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Climat

L’été des catastrophes : la Terre a-t-elle franchi un point de bascule ?

Incendies géants, tempêtes historiques, déluges multiples... Cet été, les extrêmes climatiques ont frappé partout dans le monde, battant de nombreux records. Au point de susciter l’effroi des climatologues. Retour en carte sur cet été historique.

Le silence des forêts calcinées, où plus un oiseau ne chante. La frayeur de populations emportées par des eaux brunâtres. Le fluide des thermomètres frôlant la barre des 54 °C. Aux quatre coins du globe, les phénomènes météorologiques extrêmes se sont succédé, avec une cadence effrénée, de juin à août. « Les preuves sont partout : l’humanité a déchaîné les destructions, s’alarmait le 27 juillet António Guterres, secrétaire général des Nations unies. Le changement climatique est là. Il est terrifiant. Et c’est juste le début… »

Si le calme semblait de retour, il n’en est rien. Un épisode caniculaire remarquablement tardif devrait accompagner les enfants pour leur rentrée scolaire, cette semaine en France. Météo France prévoit que la barre des 30°C sera souvent atteinte en journée, hors relief et régions littorales. Des pointes à 38°C pourraient même être observées localement, en Nouvelle-Aquitaine. En Espagne, des pluies torrentielles ont par ailleurs provoqué d’importantes inondations, le 2 septembre.

La Terre vient-elle de franchir une limite, un point de bascule, voire de non-retour ? Pour les climatologues, incendies, tempêtes et canicules suivent le sentier tracé par les projections scientifiques. En revanche, les températures inédites à la surface des océans et l’étendue minime de la banquise ont choqué. Le réchauffement s’est-il accéléré soudainement ? « Les explications ne sont pas claires, il faut se pencher sur le sujet, dit prudemment à Reporterre Robert Vautard, fraîchement élu coprésident du groupe 1 du Giec [1]. Pour l’heure, on n’a aucun élément, aucune preuve. »

Reste que les événements climatiques ont été nombreux. Retour sur cet été de tous les records.

Les catastrophes climatiques de l’été 2023. © Louise Allain / Reporterre

• Plus de 15 millions d’hectares brûlés au Canada

Le 29 août, la France s’est teintée d’un voile rougeoyant à la tombée de la nuit. Transportées par les courants d’altitude, les fumées rousses des incendies au Canada venaient de franchir l’océan… témoignant du brasier titanesque d’outre-Atlantique. Jamais le pays n’avait connu pareille saison des feux de forêt. Entre avril et août, plus de 15 millions d’hectares ont brûlé. Une superficie supérieure à celle de l’Angleterre.

Les pompiers tentant d’éteindre les incendies à Evros, en Grèce, le 31 août 2023. © Ayhan Mehmet / Anadolu Agency / Anadolu Agency via AFP

« Le terme “sans précédent” ne rend pas justice à la gravité de ces incendies, écrivait dans une étude parue le 22 août le chercheur Yan Boulanger. D’un point de vue scientifique, le doublement du précédent record de superficie brûlée est tout simplement incroyable. » Établi en 1989, celui-ci était de 7,6 millions d’hectares.

Lire aussi : Les feux au Canada peuvent-ils contribuer à un emballement du climat ?

Aujourd’hui encore, plus d’un millier de foyers sont encore actifs. De la Colombie-Britannique à l’ouest, au Québec à l’est, presque aucune province n’est épargnée. Fin juillet, ces feux avaient émis plus d’un milliard de tonnes de dioxyde de carbone… soit les émissions annuelles du Japon, cinquième pollueur mondial.

• À Hawaï, 115 morts et plus d’un millier de disparus

Le 8 août, au cœur du Pacifique, l’archipel étasunien d’Hawaï a brûlé. Dans le port de l’île de Maui, les bateaux se sont embrasés et ont sombré. Piégés, des habitants se sont jetés à la mer pour échapper aux flammes, nourries par la force de l’ouragan Dora. « Les conditions propices à ces feux, à savoir les fortes chaleurs et la sécheresse, sont de plus en plus souvent réunies avec le changement climatique », détaille Robert Vautard.

