à venir devrait être voté au printemps prochain avec un changement de taille : le Brexit a pour conséquence qu’un État membre de moins contribuera au budget européen. À cela s’ajoutent les élections européennes, qui se dérouleront en 2019 et qui risquent de geler toutes négociations avant cette échéance.

Ainsi pour de nombreux acteurs du secteur agricole, il est d’ores et déjà quasi acquis que la PAC 2020 prendra du retard autant pour ces questions budgétaires qu’électorales et qu’elle n’entrera pas en application avant 2022.

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