« L’État a failli » : samedi, grandes marches contre les pesticides

18 mai 2019, à Paris, lors de la manifestation mondiale contre Monsanto et l'agrochimie. - © Alain Jocard / AFP
18 mai 2019, à Paris, lors de la manifestation mondiale contre Monsanto et l'agrochimie. - © Alain Jocard / AFP
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Pesticides OGM AgricultureDes marches sont organisées en France samedi 21 mai contre Monsanto-Bayer et les autres géants des pesticides. Un coup de semonce contre l’État, qui a « failli dans l’obligation de protection de ses citoyens ».
« Descendons dans la rue et marchons pour mettre fin aux pesticides ! » Ce samedi 21 mai, à Paris, paysans et citoyens indignés crieront leur colère contre Monsanto-Bayer et les multinationales agrochimiques. Avec près d’une cinquantaine d’organisations, dont Alternatiba, Extinction Rébellion, Faucheurs Volontaires ou Greenpeace, ils dénonceront les conséquences désastreuses de ce système industriel sur la santé humaine et l’environnement lors de cette dixième marche annuelle. D’autres événements auront lieu à Marseille, Lille et un peu partout dans l’Hexagone et en Outre-mer.
« Les expertises de l’Inserm [l’Institut national de la santé et de la recherche médicale], mises à jour en 2021, confirment le lien entre l’utilisation des pesticides et la déclaration de différentes maladies graves, comme le cancer ou Parkinson, dit à Reporterre Nadine Lauverjat, coordinatrice de Générations futures. Il est plus qu’urgent de mettre un terme à notre dépendance à ces produits. »
Aux yeux des organisateurs, cette mobilisation tombe à pic pour pointer du doigt le premier mandat d’Emmanuel Macron, durant lequel rien n’a été fait pour transformer les pratiques agricoles. Bien au contraire, le glyphosate, produit phare du spécialiste en désherbants, n’a pas été interdit malgré les promesses présidentielles. Après avoir été bannis, les néonicotinoïdes ont signé leur retour dans les champs de betteraves. Et la lutte contre l’utilisation illégale de certains « nouveaux OGM » ne semble pas intéresser l’État. Nadine Lauverjat conclut, dubitative : « Espérons qu’Élisabeth Borne [la nouvelle Première ministre] puisse inverser la tendance… »
« Qui sait si demain je n’aurai pas un cancer ? »
Cette grande marche sera aussi l’occasion de mettre en lumière les procédures judiciaires en cours, à commencer par le scandale du chlordécone. Utilisé dans les bananeraies des Antilles françaises entre 1972 et 1993, cet insecticide est extrêmement dangereux pour la biodiversité et la santé humaine. Une plainte a été déposée contre l’État français pour avoir renouvelé les autorisations en Martinique et en Guadeloupe au début des années 1990, en dépit des alertes.

« À demi mot, l’État a reconnu sa responsabilité dans l’empoisonnement du peuple martiniquais. Aujourd’hui encore, le plus gros tueur sur notre île, c’est le chlordécone. » D’une voix fragile, pesant chacune de ses paroles, Yvan Serenus décrit les effets tragiques de l’insecticide sur lui et ses proches. Président du Collectif des ouvriers agricoles empoisonnés martiniquais, il se bat au quotidien pour dénoncer cette injustice environnementale et raciale. « Ma mère, ouvrière agricole, est décédée d’un cancer du sang dans des souffrances terribles. Le mari de la femme qui m’accompagne aujourd’hui est mort d’un cancer à 45 ans. Moi-même, qui habite dans un quartier entouré de cultures bananières, j’ai dans mon sang du chlordécone. Qui sait si demain je n’aurai pas un cancer, la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson ? »
« Quatre générations plus tard, l’agent orange tue encore »
Même combat de l’autre côté du globe. Franco-vietnamienne, Tran to Nga a été victime de l’agent orange pendant la guerre du Vietnam. Un demi-siècle plus tard, elle mène une lutte juridique contre une quinzaine de firmes ayant produit l’herbicide. « Trois millions de Vietnamiens sont encore victimes aujourd’hui de ces épandages, s’insurge Jean-Pierre Archambaud, du comité de soutien à Tran to Nga. Avec le recul, on peut dire que c’est la plus grande guerre chimique de tous les temps. Et quatre générations plus tard, cet agent orange tue encore. Des centaines de milliers d’enfants sont nés avec des difformités, des tumeurs, etc. »
Dans cet ensemble de procédures judiciaires se dessinent deux luttes : celle visant à interdire certains pesticides et celle tentant de modifier les protocoles d’homologation. « N’oublions pas que le ver est dans le fruit. Attaquer en justice les pesticides emblématiques ne suffit plus », affirme le délégué général de Notre affaire à tous. « Les industriels nous disent que tel ou tel produit n’est pas toxique dans les conditions théoriques qu’ils ont eux-mêmes établies. Et donc, à partir de là, l’État les autorise. »
Dans les faits, les agriculteurs sont contraints d’utiliser ces pesticides dans des conditions indépendantes de leur volonté. Avant ou après une précipitation, pendant de fortes chaleurs, sous le vent, etc. Bien loin donc, des conditions de tests en laboratoire. « Résultat : dans 95 % des cas, les conditions théoriques ne sont pas respectées et les pesticides en question deviennent toxiques. Il est temps que la procédure change, car à ce stade, l’État a failli dans l’obligation de protection de ses citoyens et de la biodiversité. » L’association a déposé un recours en fin d’année 2021 et travaille désormais à l’émergence d’une responsabilité au niveau européen.

Parallèlement, une coalition d’associations combat une autre aberration en amont de la procédure d’homologation : « En France, avant de présenter leurs produits aux agences de sécurité alimentaire, les industriels doivent évaluer leur toxicité à long terme, explique Andy Battentier, de la coalition d’associations Secrets toxiques. Sauf qu’au lieu d’étudier celle des produits finaux, ils évaluent seulement la substance active. » Par exemple, ce n’est pas l’effet toxique du Roundup qui est étudié, mais celui du glyphosate seul. Or, selon le chargé de campagne, une littérature scientifique assez fournie démontre que les produits finaux sont systématiquement plus agressifs que la substance active déclarée prise isolément, en raison des réactions avec les autres ingrédients. « C’est scandaleux ! Ce système d’évaluation des pesticides est biaisé et inopérant. Donc lors du processus d’homologation, les agences de sécurité alimentaire se retrouvent face à des chiffres largement sous-estimés. »
Aujourd’hui, 90 % des surfaces agricoles mondiales sont arrosées de pesticides. Au-delà du géant Monsanto-Bayer, trois autres multinationales dominent ce marché mondial : ChemChina-Syngenta, BASF et Dow-DuPont (Corteva). C’est contre l’ensemble de ce système et l’inaction de l’État que les opposants défileront samedi, entre Bastille et République. « Nous devions faire le chemin inverse, mais les victimes refusaient symboliquement de marcher vers la République. Alors, nous nous en éloignerons », conclut Kim Vo Dinh, coprésident de Combat Monsanto.