Bilan de Nicolas Hulot : décevant, trop décevant

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Sur France Inter mardi 28 août, Nicolas Hulot a dressé un bilan critique de l’action environnementale du gouvernement Philippe. Reporterre détaille les points relevés par le désormais ex-ministre.
Il y a un peu plus d’un an, le 17 mai 2017, Nicolas Hulot prenait la tête d’un grand ministère de la Transition écologique et solidaire. Ministre d’État, numéro 3 du gouvernement Philippe dans l’ordre protocolaire, il avait sous sa houlette la ministre chargée des Transports et deux secrétaires d’État. Ce mardi 28 août, il a finalement jeté l’éponge : « Je ne veux pas donner l’illusion que ma présence au gouvernement signifie qu’on est à la hauteur sur ces enjeux-là. Et donc je prends la décision de quitter le gouvernement », a-t-il annoncé sur France Inter. Même s’il n’a pas souhaité lors de son interview faire une « liste » des bons et mauvais points de son action, Nicolas Hulot a dressé, en filigrane, un bilan mitigé de la politique environnementale du gouvernement d’Édouard Philippe. En voici les principaux points.
Nous faisons des petits pas et la France en fait beaucoup plus que d’autres pays. Mais est-ce que ces petits pas suffisent à endiguer, à s’adapter parce que nous avons basculé dans la tragédie climatique ? La réponse est non. Est-ce que nous avons commencé à réduire les gaz à effet de serre, l’utilisation des pesticides, l’érosion de la biodiversité, l’artificialisation des sols ? La réponse est non. »
(Nicolas Hulot, le 28 août sur France Inter)
Agriculture et alimentation
La transition agricole est l’un des principaux regrets de l’ex-ministre de l’Écologie.
Je n’ai pas réussi à créer une complicité de vision avec le ministre de l’Agriculture, alors que nous avions une opportunité absolument exceptionnelle de transformer le modèle agricole (…) Nous pouvions impulser un modèle agricole intensif en emplois et non pas intensif en pesticides (…) Je ne peux pas passer mon temps dans des querelles avec Stéphane Travert (…) La remise en cause du modèle agricole dominant n’est pas là. »
(Nicolas Hulot, le 28 août sur France Inter)
Peu après son arrivée au gouvernement, Nicolas Hulot s’est vu écarté du pilotage des états généraux de l’agriculture et de l’alimentation, qu’il avait pourtant impulsés. Après ce premier revers face à Stéphane Travert, les choses sont allées de mal en pis. Tant et si bien qu’en décembre dernier, le ministre a carrément boycotté la clôture de cette grande messe pensée pour révolutionner l’agriculture.
Par la suite, le projet de loi Agriculture et Alimentation, censé traduire les ambitions des états généraux, a fait l’objet de multiples tractations, souvent défavorables à la préservation de la biodiversité. Ainsi, pas d’inscription de l’interdiction du glyphosate dans la loi ni de trajectoire claire de sortie des pesticides. À mettre au crédit de Hulot et des défenseurs de l’environnement cependant, quelques avancées : l’obligation d’avoir 50 % de produits sous signes de qualité dans les cantines et l’extension de l’interdiction des néonicotinoïdes. Succès qui devront être confirmés ce mois-ci lors du vote définitif du texte à l’Assemblée nationale.

