Dissolution des Soulèvements de la Terre : tout n’est pas encore fini

30 000 personnes ont manifesté contre la mégabassine de Sainte-Soline, le 25 mars 2023. - © Caroline Delboy / Reporterre
30 000 personnes ont manifesté contre la mégabassine de Sainte-Soline, le 25 mars 2023. - © Caroline Delboy / Reporterre
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Luttes Mégabassines Politique LibertésLa dissolution des Soulèvements de la Terre sera-t-elle effective, comme l’a annoncé le ministre de l’Intérieur ? Quels sont les recours possibles pour ce collectif opposé entre autres aux mégabassines ?
L’annonce est tombée comme de l’huile sur le feu. Mardi 28 mars, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a déclaré engager la dissolution des Soulèvements de la Terre, l’un des organisateurs des mobilisations contre les mégabassines. La procédure intervient trois jours après la manifestation à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), marquée par de violents affrontements entre les forces de police et les opposants aux retenues d’eau agricoles. L’annonce de la dissolution a été immédiatement dénoncée par de nombreuses personnalités politiques et associatives de gauche et écologistes.
Que va-t-il se passer ? « La procédure de dissolution est initiée par l’envoi par le ministre de l’Intérieur d’une lettre de griefs à l’association ou au groupement qu’il entend dissoudre », explique à Reporterre Me Aïnoha Pascual, avocate au barreau de Paris. Le destinataire a dix jours pour répondre. À l’issue de ce contradictoire, un décret de dissolution peut être adopté en Conseil des ministres.
Sauf que Les Soulèvements de la Terre ne sont pas une association, mais un collectif. Dans un communiqué, celui-ci déclare : « Quant à la prétention à “faire disparaître Les Soulèvements de la Terre”, nous sommes bien curieux·ses de voir ce que représenterait la “dissolution” d’une coalition qui regroupe des dizaines de collectifs locaux, fermes, sections syndicales, ONG à travers le pays. Contrairement aux fables qui seront délivrées par le renseignement intérieur pour désigner de quelconques figures dirigeantes à clouer au pilori, Les Soulèvements de la Terre n’ont rien d’un groupe circonscrit et représentent après deux ans d’existence un large réseau implanté à travers diverses régions. »

Des précédents
Auparavant, cette procédure créée dans les années 1930 était réservée à la lutte contre les milices et groupes armés. Elle a d’abord été utilisée contre les ligues fascistes puis, dans les années 1970, à l’encontre de groupes d’extrême gauche, notamment maoïstes. La loi confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021, dite loi Séparatisme, étend son champ d’application en la rendant possible contre toute association ou groupement de fait « qui provoque à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ». « C’est sur ce fondement-là que le gouvernement entend manifestement dissoudre Les Soulèvements de la Terre », estime Me Aïnoha Pascual.
Son efficacité est radicale. « La dissolution empêche l’association d’exister en tant qu’entité légale, de pouvoir toucher des financements et de demander des salles pour se réunir. Et elle a pour conséquence encore plus directe d’empêcher le regroupement de personnes qui étaient autrefois associées et affiliées à ce groupement, sous peine de poursuites », explique Julien Talpin, sociologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et membre de l’Observatoire des libertés associatives.

Ces dernières années, plusieurs collectifs étiquetés « ultragauche » par le gouvernement ont été dissous ou menacés de l’être. En janvier 2022, Gérald Darmanin s’était attaqué au média Nantes révoltée. « Mais on n’a jamais reçu de courrier, donc on n’a jamais su ce qu’il nous reprochait exactement », s’amuse Diego, contributeur du média depuis rebaptisé Contre Attaque, contacté par Reporterre. Le Groupe antifasciste Lyon et environs (Gale) et le Bloc lorrain, eux, ont été respectivement dissous en mars et novembre 2022. La dissolution du premier a toutefois été annulée par le Conseil d’État. « Aucune procédure de dissolution n’a jamais été initiée contre une association écologiste », dit Me Aïnoha Pascual.
Des recours possibles
Pourquoi cette dissolution, pourquoi maintenant ? Pour Julien Talpin, il s’agit avant tout pour le gouvernement d’allumer un contre-feu après le carnage de Sainte-Soline — 200 blessés du côté des manifestants, dont 40 grièvement et 2 toujours suspendus entre la vie et la mort. « La polémique enfle ces derniers jours sur une gestion particulièrement violente du maintien de l’ordre à Sainte-Soline. Des articles attestent que les forces de l’ordre auraient bloqué l’arrivée des secours. Il n’est pas impossible que la responsabilité de l’État soit engagée », commente le chercheur. Dans ce contexte, la dissolution des Soulèvements de la Terre constituerait une « riposte juridique et politique » du gouvernement : « En présentant les militants comme des ennemis de la République, il se dédouane des dommages et peut-être des morts causés par ces affrontements. »
Plus généralement, cette dissolution prouve qu’une marche supplémentaire a été franchie dans la criminalisation des luttes écologistes. « La loi Séparatisme avait déjà donné lieu à une répression des acteurs écolos, par exemple lorsqu’une formation à la désobéissance civile organisée par Alternatiba Poitiers avait été jugée contraire au contrat d’engagement républicain » en septembre 2022, rappelle Julien Talpin.
« Quand les mouvements commencent à déranger le pouvoir, il sort les muscles »
Un mois plus tard, Gérald Darmanin fustigeait « l’écoterrorisme » des manifestants antibassines. En décembre, Le Parisien évoquait « l’arme du gouvernement, la dissolution » des Soulèvements de la Terre, après avoir révélé une note du service central du renseignement territorial sur le « virage radical » des activistes écolos. « La notion d’“écoterrorisme” mobilisée par le ministre de l’Intérieur légitime cette répression, interprète le chercheur. Au fond, la loi Séparatisme met dans le même sac les écolos, les antifas et les islamistes en les désignant comme des ennemis de la République et des terroristes en puissance, qu’il faut réprimer fortement. »
Plus optimiste, Diego y voit la preuve d’une efficacité croissante de l’activisme écolo. « Nous, la dissolution, c’était après une manif antifa sur Nantes qui n’était pas pire que les autres. Mais c’est le calendrier politique qui a joué : c’était un peu avant les élections, il fallait s’attaquer à l’extrême gauche pour faire plaisir à l’extrême droite, se souvient-il. Pour Les Soulèvements de la Terre, c’est lié à la montée en puissance des mouvements écologistes qui sont de plus en plus revendicatifs et se laissent de moins en moins faire. À partir du moment où les mouvements commencent à déranger le pouvoir, il sort les muscles. »
Quels recours reste-t-il aux Soulèvements de la Terre pour éviter de disparaître ? D’abord, répondre point par point à la lettre de griefs. Puis, si le gouvernement ne renonce pas et adopte le décret de dissolution, saisir le Conseil d’État « par la voie d’un référé liberté et/ou d’un recours au fond », dit Me Aïnoha Pascual. Une démarche qui a toutefois peu de chances d’aboutir. D’après Julien Talpin, le Conseil d’État valide la décision du gouvernement dans 90 % des cas. Reste la pression de la rue : Les Soulèvements de la Terre, ainsi que Bassines non merci et la Confédération paysanne, ont appelé à des rassemblements devant toutes les préfectures du pays, jeudi 30 mars à 19 heures, « pour la fin des violences policières ». Il y a fort à parier que la question de la répression administrative des mouvements écolos sera également au rendez-vous.