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Luttes

Liberté de la presse : le média « Nantes révoltée » est menacé par le gouvernement

Une banderole déployée lors de la manifestation du 16 janvier à Nantes.

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé vouloir dissoudre le média de gauche « Nantes révoltée ». « C’est une offensive contre la liberté de la presse », réagissent ses membres.

Le média indépendant de gauche Nantes révoltée bénéficie depuis quelques jours d’une publicité inattendue de la part du gouvernement. D’abord, les faits : vendredi 21 janvier, à Nantes, se tenait une manifestation contre "la politique sanitaire du gouvernement et les idées rampantes de l’extrême droite qui gangrènent le pays". Elle a rassemblé six cents personnes — un petit score pour une ville habituée aux forts mouvements sociaux — pour un cortège aux flambeaux. Plusieurs vitrines de grandes enseignes ont été brisées et un pied de statue, tagué.

L’opposition nantaise s’est alors saisie de ce qu’elle a nommé un « saccage ». Les élues municipales Laurence Garnier (Les Républicains) et Valérie Oppelt (La République en marche) ont demandé des comptes à la maire socialiste de Nantes, Johanna Rolland. La présidente de Région, dans une lettre à Gérald Darmanin, a demandé, elle, « la dissolution du groupuscule d’ultragauche Nantes révoltée ». Le 25 janvier, le ministre de l’Intérieur annonçait vouloir dissoudre le collectif : « Une fois que les choses seront construites et que nous serons inattaquables, je proposerai au président de la République la dissolution », a-t-il dit à l’Assemblée nationale.

Depuis, la machine médiatique s’est emballée. Jusqu’à affirmer que le groupe Nantes révoltée avait à présent quinze jours pour faire valoir ses arguments au gouvernement. Sauf que le média n’a, à l’heure où nous écrivons ces lignes, reçu aucun courrier de ce dernier. Et n’a donc rien à justifier pour le moment. « Nous sommes un média indépendant, et nous ignorons totalement ce qui nous est reproché. Au nom de quoi devrait-on être dissout, se demande un membre du média, interrogé par Reporterre. Parce que nous relayons des appels à manifestation ? Dans ce cas, il va falloir dissoudre bon nombre de syndicats ! Parce que nous dénonçons les violences d’État ? Alors il faut dissoudre ou enfermer des journalistes et associations ! »

Né en pleine campagne présidentielle de 2012, le groupe, qui s’inscrit dans une perspective révolutionnaire, a d’abord créé une page Facebook pour relayer les luttes locales, sociales et environnementales, et « combattre tout ce qui a trait aux systèmes d’exploitation », comme le résume un militant interrogé par Médiacités. S’il s’est inscrit à ses débuts dans la lutte par le biais de banderoles largement relayées inspirées par la pop culture, le collectif s’est rapidement mué en média indépendant, toujours sur un ton très engagé. Critique envers les puissants, les violences policières et le sort réservé aux migrants, présent lors des manifestations, le collectif a créé un site web, s’est déployé sur Twitter et Instagram. Il relate, de l’intérieur, les mouvements sociaux, appuyé par un vrai travail photographique. Il a ainsi été le premier à publier les images qui ont conduit à la mort de Steve Maia Caniço à la suite d’une charge policière le soir de la fête de la musique, en 2019. Fort de plusieurs dizaines de milliers d’abonnées et abonnés (216 000 rien que sur Facebook), le média a également publié une dizaine de revues, en totale autonomie.

Capture d’écran du site Nantes révoltée.

Aujourd’hui menacé, Nantes révoltée s’étonne de ne pas avoir été contacté par le gouvernement. La menace de M. Darmanin a suscité de vives protestations. Les députés la France insoumise Jean-Luc Mélenchon, Ugo Bernalicis et Mathilde Panot, ainsi que Philippe Poutou (Nouveau Parti anticapitaliste, NPA) et l’Union syndicale Solidaires ont exprimé leur soutien par des tweets au média. Une pétition de soutien a rapidement recueilli plus de 21 000 signatures.

Interrogé par Reporterre, Me Raphaël Kempf, un des quatre avocats de Nantes révoltée [1], dénonce « une atteinte à la liberté d’expression et une conception particulière de la démocratie. Sans doute pour en tirer un bénéfice politique. Nous demandons à Gérald Darmanin de revenir sur l’annonce qu’il a faite ».

« C’est une offensive contre la liberté de la presse »

Nantes révoltée s’inquiète des conséquences que sa dissolution engendrerait. Des risques que cela ferait prendre au camp social de gauche et à d’autres médias indépendants. De ce que cela signifierait pour le militantisme en général. « C’est une offensive contre la liberté de la presse de la part d’un gouvernement autoritaire en campagne, qui s’extrême-droitise, s’insurge un des membres du média. S’ils y arrivent, ce sera la porte ouverte à ce genre de procédure. »

L’autre raison de l’irritation, palpable, est le pedigree des personnalités publiques qui les visent. « Qui se permet ça ? [La présidente de Région] Christelle Morançais, amie des voyous condamnés Sarkozy et Fillon, Gérald Darmanin, qui a milité avec l’Action française et est accusé de viol, et François de Rugy, l’amateur de homard », dit la personne du collectif interrogée par Reporterre. Nantes révoltée, en tout cas, est prêt à entrer dans la bataille judiciaire.

Dans un communiqué publié mercredi 26 janvier, le quatuor d’avocats affirme que s’il fallait dissoudre toute organisation qui relaye des appels à manifester dès le moment où « ultérieurement, des dégradations ont été commises au cours de ladite manifestation », cela serait contraire aux principes républicains. Ils rappellent que la loi du 10 janvier 1936 à laquelle M. Darmanin souhaiterait avoir recours, « adoptée [à l’époque] pour lutter contre les groupes de combats et milices privées d’extrême droite, et maintes fois remaniée depuis […] ne permet pas au gouvernement de dissoudre Nantes révoltée ». En bref, le ministre « doit renoncer à cette dissolution bien hasardeuse ».

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