Dans les Alpes, les écolos tout schuss contre les JO d’hiver

À Embrun, le 16 septembre 2023. - © Emilio Guzman / Reporterre
Durée de lecture : 7 minutes
Sports JO 2024 Luttes Grands projets inutilesLes opposants à la candidature française aux JO d’hiver 2030 ont manifesté dans les Hautes-Alpes, samedi 16 septembre. Entre course de ski et bobsleigh sur bitume, ils ont dénoncé les coûts économiques et climatiques de cette compétition.
Embrun (Hautes-Alpes), reportage
« Trop cher, trop chaud. On ne veut pas des JO ! » Les slogans sont affûtés, les combinaisons de ski de compétition criardes sont de sortie. Ce samedi 16 septembre, une cinquantaine de personnes participent à une manifestation carnavalesque à Embrun (Hautes-Alpes) sous une pluie battante.
Les participants à ces « JO des prolos » dénoncent la candidature commune aux Jeux olympiques et paralympiques d’hiver 2030 des régions alpines (Paca et Aura), appuyée par Emmanuel Macron et le comité olympique français.
La déambulation, appelée par le collectif No JO et soutenu par Extinction Rebellion, EELV, LFI et Solidaires 05, cible un événement jugé incompatible avec la raréfaction de la neige en altitude et les impératifs climatiques. Dans tout l’arc alpin, les écologistes sont sceptiques à propos de cette candidature expresse, dévoilée le 18 juillet dernier, pour une attribution par le Comité international olympique (CIO) probablement en juin 2024.

Chaussé de skis de fond, vêtu d’une combinaison jaune fluo et d’un nez rouge, Stéphane Passeron, ancien fondeur de haut niveau s’apprête à prendre le départ d’une drôle de course aux côtés de bobsleighs en carton et autre snowboards à roulettes.
« Il faut arriver à faire le deuil du ski »
« Il faut arriver à faire le deuil du ski. J’ai les larmes aux yeux que mes enfants ne puissent pas connaître le plaisir que j’ai connu. Quand tu es en coupe du monde, l’adrénaline que tu te mets ! » rembobine celui qui a aussi connu les Jeux paralympiques 2010 de Vancouver comme entraîneur.

Désormais, le Haut-alpin prône la reconversion immédiate d’une économie montagnarde touristique basée sur toujours plus d’aménagements, dont les JO sont l’expression ostentatoire. Les sports d’hiver sont fortement émetteurs de gaz et effet de serre et pratiqués par seulement 8 % des Français.
« Une étude récente affirme que 91 % des stations européennes ne pourront plus fonctionner d’ici la fin du siècle faute de neige, dit-il. D’ici 2030, peut-être que la moitié seront à l’arrêt. »

Dans les rues d’Embrun, l’épreuve de glisse sur bitume s’élance dans la pente avec des cris de joie. La plupart des passants regardent la scène d’un regard ahuri ou amusé. D’autres, y compris des commerçants, applaudissent.
« Vive les JO »
« Vive les JO », lance tout de même une tenancière d’un magasin d’objets en bois. « Il y a plus important que manifester. Il y a des gens qui n’arrivent pas à travailler », dit-elle à Reporterre avant de couper court.

Les régions ont présenté leur candidature comme une formidable opportunité de développement économique. Une tribune de soutien aux Jeux a été publiée le matin même dans la presse locale.
Dans ce texte, le président de la région Paca Renaud Muselier et une centaine d’élus hauts-alpins croient que les jeux donneront « un second souffle à nos infrastructures, à notre aménagement, à nos hébergements touristiques et permanents, à notre accessibilité ».

Une fable pour les militants No JO. Ils rappellent que les éditions de Grenoble 1968 et Albertville 1992 ont occasionné des dettes remboursées par les contribuables et les usagers des transports sur respectivement vingt-sept ans et vingt ans.
« Quinze jours de fête et quinze années de dettes »
Ces compétitions ont également laissé des tonnes d’équipements en friche. Aussi les slogans « Quinze jours de fête et quinze années de dettes », « À qui profitent les JO ? Aux grands capitaux, pas aux locaux » résonnent sur la place de l’Hôtel-de-ville.