En quelques heures, la ville touristique de Lahaina, ex-capitale du royaume d’Hawaï, a disparu dans un océan de cendres. Dans ce tragique décor, les secours ont découvert les corps de 115 personnes, méconnaissables pour la plupart. Le 22 août, 1 100 personnes portées disparues ont été recensées par la police fédérale. Si l’incendie est d’ores et déjà le plus meurtrier des États-Unis depuis un siècle, le bilan humain devrait encore s’alourdir.

• L’embrasement du bassin méditerranéen

La Grèce n’aura eu droit à aucun répit. Dès le 17 juillet, une série d’incendies s’est propagée sur des îles helléniques de la mer Égée et aux abords d’Athènes. Deux pilotes d’un Canadair sont morts dans le crash de leur avion, sur l’île d’Eubée et le corps d’un berger a été découvert carbonisé. Impuissante, la population a dénoncé l’inaction des autorités.

Le 19 août, un autre foyer a atteint le parc national de Dadia, refuge de nombreux rapaces, dans le nord-est du pays. En dix jours, 81 000 hectares ont été réduits en cendres. Il s’agit là du « plus grand incendie jamais enregistré dans l’Union européenne », a déclaré le 29 août un porte-parole de la Commission européenne. Dix-huit corps calcinés ont été découverts près de la frontière turque, s’agissant probablement de migrants, selon les secouristes.

Une constellation d’incendies a aussi tout au long de l’été embrasé le pourtour méditerranéen, tandis que la Méditerranée elle-même atteignait des températures « hallucinantes ». En Algérie, où 34 victimes ont été recensées, des familles entières ont été brûlées vives dans leur fuite. En Sicile, trois personnes âgées ont péri dans les flammes. La Turquie, le Portugal, l’Espagne, la Croatie, la Tunisie et les îles Canaries ont aussi été touchés. Quant à l’Hexagone, les rares feux survenus dans les Pyrénées-Orientales et en Corse ont fait resurgir le douloureux traumatisme des Landes, en 2022.

• Mousson meurtrière en Inde, déluge historique à Pékin

Du feu à l’eau. En Asie du Sud, la mousson se déchaîne désormais sans crier gare, toujours plus imprévisible et brutale. Le 27 juillet, les autorités indiennes dénombraient déjà au moins 884 morts… alors même que le phénomène est censé s’étaler jusqu’au mois de septembre. Les victimes meurent noyées, ensevelies sous un torrent de boue, frappées par la foudre en Inde, comme ailleurs. À la même date, près de 150 personnes avaient déjà péri au Pakistan, plus de 30 en Afghanistan et au moins 37 en Corée du Sud, où des personnes ont été bloquées dans un tunnel souterrain inondé.

Du 19 au 29 juillet, une autre catastrophe naturelle a endeuillé l’Asie. Le typhon Doksuri s’est abattu sur les Philippines, Taïwan et la Chine, provoquant 15,4 milliards de dollars de dégâts. D’après l’observatoire CatNat, 215 vies ont été emportées par ce cyclone tropical. Dans son sillage, les autorités pékinoises ont observé « les plus importantes chutes de pluie depuis 140 ans ». Jamais, depuis le début des relevés pluviométriques en 1883, un tel déluge n’avait été enregistré dans la capitale.

• Crues, coulées de boue, tempêtes et grêle… partout sur Terre

Les récits des drames se ressemblent, et trahissent l’impuissance des humains face à la force des éléments. Le 25 juin, le Chili a affronté les pires précipitations de son histoire, et a vu les fleuves de sa capitale déborder. Le 9 juillet, une crue a tué au moins cinq citoyens en Pennsylvanie. Le 3 août, dix-huit personnes ont succombé à une coulée de boue en Géorgie. Trois jours plus tard, dix-sept autres restaient portées disparues. Le 8 août, un homme a été foudroyé sur un parking en Alabama et un enfant de quinze ans est mort écrasé par un arbre, en Caroline du Sud, lors d’une tempête. Le 27 août, au Tadjikistan, au moins treize personnes ont été emportées dans un glissement de terrain. Plus récemment encore, le 30 août, l’ouragan Idalia a frappé la Floride.

