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Politique

Présidentielle : Charlotte Marchandise veut être le haut-parleur des citoyen(ne)s

Charlotte Marchandise a été désignée candidate à l’élection présidentielle par laprimaire.org, émanation de la société civile dynamisée par les mouvements Nuit debout et contre la loi Travail. Rennaise, non encartée dans un parti, se disant « de gauche », elle souhaite exprimer le ras-le-bol du clivage entre élus et citoyens et promouvoir la démocratie participative.

  • Rennes (Ille-et-Vilaine), correspondance

Charlotte Marchandise est candidate à l’élection présidentielle. Elle a été élue par l’intermédiaire du site laprimaire.org, plateforme lancée en avril 2015 qui a organisé une primaire citoyenne à laquelle tout un chacun a pu se présenter et voter. Plus de 120.000 personnes se sont inscrites sur le site, des débats ont eu lieu dans différentes villes et le scrutin s’est déroulé en deux tours. Au second, le site a comptabilisé 30.000 votants et Charlotte Marchandise a recueilli plus de la moitié des voix. Soit plus que le nombre de votants à la primaire d’EELV (près de 14.000), et plus que les voix recueillies par Jean-François Copé à la primaire de la droite et du centre (12.174 voix).

La légitimité de la candidature de Charlotte Marchandise provient aussi d’un contexte politique général. Le mouvement social opposé à la loi Travail du printemps dernier a vu émerger une envie de démocratie qui s’est manifestée sur les places publiques. Les échanges entre « simples » citoyens portaient sur notre société, de l’écologie au racisme en passant à l’agriculture ou encore les institutions politiques. Sans le mouvement social et Nuit debout, Charlotte Marchandise ne serait pas là, elle en est certaine.

Elle a assisté plusieurs fois aux assemblées de Nuit debout à Rennes, n’a jamais pris la parole, a plutôt écouté et bien compris que la démocratie était au cœur des échanges. Le ras-le-bol était palpable, mais les propositions également. « Les outils numériques au service de la démocratie ont été très utilisés par Nuit debout, laprimaire.org fait la même chose, je m’inscris dans cette mouvance. »

Le sillon où les citoyens pourront prendre place dans le débat public 

Et puis, il y a des moments où les choses s’enchaînent bien, où la mayonnaise prend. Comme elle l’explique : « Nous avions tenté de fédérer des candidatures de la société civile aux dernières régionales, mais ça n’a pas marché, ce n’était pas assez mûr. Aujourd’hui, c’est différent. J’ai une expérience de militante, un parcours professionnel et là, il y a eu le mouvement social : on a profité de cela pour avancer. »

Attentive au mouvement Nuit debout dans sa ville, à Rennes, elle fait également référence à Barcelone où les militants liés à Podemos et aux Indignés ont obtenu la mairie de la ville catalane : « Le sujet, maintenant, c’est la suite : comment changer la vie des gens ? » Charlotte Marchandise s’inscrit dans cette ligne : utiliser le tremplin de l’élection présidentielle pour creuser le sillon où les citoyens pourront prendre place dans le débat public.

Charlotte Marchandise et la primaire.org viennent ainsi de franchir une première étape : présenter un candidat issu de la société civile. De nombreuses autres plateformes se sont aventurées ces derniers mois sur ce terrain, comme la primaire des Français portée entre autres par Corinne Lepage, mais aucune n’est parvenue au bout du processus avec un nombre suffisant de participants.

Le premier jour de Nuit debout à Rennes, parmi les nombreux habitants présents, Charlotte Marchandise (avec le manteau rouge, à droite).

Charlotte Marchandise fait partie de ces citoyens qui ne se retrouvent pas dans les partis politiques actuels, mais qui ne comptent pas pour autant laisser tomber et devenir abstentionnistes. Cette Rennaise de 42 ans se définirait plutôt par la dynamique inverse.

« Aujourd’hui, on dirait que la critique des politiques est l’apanage du FN » 

Femme au parcours professionnel riche de nombreux métiers, elle porte aujourd’hui plusieurs casquettes, dont celle d’adjointe en charge de la santé à la mairie de Rennes, depuis 2012. Une élue non encartée, mais affiliée à une liste commune à EELV et au Front de gauche.

Le fil rouge de son parcours pourrait être celui de la démocratie participative. En tant qu’élue locale, elle s’est fortement impliquée dans l’instance dédiée de la capitale bretonne, la Fabrique citoyenne. Elle est également à l’origine de capteurs de pollution de l’air distribués actuellement aux habitants de Rennes.