Nucléaire et transition énergétique
Le plus marquant des renoncements de Nicolas Hulot restera sans doute l’annonce le 7 novembre dernier que la baisse du nucléaire à 50 % dans le mix énergétique d’ici 2025 ne serait pas atteinte.
Le nucléaire, cette folie inutile économiquement, techniquement, dans lequel on s’entête, c’est aussi un des sujets sur lesquels je n’ai pas réussi à convaincre. »
(Nicolas Hulot, le 28 août sur France Inter)
Plus globalement, l’action gouvernementale en matière de transition énergétique ne s’est pas à ce jour traduite en mesures claires. La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui doit définir la politique énergétique de la France jusqu’en 2023, n’a pas encore été publiée. Le plan solaire ou celui sur la rénovation énergétique des bâtiments n’ont pas donné lieu pour le moment à des actes législatifs ou réglementaires.
On se fixe des objectifs, mais on ne met pas les moyens en face (...) Quand on entre sur des choses très concrètes sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie, sur le nom des réacteurs qu’il faut fermer, sur le montant de la rénovation thermique… À un moment, quand face aux questions concrètes il n’y a aucune réponse qui me satisfasse, on entre dans un grand plan de mystification (…) On dit qu’on veut rénover 500.000 logements thermiques, mais on a baissé de moitié les moyens pour pouvoir rénover. Donc, en actant ce plan, je sais qu’on ne pourra pas tenir les objectifs. »
(Nicolas Hulot, le 28 août sur France Inter)
Côté positif, Nicolas Hulot est parvenu à faire voter en décembre 2017 la loi sur « l’interdiction de l’exploitation des hydrocarbures », qui entérine la fin progressive de l’exploitation des hydrocarbures, à horizon 2040.]
Restriction budgétaire vs investissement écologique
Avec les contraintes budgétaires, on sait très bien à l’avance qu’on ne pourra pas réaliser les objectifs qu’on se fixe (…) C’est l’équation impossible des critères de Maastricht. Est-ce qu’on essaye d’être un peu disruptif ? Investir dans la transition écologique, voir ceci non pas comme des dépenses, mais comme des investissements, sortir un peu de l’orthodoxie financière. »
(Nicolas Hulot, le 28 août sur France Inter)
Malgré quelques progrès pour l’écologie, notamment avec la hausse progressive de la taxe carbone et l’alignement de la fiscalité diesel sur celle de l’essence, le budget 2018 a mal traité les enjeux sociaux et environnementaux. Il a ainsi entériné une ponction sans précédent du budget des agences de l’eau, ainsi qu’une baisse des effectifs du ministère de la Transition écologique et solidaire. Autre laissé pour compte, l’aide publique au développement : la loi budgétaire a en effet abandonné l’élargissement de la taxe sur les transactions financières (TTF), qui participe au financement de cette aide, aux opérations infrajournalières.
L’Europe ne gagnera que si l’Afrique gagne (…) Or, où est passée la taxe sur les transactions financières, qui était le minima pour donner des moyens à l’Afrique de s’adapter au changement climatique ? Une partie des migrants qui frappent aux portes de l’Europe viennent pour des raisons climatiques. »
(Nicolas Hulot, le 28 août sur France Inter)

Artificialisation des sols et biodiversité
J’espérais qu’on allait mettre le climat et la biodiversité dans l’article 1 de la Constitution, mais, même là, les sénateurs et l’opposition, simplement par posture politicienne, étaient prêts à s’y opposer. (…) Pas un député, pas un sénateur pour me défendre pour protéger le loup, pour réintroduire l’ours. Anecdotique vous me direz, mais c’est sur tous les sujets. J’avance tout seul. »
(Nicolas Hulot, le 28 août sur France Inter)
Sur les questions de biodiversité, Nicolas Hulot et Stéphane Travert ont publié en février un Plan loup controversé, qui n’a contenté personne et n’a pas permis d’apaiser les tensions sur ce sujet sensible.
Quant à la lutte contre l’artificialisation des terres, malgré l’abandon historique du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le gouvernement a avalisé nombre de projets destructeurs, comme le contournement routier de Rouen, le contournement autoroutier de Strasbourg ou le mégacomplexe commercial et de loisirs Europacity. Sans oublier le silence de M. Hulot au moment de l’expulsion musclée du bois Lejuc, à Bure en février 2018, et de l’opération militaire sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes en avril de cette année.
Lundi 27 août, on avait une réunion sur la chasse avec une réforme qui peut être importante pour les chasseurs, mais surtout la biodiversité. Mais j’ai découvert la présence d’un lobbyiste [Thierry Coste] qui n’était pas invité à cette réunion. C’est symptomatique de la présence des lobbys dans les cercles du pouvoir. Il faut, à un moment, poser ce problème sur la table. »
(Nicolas Hulot, le 28 août sur France Inter)
Cette « anecdote », n’est qu’un énième épisode d’une longue série de cadeaux octroyés par Emmanuel Macron aux chasseurs. Mi-mai, le gouvernement s’est par exemple opposé à la proposition de la Commission européenne d’un moratoire visant à suspendre la chasse à la tourterelle des bois, espèce vulnérable au niveau mondial.
Surtout, lundi 27 août, le président de la République a confirmé la division par deux du prix du permis national de chasse — soit désormais 200 euros —, ainsi qu’une « gestion adaptative » des espèces, qui pourrait aboutir à une gestion plus flexible des quotas de chasse : lorsqu’une espèce est en danger, les quotas baissent, et inversement.
La conciliation impossible entre politique néolibérale et écologie
J’ai une profonde admiration pour Emmanuel Macron et Édouard Philippe, mais sur les sujets que je porte, on n’a pas la même grille de lecture. On n’a pas compris que c’est le modèle dominant qui est la cause. Est-ce qu’on remet en cause [le libéralisme] ? On s’évertue à entretenir un modèle économique responsable de tous ces désordres climatiques. »
(Nicolas Hulot, le 28 août sur France Inter)
Entrée en vigueur du traité de libre-échange avec le Canada, suppression des contrats aidés, soutien de M. Macron au projet minier de la Montagne d’or en Guyane, adoption de la loi sur le secret des affaires, réforme de la SNCF… autant de mesures prises depuis un an par le gouvernement libéral de M. Philippe, et qui sont clairement néfastes à la préservation de la biosphère chère à M. Hulot.