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Culture

Survivre et vivre, retour sur le mouvement qui a initié l’écologie politique

Dans les années 1970, le mouvement Survivre et Vivre, autour du mathématicien Alexandre Grothendieck, qui s’est éteint le 13 novembre 2014, lançait la critique de la science et l’écologie politique.

Dans l’après 68, Survivre et Vivre, le mouvement de scientifiques critiques rassemblés autour du mathématicien Alexandre Grothendieck, dénonce la militarisation de la recherche et l’orientation mortifère du progrès scientifique. Ces « objecteurs de recherche » participent activement au mouvement anti-nucléaire de l’époque en s’introduisant le 13 avril 1972 dans l’enceinte du CEA de Saclay dans la trompeuse intention d’animer une conférence-débat sur le thème « Progrès et recherche scientifique ».

Quarante ans avant Greenpeace à Fessenheim, ils entendent dénoncer par ce coup d’éclat les fûts fissurés entreposés à « titre provisoire » depuis 1948 à Saclay et montrer que la seule solution au problème des déchets est de ne plus en faire, c’est à dire d’abandonner l’énergie nucléaire.

Cette campagne est aussi l’occasion de contester les experts de l’atome qui pour les « empêcheurs de polluer en rond » de Survivre et Vivre sont incapables de concevoir une vue d’ensemble des problèmes et de penser en terme de finalité.

Cette anecdote et bien d’autres sont racontées par Céline Pessis. L’un des grands intérêts du livre, dans lequel sont rassemblés les principaux textes de la revue Survivre … et Vivre éditée de 1970 à 1975 par le mouvement éponyme, est la longue et passionnante introduction qu’écrit cette spécialiste de la genèse de l’écologie politique (Céline Pessis a également coordonné Une autre histoire des trente glorieuses. Modernisation, contestations, pollutions dans la France d’après-guerre », La Découverte, 2013).

Elle y raconte les liens entre Alexandre Grothendieck et ses comparses (le mathématicien et écrivain Denis Guedj, le dessinateur Guy Savard) et les premiers mouvements écologiques (les Amis de la Terre, le Comité de lutte écologique et l’association Pollution-non).

On croise aussi Barry Commoner, l’auteur de « The closing circle » en 1971, et Pierre Fournier, l’inoubliable créateur en 1972 de La Gueule Ouverte, « le journal qui annonce la fin du monde ». L’historienne explique aussi très bien les connexions avec le mouvement écologiste tiers-mondiste pensé par Ivan Illich ou René Dumont et le recours à la non violence comme acte de désobéissance civile d’inspiration gandhienne.

Sous sa plume, le mouvement Vivre et Survivre est restitué dans son contexte pour ce qu’il a été : quelques degrés de plus dans le bouillonnement idéologique du début des années 70.

L’autre grand mérite du livre est refaire parler les textes de Survivre et … Vivre qui connurent à l’époque plus qu’un succès d’estime – le tirage de la revue a atteint douze mille exemplaires. Dès le premier numéro paru en août 1970, le ton est donné. Alexandre Grothendiek dénonce le fait que « les savants poursuivent trop souvent leurs travaux sans souci des applications qui peuvent être faites, qu’elles soient utiles ou nuisibles, et de l’influence qu’ils peuvent avoir sur la vie quotidienne et l’avenir des hommes ».

- Alexandre Grotendieck -

Les « lanceurs d’alerte » du mouvement dénoncent aussi la collusion qui s’installe entre la plupart des scientifiques qui « se laissent volontiers cajoler par l’Etat, voire chouchouter par les militaires, se coulant avec aisance dans leur nouveau rôle d’entrepreneur/euses ou de philosophes médiatiques » . Le mot lobby n’est pas encore né en français mais les experts de l’atome, les fervents de la modernisation agricole et les technocrates du béton ont déjà entrepris le noyautage des institutions et le lavage des cerveaux.

La parution de « Survivre et Vivre, critique de la science ; naissance de l’écologie » est enfin l’occasion de rendre hommage à Alexandre Grothendieck lui même. Quel personnage étonnant que ce mathématicien de génie, lauréat de la médaille Fields, auquel le magazine La Recherche consacre fort opportunément un dossier dans son numéro d’avril 2014.

On y apprend pourquoi il inspire les mathématiciens du XXIe siècle. On y apprend surtout que ce personnage haut en couleurs né en 1928 à Berlin vit en accord avec ses idées. Il s’est retiré brusquement de la communauté scientifique en 1971 et coule depuis des jours que l’on espère paisibles dans un petit village pyrénéen en refusant tout contact avec les medias.

-  Philippe Desfilhes


-  Survivre et vivre. Critique de la science, naissance de l’écologie, Coordonné par Céline Pessis, Editions l’Echappée, 480 pages, 25 euros

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