Les doubles discours l’horripilent. Ceux de Manuel Valls et de François Fillon en tête. « La distance entre les discours de François Fillon candidat à la primaire et ceux de François Fillon candidat à la présidentielle, franchement, ça ne donne pas confiance. » De même, Manuel Valls, fervent utilisateur de l’article 49-3, qui permet de faire passer des lois sans discussion à l’Assemblée nationale, a récemment affirmé qu’il voulait supprimer cet article, qu’il aurait utilisé sous la contrainte de députés. Une déclaration sidérante pour Charlotte Marchandise : « Comment avoir confiance dans les politiques qui tiennent un pareil discours ? Il ne se rend pas compte du mal qu’il fait à l’ensemble des élus qui travaillent sérieusement chaque jour. »

La défiance des citoyens envers les élus est un constat unanime, l’abstention est toujours importante, mais la critique des politiques est peu portée par les politiques eux-mêmes... Pour exprimer ce ras-le-bol, les citoyens semblent avoir le choix entre abstention et Front national. Une alternative que rejette catégoriquement Charlotte Marchandise. « Refuser de reconnaître les difficultés et les ratés de notre système, c’est laisser le champ libre au Front national. Aujourd’hui, on dirait que la critique des politiques est l’apanage du FN, qui d’ailleurs n’a aucune proposition sur le sujet et est critiquable quand on regarde son implication dans les Panama Papers et autres scandales. »

Les politiques doivent apprendre à dire « je ne sais pas » 

Selon elle, il serait au contraire sain de regarder les choses en face : « Nous avons le droit et le devoir de dire que telle ou telle chose ne fonctionne pas ; et à partir de là, on peut travailler et proposer autre chose. Il faut sortir des mesurettes comme la baisse des privilèges des anciens présidents, ou le non-cumul des mandats, mais pas appliqués tout de suite, et pas pour tout le monde. Regardez Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense et président de la région Bretagne. »

« Les politiques disent : “Je vais faire ci, je vais faire ça”, comme s’ils avaient une réponse à tout. Il faut sortir de ça, il n’y a pas d’homme providentiel et personne n’a de diplôme dans tous les domaines. » Charlotte Marchandise joue plutôt la carte de l’humilité ; selon elle, les politiques doivent apprendre à dire « je ne sais pas », à remettre en cause leurs analyses. « Il faut passer par les experts des domaines concernés, juristes, scientifiques, sociologues ; mais aussi et surtout par les publics concernés. Comment faire une politique de la jeunesse sans parler aux jeunes ? C’est absurde. » Pour elle, la politique concerne la population, il est donc nécessaire de parler avec elle et de lui laisser sa place dans le débat.

Lors du banquet de rentrée de Nuit debout Rennes, en septembre 2016.

Pour y parvenir, Charlotte Marchandise privilégie les réseaux sociaux : elle préfère organiser des rendez-vous en petit comité sur le terrain avec un relais sur internet qui permet à des milliers de personnes de suivre les échanges. Un exemple de sa méthode : « Je vais à un rendez-vous consacré à l’évasion fiscale [à Dax, lundi 9 janvier], je suis peut-être la moins au fait des débats, ma spécialité c’est la santé. Et bien, je vais interroger des experts, écouter les analyses des uns et des autres, les relayer sur les réseaux sociaux pour que tout le monde puisse en profiter, et ainsi forger une position, des propositions. »

« C’est comme ça qu’on fait de l’intelligence collective » 

Une de ses sources d’inspiration est le candidat états-unien Bernie Sanders. « Il a passé beaucoup de temps avec des leaders de communautés, c’est-à-dire des personnes-relais autour de la question du travail, de la santé, de l’écologie et ainsi de suite ; tout en utilisant les réseaux sociaux. Écouter et faire remonter la parole des citoyens dans le débat public, c’est intéressant et constructif ; c’est comme ça qu’on fait de l’intelligence collective. »

La candidate refuse le clivage gauche-droite où chacun campe sur sa ligne de front. « J’entends souvent des gens dire “sur les entreprises, je suis de droite ; mais socialement, je suis de gauche”. Il faut être capable de travailler avec tout le monde, tant que nous avons des valeurs communes. » Elle ne le cache pas cependant : travailler avec François Fillon « serait très difficile »

Ses valeurs, elle les égrène : humanisme, transition, justice sociale, paix. « Je suis une femme de gauche, mais je peux me reconnaître dans des idées et propositions qui vont de l’extrême gauche au centre droit. » Les valeurs sont posées, le cadre commence à se dessiner, avec l’objectif d’une refonte de la Constitution d’ici à deux ans, le recours aux jurys citoyens. Le programme, lui, est encore flou, il doit s’affiner au fil des échanges durant la campagne.

Réaliste sur ses faibles chances de devenir présidente de la République, Charlotte Marchandise est pragmatique. « Aucun mouvement citoyen n’est en capacité aujourd’hui de porter une parole nationale pendant les législatives. Le débat se passe pendant la présidentielle, qui précède de peu les législatives. » Pour ces dernières, des candidats issus de la société civile pourraient se lancer, comme François Ruffin, réalisateur du film Merci patron ! et fondateur du journal Fakir. Et un peu plus loin dans le calendrier, en 2020, il y aura les élections municipales. De quoi se donner le temps de fédérer les multiples mouvements citoyens existants.

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