Pour analyser autrement que les médias dominants le résultat de l’élection présidentielle, Reporterre et Radio Campus ont organisé une « Alter soirée électorale ». Recomposition de la gauche, place de l’écologie, mouvements sociaux et résistances... Des débats passionnants dont voici le résumé.
Pour le second tour de l’élection présidentielle de 2017, Radio Campus Paris, Radio Parleur et Reporterre ont organisé dimanche 7 mai une soirée spéciale. Politiques, militants, chercheurs, comédiens, politologues ont répondu présent pour échanger ensemble dans un studio improvisé dans les locaux de La Ruche, en présence d’une centaine d’amis et de lecteurs ou d’auditeurs. Les débats pouvaient s’écouter en direct sur 93.9 ou sur Reporterre.
Trois heures de discussion autour de quatre grands thèmes :
l’analyse des résultats,
les législatives et la recomposition de la gauche,
la place de l’écologie dans la politique
et enfin les mouvements sociaux et citoyens.
A 20 h, le résultat est tombé : Emmanuel Macron est le nouveau président de la Ve République.
• Emmanuel Macron : 66,10 % des suffrages exprimés (43,63 % des inscrits)
• Marine Le Pen : 33,90 % des suffrages exprimés (22,38 % des inscrits).
• L’abstention est élevée, à 25,44 % des inscrits
• Les blancs et nuls atteignent un record : 11,47 % des votants (8,56 % des inscrits).
Premier plateau : l’analyse des résultats
Dania de Radio Campus et Marie Astier de Reporterre lancent le débat entre leurs invités : Olivier Razemon, spécialiste des transports, Emmanuel Dockès, juriste spécialiste du droit du travail, Esther Benbassa, sénatrice EELV-Paris et Danielle Simonnet, porte-parole de La France insoumise.
Pour Emmanuel Dockès, « les chiffres ne sont pas représentatifs de la volonté des Français car toutes les tendances n’étaient pas représentées ». Selon lui, la place de l’extrême droite « est une catastrophe, mais elle était attendue », et « la campagne a été parasitée par les affaires des candidats. Il aurait été préférable de travailler sur les débats, les idées, et non sur l’ego des candidats ».
Selon Olivier Razemon, « même si cette élection était bouleversante, les clivages entre la droite et la gauche sont restés les mêmes ». Bien que la politique proposée par Emmanuel Macron ne soit pas satisfaisante, celle de Marine Le Pen « mettrait davantage en question nos acquis sociaux ».
Danielle Simonnet, porte-parole de Jean-Luc Mélenchon, constate que « Marine Le Pen est battue et nous sommes soulagés, mais c’est également un refus de Monsieur Macron. Il doit respecter la diversité qui s’est opposée à lui ». Pour Olivier Razemon, « on va maintenant passer aux choses sérieuses. Le plus important c’est d’aller voter aux élections législatives ». Pour Esther Benbassa, sénatrice Europe Écologie Les Verts, le résultat de la présidentielle « est une victoire par défaut. C’était le vote utile, mais c’est maintenant que tout commence ». Tout autour de la table avec l’idée que les élections législatives représentent « le troisième tour », selon le mot de Danielle Simonnet.
Mais Emmanuel Dockès rappelle qu’« un Français sur trois a voté pour l’extrême droite, pour un autoritarisme xénophobe. Les cinq années qui viennent doivent permettre de lutter contre ces idées ».
L’autre fait marquant de ce scrutin est le fort taux d’abstention et le record de votes blancs ou nuls. Pour Danielle Simonnet, cela signifie que « la Ve République est à bout de souffle ». Et au téléphone, Marine Tondelier, élue EELV d’opposition à Hénin-Baumont, une ville dirigée par le Front national, « le FN a banalisé son discours. En 2012, c’était une surprise. Là, c’est clair : les gens s’y acclimatent au fur et à mesure ».
Deuxième plateau : Législatives et recomposition de la gauche
Hervé Kempf et Lorène Lavocat, journalistes à Reporterre, animaient la deuxième table, qui réunissait Leila Chaibi, porte-parole de la France insoumise, David Cormand, secrétaire général d’EELV, Xavier Hervo, de La Relève citoyenne, et Thomas Porcher, économiste. La question centrale était de savoir sur La France insoumise allait pouvoir alliance avec EELV et d’autres forces de gauche, pour emporter un nombre conséquent de sièges aux législatives. Pour Leila Chaibi, « la phase de décomposition du vieux monde politique vient de se terminer, et pendant cette campagne, une nouvelle force citoyenne est née ».
