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Politique

Tuto : 4 moyens pour que votre liste citoyenne emporte la mairie en 2026

Saillans est devenue la capitale de la « démocratie participative » depuis l'élection de Vincent Beillard (au centre, en bleu) à la mairie avec une liste citoyenne. Ici, en 2015.

Et si vous montiez une liste aux municipales de 2026 ? Voici la recette pour vous emparer de la mairie, et promouvoir la transition écologique et sociale.

Cet article est le troisième de notre série « Tuto des luttes », issue de conférences et de formations qui se déroulaient du 3 au 6 août dans le Larzac, aux Résistantes, un évènement réunissant près de 150 collectifs des luttes locales de France.



Y aura-t-il un sursaut des listes citoyennes et participatives aux prochaines élections municipales de 2026 ? Pas impossible : en 2020, entre 600 et 800 listes citoyennes et participatives sont apparues… contre une dizaine en 2014. Leur credo ? Rendre aux habitants le pouvoir de décider de la politique locale.

Reste qu’il y a encore du travail à faire : en 2020, seules 66 communes ont été remportées par ces listes. Alors comment faire pour tenter sa chance, et déloger le maire notable trônant sans opposition depuis bien trop longtemps ? Faut-il faire du porte-à-porte ? Comment écrire un programme ? Qui choisir en tête de liste ?

Début août, aux rencontres Les Résistantes dans le Larzac, la coopérative Fréquence commune, qui accompagne des expériences concrètes de démocratie par le bas, a tenté de dresser la recette pour « Pécho ta mairie en 2026 ». Premier enseignement : le moment idéal pour se lancer… c’est maintenant !

1. Constituer une liste et en choisir sa tête

Au tournant des années 2010, un projet d’implantation de supermarché est venu perturber la quiétude du petit village drômois, Saillans. « À quoi bon ? s’interroge encore Vincent Beillard, veilleur de nuit dans une maison d’accueil pour personnes polyhandicapées. Nous avions déjà une pharmacie, une librairie, un chocolatier, une boulangerie... » Alors, face à la surdité du maire, la lutte a commencé et la bataille fut victorieuse. « Cet épisode a constitué un noyau d’habitants déterminés, dit celui qui allait devenir maire. Nous étions en septembre 2013, à quelques mois des municipales… alors on s’est dit, pourquoi ne pas y aller ? Et on a gagné la mairie. »

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Partir d’un groupe cœur de cinq à dix personnes, constitué bien en amont des élections et à l’écart de toute ambition politique… Voilà peut-être la solution. Non partisanes, ces listes échappent ainsi aux diktats des partis. Faut-il pour autant refuser l’entrée à tous les encartés ? « Non, nuance Lisa Daoud, accompagnatrice à Fréquence commune. Il ne faut pas tout jeter. En 2020, à Castanet-Tolosan, une liste citoyenne et participative a été élue… avec à sa tête, un membre d’EELV. Seulement, il ne l’affiche pas et déroge volontiers à la ligne directrice de son parti. »

Petit à petit, un tissu local se forme auprès des associations, dans les commerces ou au marché. Une fois les motivés suffisamment nombreux, vient l’heure de la réflexion sur la désignation de la tête de liste. Autant dire qu’il y a l’embarras du choix. La méthodologie la plus courante est celle de l’élection sans candidat. Il y a aussi celle du plébiscite, similaire aux parrainages de la présidentielle, ou encore celle des speed dating, où tous les prétendants s’assoient à une table et rencontrent en tête-à-tête les habitants.

Mairie de Bourg-lès-Valence (Drôme) lors des élections législatives de juin 2022. © Nicolas Guyonnet / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

« Un tirage au sort, sur le cadastre, peut aussi être imaginé, complète Thomas Simon, l’un des fondateurs de la coopérative. On se rend alors chez l’heureux élu, souvent novice en politique, pour lui proposer de se présenter. » De ces modes opératoires sophistiqués émergent « de nouveaux profils de candidats et d’élus avec une forte tendance au rajeunissement, notamment féminin », observait la chercheuse, Myriam Bachir, dans le dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, la démocratie et la citoyenneté DicoPart.

2. Fabriquer un programme avec les habitants…

Bâtir un programme est sûrement l’étape à ne pas manquer. Là encore, différentes recettes existent. Pour Lisa Daoud, également conseillère municipale à Buis-les-Baronnies (Drôme), « un cadre non-négociable d’orientations chères et de lignes rouges à ne pas franchir » doit être établi d’entrée de jeu. En partant de ce socle, des enquêtes de terrain peuvent être menées auprès des habitants : « Qu’est-ce qui vous met en colère ? Comment y remédier ? Vous trouvez qu’il y a un souci d’insécurité, votre voisin aussi. Venez participer à une réunion pour savoir quelles solutions on peut trouver », narre Thomas Simon.

