Faune menacée, pollutions… Non au rallye dans le Lot

Souvent, les accidents de voiture entraînent la pollution des cours d'eau alentours.
Souvent, les accidents de voiture entraînent la pollution des cours d'eau alentours.
Durée de lecture : 7 minutes
Luttes NaturePollutions des eaux, destruction du patrimoine, perturbations de la faune… Dans cette tribune, le collectif « Ici on vit bien sans le rallye Castine » appelle les élus à annuler le passage de la course dans le département.
Christian Fages est ingénieur retraité, élu au conseil municipal de Martel. Il est membre du collectif « Ici on vit bien sans le rallye Castine » (détournement du slogan touristique « On vit bien dans le Lot »), fondé début 2023.
Le Lot, dans le sud-ouest de la France, est un de ces départements riches de nature sauvage. Dans son nord-ouest, de vastes étendues de causses, ponctuées de vallées profondes, accueillent des espèces protégées comme le circaète Jean-le-Blanc, un impressionnant rapace migrateur qui atteint en volant 1,80 mètre d’envergure.
Après un long voyage de plusieurs milliers de kilomètres depuis les forêts d’Afrique centrale, il traverse la vallée de la Doue, non loin de la cité médiévale de Rocamadour, et remonte vers les rochers abrupts qui la dominent. Sans doute trouve-t-il là, dans cet espace rocailleux (riche en reptiles) où seule s’entend la musique de l’eau et du vent, l’écosystème qui lui convient pour se reproduire, entre fin mars et mi-mai. Si tout va bien, son unique jeune de l’année — il ne pond qu’un œuf par couvée une fois par an — repartira au début de l’hiver prochain vers les contrées chaudes.
Si tout va bien. Car cet oiseau au chant flûté est très méfiant : à la moindre perturbation sonore ou visuelle, il abandonne le nid et son petit. Alors comment va-t-il réagir au passage du rallye automobile Castine, qui va déferler sur la région du 5 au 7 mai ? Va-t-il tolérer le bruit assourdissant de deux hélicoptères et 160 bolides fonçant à des vitesses démesurées sur des chemins ruraux non goudronnés (90-100 km/h, voire beaucoup plus) ? Lui qui fuit au passage de joggeurs…
Des espèces malmenées
Quand l’heure est au réchauffement climatique, à la sixième extinction des espèces, à l’appauvrissement de la ressource en eau, comment ne pas s’étonner qu’un tel rallye puisse encore avoir lieu dans un écosystème déjà malmené par des sécheresses à répétition ?

Si les espèces protégées pouvaient parler, elles diraient sans doute le danger. Celles vivant à même le sol, par exemple, comme le lézard ocellé, qui a tout à craindre de ces voitures si puissantes qu’en passant elles ravinent les chemins, produisant des ornières de 30 à 40 centimètres. Ou celles évoluant dans la proximité de l’eau, telles la libellule agrion de Mercure ou les écrevisses, notamment quand le chemin emprunté épouse le lit de la Doue, un ruisseau résurgent. Car les boues de ruissellement du chemin, avec leur pollution de lubrifiants et d’hydrocarbures rejetés par les véhicules, s’y déversent inéluctablement.
En période de canicule, les écrevisses survivent en s’enfonçant dans le sol humide. Pourront-elles encore le faire si ce sol est pollué par ces substances huileuses ? L’équilibre des écosystèmes est désormais fragile ; une atteinte de plus peut leur être fatale.
Protéger le patrimoine
De même, pour nous, humains, l’urgence n’est-elle pas de protéger les nappes phréatiques ? Les Lotois ont une chance, si la terre est aride, le climat chaud l’été, le sous-sol du département est riche en grottes, rivières souterraines, gouffres — comme celui de Padirac. Mais il faudrait protéger ce patrimoine aquifère avec soin car les sols calcaires de la région absorbent l’eau sans aucun filtre (contrairement aux terres alluviales).
Les éventuelles pollutions d’hydrocarbures se retrouvent donc vite dans les nappes phréatiques, comme cela fut le cas, l’an dernier, avec une voiture accidentée près de la réserve d’eau de Saint-Namphaise, à Barrières. Cela est-il acceptable au regard des durées très longues de renouvellement de ces nappes : plusieurs années pour les premières, des centaines d’années pour les plus profondes ?

Enfin, après la faune et l’eau, c’est le patrimoine rural que malmène ce rallye d’un autre âge. De nombreux murets de pierre, typiques du paysage architectural lotois, ont subi les assauts incontrôlés de ces bolides, tout comme des murs longeant les chemins. Espérons que les dolmens et autres vestiges archéologiques de Barrières n’en souffriront pas trop.
La réponse des municipalités à ces dégradations : les arrêtés municipaux encadrant la circulation du rallye prévoient leur réparation. Mais un écosystème n’est pas une machine qu’on rafistole. Le sable caillouteux déposé sur certains chemins pour, prétendument, les restaurer a fui dès le premier orage…
Le tourisme doit s’adapter aux contraintes des milieux
Dans cette partie du Lot où resplendissent les joyaux touristiques de Rocamadour et du gouffre de Padirac, les beaux discours ne manquent pas pour vanter le développement durable et la protection de la biodiversité. Malheureusement, ils ne sont souvent qu’une vitrine. En coulisses, les élus continuent à donner tous les droits au tourisme et à l’économie sur la nature.
Ainsi le rallye Castine :
- s’assoit sur les conventions de Berne et de Bonn (1979), protectrices des espèces migratrices, dont le circaète Jean-le-Blanc. Et s’impose au mépris des plus élémentaires précautions — la nidification d’espèces protégées ;
- menace de pollutions d’hydrocarbures le ruisseau de la Doue, qui, via des rivières souterraines, rejoint la Dordogne, classée Natura 2000 (appellation pour des sites destinés à « protéger un certain nombre d’habitats et d’espèces représentatifs de la biodiversité européenne »). Sans compter que les eaux de la Doue sont consommées par des riverains qui ne bénéficient pas d’adduction d’eau.
- On pourrait aussi parler de la mise en danger de la zone humide longeant le Vignon, répertoriée dans l’inventaire Znieff (zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique), lancé en 1982 pour protéger des zones de biodiversité remarquables.
« Consommer la nature n’est plus acceptable »
Mais le but n’est pas de produire un dossier à charge, juste de montrer que consommer la nature comme on va au McDonald’s n’est plus acceptable, si ce n’est à fouler du pied les nécessités écologiques et les engagements pris par les collectivités. D’ailleurs, le Lot n’a-t-il pas tout pour promouvoir un autre tourisme, vraiment durable, qui répondrait à l’appel de l’Unesco en changeant les relations des individus à la biodiversité ?

De nombreux Lotois en sont convaincus — la création d’associations comme Rêves de pierres, fondée récemment pour préserver le site de Barrières, le montre. C’est pourquoi leur demander, par courrier, de rester enfermés chez eux toute une journée pendant qu’un rallye piétine impunément leur environnement, en leur refusant toute concertation, n’est plus acceptable.
Élus et décideurs du nord du Lot, le monde change, protégeons nos derniers sanctuaires. Refusons le passage de ce rallye destructeur. Pour nous, pour le circaète Jean-le-Blanc, qui ravit nos yeux et nos cœurs, et pour que tous, humains et non-humains, « vivent vraiment bien dans le Lot » !