Dans ce dédale de catastrophes, l’Europe n’a pas été en reste. Début août, la tempête baptisée Patricia a déchaîné l’océan et une nageuse s’est noyée au large de l’île bretonne d’Ouessant. En Norvège, au passage de la tempête Hans, le barrage d’une centrale hydroélectrique a rompu, libérant un impressionnant torrent. Dans la Suède voisine, un train a déraillé. Le 7 août, le Premier ministre slovène, Robert Golob, a qualifié les inondations ayant touché son pays de « pire catastrophe naturelle » depuis l’indépendance en 1991. Six morts ont été recensés, de nombreux ponts se sont effondrés et les dégâts sur les récoltes sont monumentaux. Enfin, le 28 août, en Bavière, de puissants orages de grêle ont coûté la vie à grand nombre d’animaux sauvages.

• Juillet, le mois le plus chaud depuis 100 000 ans

Côté thermomètre, le mois de juillet 2023 est entré dans l’histoire. Avec 16,96 °C de moyenne globale sur Terre, il est devenu le mois le plus chaud jamais enregistré depuis 100 000 ans. « L’ère du réchauffement climatique est terminée, place à l’ère de l’ébullition mondiale », a alors réagi António Guterres. Les météorologues ont d’ailleurs cru que le record absolu de 56,7 °C, établi en 1913, serait battu dans la vallée de la Mort le 16 juillet. Verdict ? Seulement… 53,3 °C.

L’hémisphère sud, lui aussi, suffoque. « Des vagues de chaleur absolument hors norme y ont été observées. En plein hiver austral, les températures ont dépassé les 40 °C au Brésil », s’alarme Robert Vautard. En générant des pics de température planétaire, le retour du phénomène El Niño intervient comme un facteur aggravant. Toutefois, les émissions de gaz à effet de serre, libérées par les activités humaines, restent les principales responsables.

• La banquise disparaît, les océans s’échauffent

L’équivalent de 4,5 fois la superficie de la France. Telle était, au 25 juillet, l’étendue de glace manquante autour de l’Antarctique, comparé à la moyenne des années 1981 à 2010. Une fois encore, jamais un niveau si bas n’avait été enregistré pour ce jour de l’année. Si l’hiver austral devrait aider la banquise à se reconstituer, le retard engrangé est inédit. Et les conséquences peuvent être nombreuses : perturbation des courants océaniques, menace sur la vie marine et les mécanismes de captation du carbone, vulnérabilité de la calotte polaire…

La mer de glace n’est d’ailleurs pas la seule à tiédir. Le 30 juillet, la température à la surface des océans a atteint 20,96 °C. Un record mondial de plus, influencé par une canicule marine sans précédent. « L’océan absorbe près de 95 % de la chaleur générée par la hausse des émissions de gaz à effet de serre, précise Roland Séférian, chercheur à Météo-France. Et à cette tendance s’est ajoutée cette année la variabilité naturelle du climat, avec le retour du phénomène El Niño. »

« Ce phénomène stupéfiant disparaîtra-t-il dès l’hiver prochain ? Ou va-t-il se maintenir des années durant ? On ne sait pas, et c’est bien ça qui est inquiétant »

Au point de justifier un tel bond des températures ? Pas aux yeux de Robert Vautard : « Les chiffres sont ahurissants… El Niño joue certainement un rôle, mais celui-ci ne peut justifier un tel écart à la normale. » Les climatologues s’interrogent quant aux mois à venir : « Ce phénomène stupéfiant disparaîtra-t-il dès l’hiver prochain ? Ou va-t-il se maintenir des années durant ? On ne sait pas, et c’est bien ça qui est inquiétant », dit Philippe Ciais, physicien au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement.

Année sporadique ou phénomène durable ? Il faudra attendre le printemps prochain pour en savoir davantage. Une chose est sûre : plus les eaux sont chaudes, moins elles sont en capacité d’absorber le dioxyde de carbone… Un véritable cercle vicieux pourrait alors s’enclencher.

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