À Saillans, Vincent Beillard et ses colistiers ont eux décidé de rompre avec les promesses électorales, en se présentant sans programme : « En faire un, c’était trahir l’idée de rendre le pouvoir aux habitants, par la participation. » Une fois l’élection terminée, chacun a donc été invité à s’investir dans des commissions aux thématiques variées, où les décisions sont prises : « Notre position était claire, poursuit l’ancien édile. Notre avis ne devait pas compter plus que celui d’un simple citoyen. Par conséquent, j’ai dû acter des mesures allant à l’encontre de mes propres valeurs. Un exercice vraiment pas évident ! »

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Quelle que soit la méthode utilisée, cette élaboration doit s’opérer en présence d’une mixité sociale forte, et non dans l’entre-soi du militantisme écologiste. Or, inciter les citoyens à participer aux réunions n’est pas une mince affaire : « Beaucoup y rechignent, épuisés d’avance par les interminables discussions ne débouchant sur rien de concret », poursuit Thomas Simon. La capacité à animer ces moments d’échange, de façon ludique et structurée, est capitale. « Il faut instaurer des contraintes de temps, pour éviter les hors-sujets, choisir une salle conviviale et penser à amener de l’apéro », sourit sa collègue.

3. … et savoir leur faire confiance, une fois élus

« La fonction publique est un vieux mammouth qui peine à évoluer. » Bientôt quarantenaire, Laëtitia Hamot est maire de La Crèche, dans les Deux-Sèvres. « En débarquant en 2020, j’ai été confrontée à des agents municipaux complètement déboussolés par l’absence d’ordres. Jamais ils n’avaient connu d’édile ne décidant pas seul. » Les plus sceptiques craignaient que ce fétichisme des nouveaux dispositifs de démocratie directe prime sur le sens politique. À cette appréhension, Laëtitia Hamot rétorque que les habitants sont bien plus au fait de la cohérence globale des décisions prises, que les élus n’étant que de passage.

Saillans (ici en 2018) est le symbole de la démocratie participative. Flickr/CC BY 2.0/Jeanne Menjoulet

À Saillans, la même question s’est posée. À mi-mandat, alors que la municipalité continuait à travailler sans programme, les citoyens eux-mêmes ont fini par réclamer une réflexion politique au long cours. « Celle-ci a pu être définie, toujours en collaboration avec les villageois, via la révision du plan local d’urbanisme », se souvient l’ex-maire.

Avec plus de 13 millions de voix exprimées pour Marine Le Pen, au second tour de l’élection présidentielle de 2022, la présence de sympathisants d’extrême droite parmi les citoyens appelés à participer est indéniable. Alors que faire ? « À l’échelon local, dès lors qu’on parle du prix de la cantine ou de la gestion de l’eau, presque tout le monde est d’accord, analyse le fondateur de Fréquence commune. Certains se révèlent anticapitalistes, alors même que ce mot leur brûle les lèvres. Aller chercher ces gens-là sur du concret est la meilleure façon de lutter contre le fascisme. »

4. À défaut d’alliances, entrer en lutte

Les dynamiques transitionnelles, amorcées par les listes citoyennes et participatives, se heurtent souvent au blocage d’autres institutions politiques. En 2020, la question de la conquête des intercommunalités est restée dans l’angle mort. « Mises sous tutelle, privées de leurs compétences, les communes sont dans l’impasse si elles n’ont pas l’appui de l’interco, prévient Lisa Daoud. On ne peut pas se lancer en 2026 sans une réflexion à ce sujet. »

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Seulement, décrocher une majorité dans ce conseil requiert un jeu d’alliance qui « n’a rien d’évident, témoigne Laëtitia Hamot. Sur mon territoire, la seule commune dont on est proche n’est pas sur la même interco. D’où la nécessité de voir fleurir des candidatures citoyennes partout en 2026 ! » À défaut d’y parvenir, reste l’option de la lutte : « Certaines communes sont allées jusqu’à mobiliser les tracteurs de leurs agriculteurs pour bloquer les pelleteuses de l’interco », relate Lisa Daoud.

Cette opposition vaut aussi face à l’État. À La Crèche, l’équipe municipale s’est positionnée en défaveur aux projets de mégabassines, bien qu’aucun d’entre eux n’empiéte sur la commune. « Le jour de la manifestation à Sainte-Soline [en mars dernier, dans les Deux-Sèvres], la préfecture envisageait de stationner les gendarmes chez nous. Elle a vite compris que si elle le faisait, on leur crèverait les pneus », ajoute l’édile. Au même titre, à force de refuser les autorisations de battue aux renards, malgré les réprimandes, le préfet a fini par baisser les bras sur ce dossier.

Gagner des communes... et réussir à les garder. Telle est la mission des listes participatives et citoyennes pour les années à venir. En 2020, Vincent Beillard et ses collègues ont manqué, à dix-huit voix près, de signer pour un second mandat. La surmédiatisation de Saillans, devenue laboratoire de la démocratie directe sans le vouloir, et le choix de la transparence ont donné du grain à moudre à l’opposition. « Ce n’est pas un échec pour autant, positive l’ancien élu. Ça nous permet de souffler un peu, avant de mieux repartir ! »

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