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Procès de Bure : « Aucune peine ne saurait faire taire ma révolte contre le nucléaire et son monde »

Devant le tribunal de Bar-le-Duc, le 1er juin.

Mardi 1er juin s’est tenue la première journée du procès des militants contre le projet d’enfouissement des déchets nucléaires Cigéo. Les sept personnes poursuivies pour association de malfaiteurs ont décidé de mener une défense collective pour politiser ce procès.

Les 1er, 2 et 3 juin se tient à Bar-le-Duc le procès de sept militants qui luttent contre le projet Cigéo d’enfouissement des déchets radioactifs. Ils sont soupçonnés d’association de malfaiteurs. Reporterre, présent sur place, fait le récit quotidien des audiences et des mobilisations de soutien aux prévenus.


Bar-le-Duc (Meuse), reportage

C’est un drôle de procès qui s’est ouvert mardi 1er juin à Bar-le-Duc (Meuse). Un procès où certaines parties civiles se sont désistées. Où la justice a dépensé 1 million d’euros pour surveiller des militants contre le projet d’enfouissement de déchets nucléaires Cigéo. Où les prévenus ont décidé de ne pas répondre aux questions du tribunal. Où ils ont choisi de mener une défense collective. Où près de 800 personnes sont venues les soutenir dans leur combat.

Bref, un procès politique, n’en déplaise au président du tribunal, Sylvain Roux, qui a lancé un avertissement dès le début de l’audience : « Il ne s’agit ni d’une salle de spectacle ni d’une tribune politique. Le tribunal est très attaché à la sérénité des débats et n’hésitera pas à procéder à l’expulsion de la salle d’éventuels éléments perturbateurs. » Mais occulter le contexte de cette affaire relève d’un difficile exercice d’équilibriste comme le constate Me Raphaël Kempf, l’un des huit avocats des prévenus : « C’est un procès politique en raison de l’accusation et du comportement du parquet et de la justice qui visent à criminaliser des actions contre le nucléaire dans la Meuse. »

© Grégory Mardon/La Revue dessinée

Sept personnes comparaissent donc pour dégradation et vol en réunion, organisation d’une manifestation non déclarée, attroupement après sommation de dispersion, détention d’éléments entrant dans la composition d’engins incendiaires ainsi qu’association de malfaiteurs en bande organisée. Le président du tribunal a également évoqué l’incendie de l’hôtel-restaurant du Bindeuil le 21 juin 2017 ainsi que la dégradation de l’« écothèque » de l’Andra [1] en février de la même année. Mais aucun prévenu n’est poursuivi pour ces deux derniers faits, pour lesquels un non-lieu a été rendu. Seule l’organisation de la manifestation non déclarée du 15 août 2017 leur est reprochée. Ce jour-là, des affrontements entre les opposants à la poubelle nucléaire et les forces de l’ordre ont eu lieu ; des journalistes ont notamment été visés par les gendarmes, et un militant a été grièvement blessé. Reporterre a filmé et raconté cette journée.

« Face au tribunal, nous avons décidé que c’était la lutte qui allait comparaître » 

Les prévenus ont décidé de ne pas répondre personnellement aux questions du tribunal, optant pour une défense collective : « Nous sommes dans un dispositif qui essaie d’individualiser des actes collectifs dont les responsabilités sont tournantes. Ainsi, face au tribunal, nous avons décidé que c’était la lutte qui allait comparaître. Il n’est pas question d’être jugé individuellement car nos responsabilités sont collectives », expliquait à Reporterre l’un des sept prévenus. Certains ont en revanche choisi de lire un texte très personnel et émouvant, expliquant ce qu’ils ont subi pendant ces quatre années de procédure et sur les ressorts de leur engagement.

« Je continuerai à défier le nucléaire, Cigéo et leur monde. Face à leur obscure et violente puissance, aucune peine ne saurait faire taire ma révolte et briser mes irradieuses amitiés », a déclamé Angélique, l’une des prévenues. Elle également a cité le géographe anarchiste Élisée Reclus : « L’homme vraiment civilisé doit comprendre que son intérêt propre se confond avec l’intérêt de tous et celui de la nature elle-même », disait le communard.

© Grégory Mardon/La Revue dessinée

Florian, dont les parents travaillaient chez EDF, explique avoir attendu vingt-cinq ans avant de se questionner sur le nucléaire. Il a demandé à la fin de son discours si l’on pouvait éteindre les lumières de la salle d’audience. Joël a rappelé les 20 164 pages du dossier d’instruction qui détaille leurs « envies, leurs contradictions, accords et désaccords » et a posé une question : « Serez-vous les acteurs de cette généralisation et de l’extension des dispositifs judiciaires qui instituent progressivement une justice préventive et le délit d’intention ? »

« C’est une audience politique et nous voulions soutenir la cause en faisant valoir notre liberté de manifester » 

Est venue ensuite une litanie relatant quatre ans d’enquête contre les antinucléaires à Bure. Tout y passe, des numéros de téléphone à la lecture des SMS et des mails échangés dans le cadre de l’organisation de la lutte. Transparaissent aussi les doutes et les incertitudes des prévenus, comme lorsque Joël avoue qu’il ne se sent « pas grandi de ce 15 août. J’en sors plus affaibli que je ne l’ai jamais été (…) ». C’est pourtant sur lui, ainsi que sur Angélique et Florian, que pèsent le plus de charges. Ils sont notamment accusés de « contrôler » la Maison de résistance, à Bure, lieu qui aurait permis d’organiser cette manifestation du 15 août. Mais sont-ils pour autant responsables de la tournure prise par les évènements ? C’est tout l’enjeu du dossier.

« A-t-on jamais vu la CGT être poursuivie pour des dégradations commises en marge de manifestations qu’elles organisent en disant “qu’elle ne pouvait ignorer que” ? C’est pourtant la façon dont ils procèdent dans l’acte d’accusation. C’est une critique qui est politique dans son essence et qui reproche aux prévenus une modalité de lutte vis-à-vis de laquelle ils ne veulent pas se dissocier. S’ils organisent cette manifestation, ils ne le font pas en espérant que des dégradations soient commises, ils le font en espérant que l’attention publique soit attirée sur la question de l’enfouissement des déchets nucléaires », explique Me Matteo Bonaglia, l’un des avocats de la défense.

© Grégory Mardon/La Revue dessinée

Si les prévenus ont décidé de ne pas répondre aux questions du tribunal, ils ont également choisi de sécher le début de l’audience du mardi après-midi afin de participer à la manifestation qui était organisée pour les soutenir. Le tout en compagnie de six de leurs huit avocats. « C’est une audience politique et nous voulions soutenir la cause en faisant valoir notre liberté de manifester », explique Me Muriel Rueff, l’une des avocates. Ainsi, la salle d’audience était bien vide à la reprise des débats vers 14 heures. Après avoir terminé la lecture de l’ensemble des charges, le président du tribunal semblait presque un peu perdu, faute de personnes à interroger.
« Est-ce qu’on sait à quelle heure vont revenir les prévenus ?
— La manifestation doit revenir vers 16 heures
, lui répond un avocat de la défense.
— Il me semble qu’on prend en otage votre juridiction, Monsieur le président, s’emporte le procureur. Or, vous êtes très à l’écoute de la défense. Et la seule obligation qu’on vous impose c’est de suspendre l’audience et d’attendre qu’ils reviennent. »

Ladite audience a finalement été suspendue et reprendra mercredi 2 juin. « Cela prouve qu’ils [les juges] n’ont déjà plus rien à dire », conclut l’un des avocats.

© Grégory Mardon/La Revue dessinée

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