Pour ne pas mourir, les magasins bio passent à l’offensive

Naturalia souhaite attirer de nouveaux clients en se démocratisant. Ici, un magasin à Paris en 2018. - © Edouard Richard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Naturalia souhaite attirer de nouveaux clients en se démocratisant. Ici, un magasin à Paris en 2018. - © Edouard Richard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
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Pétition, nouvelles stratégies commerciales… Les enseignes du bio se démènent pour sensibiliser les pouvoirs publics, chouchouter leurs clients et en attirer de nouveaux.
« Stop mépris bio. » Peut-être avez-vous repéré ce slogan dans votre magasin bio et des tracts vous invitant à signer la pétition du même nom. Les enseignes bio se mobilisent pour dépasser la crise qu’elles traversent depuis plusieurs mois. La pétition, lancée le 1er mars et relayée pour l’heure par 1 000 magasins, a déjà recueilli plus de 55 000 signatures. « On est en route pour atteindre les 100 000 signataires. Ça a pris au-delà de nos espérances », constate Simon Le Fur, l’un des initiateurs de l’opération, et cofondateur d’Aventure bio, un grossiste spécialiste des jeunes marques bio innovantes.
« L’idée de cette pétition est partie d’un ras-le-bol au moment du Salon de l’agriculture, lorsque le ministre a totalement méprisé la filière. Il fallait que la colère se cristallise autour de quelque chose. » La filière ne digère pas les annonces de Marc Fesneau fin février porte de Versailles. Le ministre de l’Agriculture annonçait un fonds d’urgence pour la bio de 10 millions d’euros, soit environ… 166 euros par ferme.
« L’agriculture bio, c’est 20 % de l’emploi agricole, souligne Simon Le Fur, et pourtant elle reçoit moins de 1 % du plan d’urgence agricole du gouvernement. Si la filière bio n’est pas aidée, on va perdre des producteurs. »
« On a aussi besoin d’avoir des élus qui nous soutiennent »
Pour éviter déconversions et faillites, la pétition réclame au gouvernement, entre autres, de « débloquer une enveloppe de 150 millions d’euros, en phase avec ce qu’il développe pour des filières agricoles conventionnelles ». Face à « ce gouvernement sourd, indifférent à nos demandes », Pierrick de Ronne, président de la coopérative Biocoop, craint que la bio ne redevienne un marché de niche. « Le risque, c’est que des filières ne soient totalement déstructurées, comme celle du porc, alors qu’elles permettent aujourd’hui de se fournir en bio 100 % français. Il faudra alors des années pour les remettre en place », prévient-il.

Cette pétition sera-t-elle suffisante pour faire bouger les pouvoirs publics ? C’est ce qu’espère Simon Le Fur. « Elle commence à rassembler un certain nombre d’électeurs. On a aussi besoin d’avoir des élus qui nous soutiennent. Et on a l’espoir d’avoir de l’aide de la part de certaines régions. » La Bretagne vient par exemple de débloquer 5,5 millions d’euros pour la bio. Pierrick de Ronne place aussi des espoirs dans l’Union européenne, la Commission européenne se montrant très engagée sur ce sujet.
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Outre l’obtention d’aides publiques, le second enjeu est de convaincre les clients de (re)venir fréquenter les magasins bio. Pour cela, chaque enseigne développe sa propre stratégie commerciale. « On a décidé de se focaliser sur nos clients habituels en revoyant de fond en comble notre carte de fidélité », explique Damien Chalons, directeur de franchise chez Le Grand panier bio, qui compte une vingtaine de magasins en région Auvergne-Rhône-Alpes.
Depuis janvier, chaque semaine, les clients peuvent bénéficier de 20 % de réduction sur tout un rayon : la première semaine du mois sur les fruits et légumes, la deuxième sur le vrac, la troisième sur les produits frais, etc. Le montant de la réduction vient alimenter leur cagnotte, qui peut être utilisée sur tout autre achat dans le magasin, sans limites dans le temps.
Naturalia veut s’émanciper du tout bio, jugé austère et cher
De son côté, Naturalia (du groupe Casino) a opté pour une stratégie très différente, celle d’attirer de nouveaux clients en se démocratisant. « Nous constatons que les clients qui se détournent du bio — les plus néophytes, ou ceux qui mixaient avec du conventionnel dans leurs courses — gardent souvent une image du bio austère, chère, peu gourmande, pas très efficace », explique l’enseigne à Reporterre.
Les petits prix sont donc à l’honneur avec 3 000 produits proposés à moins de 5 euros, comme le lait à 0,99 euro ou la baguette à 0,95 euro, et 300 promotions. Mais au-delà du prix, Naturalia veut « s’émanciper du tout bio » pour proposer une offre axée sur « la santé et le plaisir ». Quitte à ouvrir ses rayons à des produits non bio — pour le moment uniquement dans le non-alimentaire, comme les cosmétiques, précise le distributeur.