« À une époque où plusieurs millions de personnes n’arrivent pas à se nourrir correctement en France et où les locaux et les saisonniers ont du mal à se loger dans les Hautes-Alpes, on a d’autres priorités », fustige Jean-Gabriel Ravary, venu de Névache dans son « déguisement » professionnel de guide de haute montagne.
L’attractivité touristique des Hautes-Alpes fait flamber les prix de l’immobilier. Le département compte 45 % de résidences secondaires. Dans certaines stations de ski, ce taux atteint près de 90 %.
« On a des saisonniers qui dorment dans leurs voitures. Et on sait que partout où les JO sont passés, le prix de l’immobilier n’a fait qu’exploser », dit Joël, de Solidaires 05. « On a un certain nombre d’établissements scolaires, un certain nombre d’hôpitaux qui ont besoin de financements, donc on n’a rien à mettre dans les JO. C’est notre argent public, on devrait pouvoir décider de ce que l’on en fait ».

Curling ou hôpitaux
« Vous voulez le résultat ? harangue Jean Ganzhorn, maître de cérémonie du collectif No JO à l’arrivée de la course de caisses à savon. Le résultat des courses c’est que tout le monde perd. Tout ça c’est moins d’écoles, moins d’hôpitaux. Pour le prix d’une piste de curling, on pourrait avoir un collège neuf. »

Puis Jean Ganzhorn moque la promesse des tenants de cette candidature à ne pas recourir aux canons à neige, gourmands en eau et en énergie : « Actuellement, les stations sont déjà dépendantes de la neige artificielle et en 2030, ils veulent faire les épreuves sur de la neige naturelle. Si le déni climatique était un sport on aurait beaucoup de champions ici ! ».
« Ça impose de construire des bassines en montagne. No Bassaran ! », appuie Paloma, de Tours, qui a participé cet été au convoi de l’eau qui a rallié les Deux-Sèvres à Paris.

Du côté des Alpes du nord, les écologistes sont également sceptiques. « C’est de nouveau open bar pour les stations qui veulent faire de l’enneigement artificiel et construire de nouvelles remontées », dit Martine Noraz de Vivre et agir en Maurienne, jointe par téléphone.
Dix projets annulés
Avec d’autres, son association a récemment fait annuler devant la justice dix projets d’extensions de domaines skiables. « Tout ça pourrait ressortir sous prétexte des JO », craint la Savoyarde.

« Après la condamnation de la France pour inaction climatique, voilà que la caution présidentielle viendrait à l’encontre des lois Zéro artificialisation nette, et se moquerait des pénuries d’eau. Les JO entraînant, de fait, une accélération phénoménale du bétonnage de nos belles montagne », cingle EELV dans un communiqué.
« On aimerait avoir un dossier sur lequel se poser, pour l’instant on n’a qu’une annonce », dit à Reporterre Antoine Pin de Protect Our Winters. « Actuellement, ces événements n’ont pas les moyens de respecter ni les projections du Giec, ni les limites planétaires », affirme-t-il, sans pour autant se prononcer sur cette candidature-là, tant que les contours n’en sont pas précisés.

Lutte internationale
Arthur, de Saccage 2024, un collectif d’opposants aux JO de Paris, est venu en soutien. « On a très vite compris que le problème ce n’était pas que Paris 2024 mais les JO tout court. Il convient de lutter de façon internationale », explique-t-il.
Le Francilien porte la Torche anti-olympique, « créée par des opposants aux JO de Vancouver et transmise par un militant de Tokyo ».

No JO entame un bras de fer difficile mais pas ingagnable. Le collectif demande notamment la tenue d’un référendum sur cette question. La pression populaire a déjà fait valdinguer des candidatures.
Ainsi, celle de Sapporo au Japon a été retirée sur fond de scandale de corruption ; celle de Barcelone-Saragosse a été mise à l’arrêt par des désaccords entre les deux régions candidates. Un dossier suisse pourrait être déposé, mais devra passer par une votation des Helvètes, qui ont rejeté par deux fois des candidatures précédentes.
Quant au projet le plus crédible, celui de Stockholm-Are, il attend toujours un soutien officiel du gouvernement suédois. Dans ce contexte, le dossier français « risque d’être le seul candidat et de gagner », s’inquiète Stéphane Passeron. Le collectif compte poursuivre la mobilisation et l’étendre dans toutes les Alpes.
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