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Politique

Le débat s’ouvre à l’Assemblée pour « sauver » la loi Climat

La bataille parlementaire sur la loi Climat et résilience commence en commission ce lundi 8 mars pour deux semaines. Députés de gauche et écologistes ont déposé une masse d’amendements pour en rehausser l’ambition. Mais l’organisation de la discussion par le gouvernement gêne un débat serein.

À partir du lundi 8 mars, une commission spéciale de l’Assemblée nationale, composée de soixante-et-onze députés, étudiera durant quinze jours plus de cinq mille amendements sur le projet de loi Climat et résilience. Ils devront juger de leur recevabilité. Le texte sera ensuite examiné en séance plénière à partir du 29 mars.

C’est une nouvelle occasion pour les députés de l’opposition, à l’instar de Matthieu Orphelin, de rehausser l’ambition du texte. Le député du Maine-et-Loire, ex-LREM, parle même d’une « guerre du climat » à l’Assemblée nationale. Il a déposé une centaine d’amendements et souhaite avec ses propositions « donner la possibilité aux parlementaires de la majorité d’agir enfin suffisamment », souligne-t-il dans un communiqué.

La Convention citoyenne pour le climat compte sur les parlementaires pour doper la loi

Le dernier weekend de février, les cent cinquante citoyens de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) avaient évalué la prise en compte de leurs propositions dans le texte de loi. Ils avaient attribué la note de 3,3 sur 10 au gouvernement, signe que le « combat » est loin d’être gagné. « [Le gouvernement] pourra toujours se rattraper à l’oral avec les amendements », s’était amusé l’une des citoyennes. La CCC compte sur les parlementaires pour rapprocher la loi Climat de ses travaux, en grande partie édulcorés par le gouvernement et les lobbies. « On a fait un calcul, sur 149 propositions de la CCC, il y en a seulement 18 qui ont été retenues, déplore Mathilde Panot, députée la France insoumise du Val-de-Marne, et membre de la commission. Toutes les mesures structurantes sont absentes, notamment la question des forêts à laquelle j’ai travaillé. C’est le dernier texte qui parle d’écologie du mandat d’Emmanuel Macron, lui qui avait promis de reprendre "sans filtre" les mesures de la CCC... C’est pour cela qu’on a proposé autant d’amendements. »

La commission spéciale, présidée par Laurence Maillart-Méhaignerie, députée LREM d’Ille-et-Vilaine, devra examiner un nombre d’amendements inédit. À titre d’exemple, 3.500 amendements avaient été déposés lors de la loi d’Orientation des mobilités en 2019, 2.500 pour la loi sur l’économie circulaire.

Ces cinq mille amendements déposés traduisent selon Matthieu Orphelin le « manque d’ambition du texte présenté par le gouvernement ».

Le dépôt d’un nombre record d’amendements traduit selon Matthieu Orphelin le « manque d’ambition du texte présenté par le gouvernement ». D’autres familles politiques ont déposé des amendements, mais ils ne vont pas tous « dans le bon sens » souligne le député de Maine-et-Loire. Les Républicains ont par exemple déposé « de nombreux amendements pour supprimer certaines des maigres avancées sur la loi ». Du côté de LREM, il relève des amendements « contre les expérimentations de repas végétariens ou la redevance engrais, article pourtant très faiblement rédigé. »

Les députés de l’opposition ont néanmoins pu compter sur un soutien inattendu. Mercredi 3 mars, plusieurs députés de la majorité ont déposé des amendements pour réclamer l’intégration des entrepôts de commerce électronique dans le moratoire sur les zones commerciales.

Les amendements seront-ils rejetés ? Le travail de sape en tout cas, a déjà commencé

La commission a débuté son travail dès le 17 février en auditionnant des membres de la CCC et des ministres tels que celui de l’Économie, Bruno Le Maire, ou Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique. Cette dernière avait déclaré à Reporterre qu’elle « n’accepterait aucune baisse d’ambition à l’Assemblée nationale » concernant la loi Climat. Le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand avait réagi, dans un tweet : « Intention louable, étant précisé que le Parlement est souverain dans l’élaboration et le vote de la loi. »

Les députés de l’opposition craignent qu’un outil législatif soit utilisé massivement pour faire obstruction à toute ambition supplémentaire du texte : l’article 45, qui permet de déclarer des amendements « irrecevables » car considérés comme sans lien avec le projet de loi. Le 18 février, répondant à une sollicitation de Delphine Batho, la présidente de la commission Laurence Maillart-Méhaignerie prévenait que « si des amendements devaient reprendre des propositions de la Convention citoyenne pour le climat sans présenter de lien, même indirect, avec le dispositif des articles du projet de loi […], ils seraient considérés comme irrecevables sur le fondement de l’article 45 de la Constitution​ ».

En fin de semaine dernière, le travail de sape avait déjà commencé et Matthieu Orphelin déplorait le rejet d’un de ses amendements pour encadrer la publicité sur la malbouffe ciblant les enfants :

« Cet article 45 fait partie des armes qu’utilise la majorité pour museler le débat démocratique. On observe une augmentation des recours à de tels articles », observe Mathilde Panot. Concrètement, d’autres amendements sur les forêts, ou la publicité, pourraient être jugés irrecevables car sans lien avec le climat, selon l’appréciation de la majorité. « La question de l’article 45 est fondamentale, confirme Delphine Batho. La majorité pourrait faire en sorte d’utiliser toutes les armes de la Ve République pour que les propositions de la CCC ne puissent même pas être soumises au Parlement. C’était pourtant la promesse d’Emmanuel Macron... »

Le débat parlementaire est volontairement « bâclé » par le gouvernement

La députée Génération écologie regrette également les délais très courts qui ont forcé les parlementaires et leurs équipes à travailler dans l’urgence. « Le projet de loi était attendu depuis le mois de septembre et on l’a eu seulement en février, dénonce-t-elle. Toutes les équipes parlementaires travaillent dans des conditions dégradées. On enchaîne les nuits blanches pour déposer des amendements avant le 8 mars. On est prévenu au dernier moment pour les auditions de la commission spéciale et elles sont parfois en simultané, c’est dur d’être partout ».

La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, et le Premier ministre, Jean Castex, recevant des membres de la Convention citoyenne pour le climat le 30 septembre 2020, à Matignon.

Pour Delphine Batho, ce calendrier législatif serré résulte d’un choix du gouvernement. « C’est une volonté politique d’avoir fait traîner le débat sur cette loi. Ces conditions de débat ne risquent pas de faire honneur au travail de la CCC. » Mathilde Panot est également de cet avis. Elle estime que le débat parlementaire est « bâclé » :

Le dépôt des amendements était normalement prévu le vendredi avant l’évaluation de la CCC, c’est délirant. C’est pour cela qu’on a voulu et avons obtenu de décaler le dépôt d’une semaine. Mais la loi constitutionnelle sur l’article 1er va être débattue au même moment que la loi Climat à l’assemblée, les députés vont devoir se dédoubler, ce n’est pas sérieux. »

La commission spéciale a donc deux semaines pour examiner plus de cinq mille amendements avant de présenter le texte en séance plénière le 29 mars aux parlementaires. Là-encore, la procédure accélérée permettra au gouvernement d’aller vite, puisque le projet de loi ne fera l’objet que d’une seule lecture par chambre du Parlement — Assemblée nationale puis Sénat — avant d’être adoptée.

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