Cela ne risque-t-il pas de brouiller encore un peu plus les repères du consommateur ? La filière bio accuse déjà le label Haute valeur environnementale (HVE) de créer la confusion chez les clients. Naturalia promet qu’il ne référencera pas de produits labellisés HVE ou Zéro pesticides « dont les critères sont en dessous de [ses] engagements ».
Mais, pour lui, « la simple communication sur le bio ne suffit plus pour convaincre les consommateurs ». Il annonce vouloir à terme réduire les produits très transformés, supprimer les nitrites et, d’ici janvier 2024, bannir les produits contenant de l’huile de palme.
Les produits bio ne sont pas toujours aussi chers qu’on le croit
Aux antipodes de cette position, Biocoop, le leader du marché, défend le « 100 % bio » et veut continuer à « creuser le sillon » dans lequel il est engagé depuis quarante ans. « Notre objectif premier, c’est de continuer à proposer des produits bio locaux, des produits bruts et de qualité afin de développer l’agriculture biologique et de relocaliser la production, explique Pierrick de Ronne. L’agriculture bio doit être au cœur de la transition écologique. »
Côté prix, le distributeur mise moins sur les promotions — qui représentent moins de 4 % du chiffre d’affaires de l’enseigne, contre environ 15 % chez ses concurrents — que sur ses 500 produits à « prix engagés », accessibles toute l’année. « On veut proposer le prix le plus juste et équitable pour tout le monde, du producteur au consommateur. Pour cela, il faut travailler en circuit court, avec des petits producteurs, ce qui limite la spéculation et permet aussi de gagner en agilité. »
« En bio, on a plus un problème d’image de prix qu’un problème de prix »
Mais comment lutter contre la grande distribution conventionnelle dans un contexte d’inflation ? Pour Simon Le Fur, d’Aventure bio, il faut faire passer l’idée que les produits bio ne sont pas toujours aussi chers qu’on le croit. « En bio, on a plus un problème d’image de prix qu’un problème de prix. » Ces derniers mois, avec l’inflation galopante observée dans les grandes surfaces, l’écart de prix avec le conventionnel s’est réduit, notamment sur les fruits et légumes, les pâtes, l’huile… Chez Biocoop, par exemple, on trouve de l’huile d’olive originaire d’Espagne à 8,95 euros le litre. « Sur ce produit, nous sommes en dessous des prix du conventionnel dans les grandes surfaces, où l’huile Puget non bio est vendue entre 9,50 et 10 euros le litre », explique Pierrick de Ronne.
« La bio ne bénéficie pas des mêmes subventions que le conventionnel, insiste Simon Le Fur. Et le conventionnel devrait coûter plus cher si le coût du pollueur-payeur était intégré au prix. » Aujourd’hui, les citoyens et citoyennes paient pour le traitement des pollutions liées à l’agriculture conventionnelle, notamment via leur facture d’eau. Et ça, c’est en plus de leur panier de courses.