A quoi David Cormand exprimait une réserve : « Certes, Jean-Luc Mélenchon a été remarquable, mais cette dynamique n’a pas permis de le qualifier au second tour ». Et d’ajouter : « Si on fait pareil aux élections législatives, les mêmes causes engendreront les mêmes effets » - soit l’échec, dans le cas où les candidats de gauche et de l’écologie partiraient en ordre dispersé.
Au téléphone, le politologue Thibault Rioufreyt observait qu’au delà du clivage gauche/droite, « Emmanuel Macron représente une troisième voie, entre la gauche et la droite. Sa tentative de recomposition idéologique n’est pas négligeable ». Il soulignait aussi que « le Parti socialiste n’est pas mort ».
David Cormand relançait : « Il est essentiel de réussir à se mettre d’accord à gauche ». Mais pour Leila Chaibi, « les gens ont marre des accords entre personnes, ce qu’ils veulent ce sont des accords entre idéologies, ce qui n’était pas possible entre le Parti socialiste et la France insoumise ».
Thomas Porcher concluait : « Il faut se réconcilier, malgré les erreurs du passé. Soit on s’unit, soit on meurt ».
Troisième plateau : Quelle est la place de l’écologie ?
Emilie Massemin, de Reporterre, et Violette, de Radio Campus, animaient cette table où étaient conviés Sébastien Mabile, avocat spécialisé en environnement et membre d’En Marche, Thomas Porcher, économiste, auteur d’introduction inquiète à la Macron économie, Armelle Le Comte, d’Oxfam, et Vincent Gayrard, du collectif Pour le triangle de Gonesse, opposé au projet Europacity.
Emilie Massemin rappelait que l’écologie « n’est pas l’un des chantiers prioritaires d’Emmanuel Macron », précisant que « sa position en faveur du CETA est incompatible avec l’environnement ». Armelle Le Comte confirmait : « L’écologie n’est pas dans son ADN ». Tous étaient d’accord sur ce point : le principal problème est qu’il aborde l’écologie sous un angle économique. Le nouveau Président de la République prévoit d’investir 15 milliards d’euros sur cinq ans dans la transition écologique. Pour Thomas Porcher, « son programme est sur ce point meilleur que celui de Marine Le Pen, mais il n’est pas très ambitieux ».
Sébastien Mabile estimait que le droit de l’environnement devrait être clarifié : « Au niveau pénal, il faudrait un délit d’atteinte à l’environnement et simplifier toutes les infractions spéciales auxquelles personne ne comprend rien », explique-t-il. Mais pour Vincent Gayard, « la première des choses à faire c’est de faire appliquer le Code de l’environnement, droit constamment bafoué ». Surprise : Sébastien Mabile assurait qu’« on est nombreux au sein d’En Marche à être opposés aux grands projets inutiles comme Notre-Dame-des-Landes ou Europacity ».
Quatrième plateau : Mouvements sociaux
Le débat sur le rôle des mouvements sociaux était animé par Martin Bodrero, de Radio Campus, avec Loïc Canitrot, de la compagnie de théâtre Jolie môme, Kevin Poperl, de la Commission économie politique de Nuit debout, Youlie Yamamoto, d’Attac, Baki Youssoufou, de la Confédération étudiante de France, et Manuel Cervera-Marzal, docteur en sciences politiques.
Loïc Canitrot observe que « le Front National n’est pas au pouvoir, mais ses idées ne doivent pas l’être non plus ». Pour Kevin Poperl, Emmanuel Macron a été élu « par défaut ». Il invite les mécontents à venir manifester, à se mobiliser : « Il faut se battre contre les attaques des politiques, mais aussi construire le projet que l’on veut. Il faut déconstruire l’idéal libéral proposé par Macron ». Le rendez-vous est donné dès lundi 8 mai, place de la République. « Il ne faut rien lâcher. Nous sommes fatigués d’être dans la négation. Maintenant, il faudrait mettre en avant l’échec de la gauche à mettre en place un projet politique. Il est important de communiquer pour pouvoir échanger nos idées et avoir un relais pour les transmettre », affirme Youlie Yamamoto.
Pour Baki Youssoufou, « le militantisme sur internet peut aussi être efficace. Et on le constate ce soir puisqu’Emmanuel Macron a été élu, en partie grâce à internet, qui a été un vecteur important ». Cette tendance est confirmée par Manuel Cervera-Marzal : « Les jeunes se politisent en grande partie sur internet, notamment grâce aux réseaux sociaux. C’est important de rester actif sur la toile. Les initiatives des youtubeurs ont été un des éléments de la séquence combative de cette élection ».
Pour l’avenir, tous sont unanimes : « Nous avons besoin de temps pour lutter ». « Mais nous allons agir. En s’alliant, les groupes informels deviendront plus forts et plus résistants », conclut Youlie Yamamoto.
Emmanuel Dockès : professeur agrégé de droit français spécialiste de droit du travail. Il enseigne à l’université de Paris Nanterre.
Esther Benbassa : chercheuse et universitaire franco-turco-israélienne, spécialiste de l’histoire du peuple juif en Europe et en terre d’Islam à l’époque moderne et contemporaine, et de l’histoire des minorités. Depuis septembre 2011, elle est également sénatrice du Val-de-Marne, sous l’étiquette EELV. Lire sa tribune sur les ’déplacés environnementaux’.
Danielle Simonnet : femme politique, coordinatrice et secrétaire nationale du Parti de gauche. Elle participe à nombre de luttes sociales, écologiques, citoyennes et féministes. Depuis 2008, elle siège au Conseil de Paris. ITV ici.
Leila Chaibi : fait partie des initiatrices de Nuit debout, et a participé à la campagne de la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon.
David Cormand : homme politique et secrétaire général d’Europe Écologie-Les Verts (EELV). ITV ici.
Xavier Hervo : documentariste et citoyen engagé, il se présente dans la circonscription de Patrick Balkany, la cinquième des Hauts-de-Seine.
Thibaut Rioufreyt : post-doctorant en science politique à Sciences-Po Lyon et chercheur associé au laboratoire Triangle. Spécialiste des partis politiques de gauche français et européens (Parti travailliste britannique), de la sociohistoire des intellectuels, mais aussi de l’expertise et l’histoire sociale des idées politiques, et plus particulièrement de la circulation des idées néolibérales dans les partis de gauche. ITV ici.
Simon Persico : post-doctorant au centre d’études européennes de Sciences-Po Paris, il a fait sa thèse sur la manière dont l’écologie va devenir un nouveau clivage gauche/droite. Il est désormais chercheur associé au Centre d’études européennes et spécialiste des partis, des dynamiques d’attention et des politiques environnementales.
Thomas Porcher : docteur en économie, il est également professeur. Spécialiste de l’énergie et plus particulièrement de la transition énergétique, il fait partie du collectif « Les économistes atterrés », association d’économistes qui ne se résignent pas à la domination néolibérale.
3. 21h15-21h45 — QUELLEPLACEPOUR L’ÉCOLOGIE ?
Thomas Porcher : docteur en économie, il est également professeur. Spécialiste de l’énergie et plus particulièrement de la transition énergétique, il fait partie du collectif « Les économistes atterrés », association d’économistes qui ne se résignent pas à la domination néolibérale.
Sébastien Mabile : docteur en droit public, il a fait sa thèse en droit de l’environnement. Il intervient sur les questions de droit public, droit pénal et droit de l’environnement, qu’il enseigne à l’École des Affaires internationales de l’Institut d’études politiques de Paris, à l’université de Sherbrooke au Québec (Canada) ainsi qu’à l’université d’Aix-Marseille. Il est également membre de l’équipe d’Emmanuel Macron sur les questions d’écologie.
Armelle Le Comte : chargée de plaidoyer Climat et Énergie fossile de l’ONG Oxfam France.
Vincent Gayrard : administrateur du collectif Pour le triangle de Gonesse, en lutte contre Europacity.
4. 21h45-22h30 — MOUVEMENTSSOCIAUXETCITOYENS
Loïc Canitrot : l’un des fondateurs de Nuit debout. Il est devenu le symbole de la « criminalisation du mouvement social » après avoir passé deux nuits de garde à vue à la suite de l’occupation du siège du Medef. Il est membre de la compagnie de théâtre Jolie Môme, une compagnie de théâtre politique qui intervient lors des grèves et des manifestations.
Manuel Cervera-Marzal : docteur en sciences politiques et sociologie, ses recherches actuelles portent sur les mouvements sociaux contemporains, de type Zad, Nuit debout, Indignés, ainsi que sur le parti espagnol Podemos. ITV ici.
Baki Youssoufou : président de la Confédération étudiante de France depuis 2008. Il est également le fondateur du site We sign it de mobilisation citoyenne par des pétitions en ligne.
Kevin Poperl : il est membre de la commission économie politique de Nuit debout. Il est également actif sur le Ceta et le lobbying citoyen.
Youlie Yamamoto : militante au sein du pôle Action d’Attac France, elle a notamment été interpellée lors de la dernière action chez Apple au mois d’avril.
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