Le gouvernement refuse de financer plus d’écologie dans les fermes

Une centaine de paysans et d’élus se sont réunis à Paris pour réclamer un « budget rééquilibré en faveur de la transition agroécologique ». - © NnoMan Cadoret / Reporterre
Une centaine de paysans et d’élus se sont réunis à Paris pour réclamer un « budget rééquilibré en faveur de la transition agroécologique ». - © NnoMan Cadoret / Reporterre
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Davantage de haies, de prairies... Ces pratiques agricoles écologiques ne sont pas encouragées par le projet de loi de finances 2024, ont dénoncé le 14 novembre une centaine de paysans et d’élus.
Esplanade des Invalides (Paris), reportage
« Le gouvernement vante un budget de l’agriculture tourné vers la "planification écologique", mais il est loin du compte », déplore Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne. Le mardi 14 novembre, alors que l’Assemblée nationale poursuivait l’examen du volet dépenses du projet de loi de finances 2024, une centaine de paysans et d’élus se sont réunis sur l’esplanade des Invalides, à Paris, les pieds dans la gadoue et les feuilles mortes. Répondant à l’appel de la Confédération paysanne et du réseau des centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam), ils exigeaient « un budget rééquilibré en faveur des mesures qui ont fait leurs preuves pour la transition agroécologique ».
Sous la pluie automnale, ils ont défendu un outil majeur de la transition agroécologique des fermes : les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec). Ces Maec consistent à compenser les surcoûts et manques à gagner générés par l’introduction sur les exploitations de pratiques plus respectueuses de l’environnement — comme l’entretien de haies, d’arbres et de mares, la réduction des produits phytosanitaires, ou encore la gestion de prairies de manière plus extensive. Pour cela, les paysans s’engagent par contrat pour cinq ans.

« Depuis leur introduction, ces mesures rencontrent un franc succès, et de nombreuses fermes se sont engagées grâce à elles », se félicite Véronique Marchesseau, éleveuse de vaches allaitantes dans le Morbihan et secrétaire générale de la Confédération paysanne. En revanche, la mine de l’agricultrice s’assombrit au moment d’évoquer la pomme de la discorde : « Le budget alloué aux Maec est largement insuffisant pour permettre au gouvernement d’honorer les contrats signés par les paysans et paysannes. »
« Certains risquent de retourner au conventionnel »
Parlons sous, donc : les organisations paysannes estiment à 1 milliard d’euros le financement annuel des Maec nécessaire pour engager une réelle transition. Or, dans son plan stratégique national 2023-2027, la France a fixé le budget annuel à... 260 millions d’euros. Résultat ? « Des camarades vont voir leur demande de Maec purement et simplement rejetée, et risquent pour certains de retourner au conventionnel », regrette Véronique Marchesseau.
Tony Massé, 41 ans, en a déjà fait les frais. Le dossier de cet éleveur ovin, installé en conventionnel à Plaisance, dans la Vienne, a été refusé il y a « près de trois semaines ». Il a pourtant le sentiment de faire ce qu’il peut pour être « à la hauteur du défi climatique et de l’effondrement de la biodiversité ». Pour nourrir ses brebis, il a abandonné les céréales et les laisse brouter ses 160 hectares de prairies à l’état naturel.

Face à nous, sous les arbres de l’esplanade, l’homme parle avec un sourire poli, mais l’inquiétude se révèle dans les trémolos de sa voix. Les cordons de la bourse sont serrés. « J’estime mon manque à gagner à 10 000 euros, et ce n’est pas rien à mon échelle. Ce pécule m’aurait permis de maintenir mes revenus tout en continuant à transiter vers des pratiques vertueuses. Détruire une haie, ça ne prend que quelques minutes, mais en recréer est une autre affaire, qui demande bien plus de patience. »
Non loin de lui, il y a Magali et Sébastien, paysans herboristes dans une microferme « d’à peine un hectare », en Eure-et-Loir. À cause de la petite taille de leur exploitation, ils ne reçoivent aucune aide et ils sont là « avant tout pour soutenir les collègues » : « Il est aberrant qu’au lendemain de la présentation de la planification écologique, des fermes volontaires soient laissées sur le bord de la route à cause d’une sous-budgétisation des financements », déplore Magali, autrefois technicienne pour une chaîne de télévision.
« Dénigrement » de l’agriculture biologique
Dans la grisaille, des élus aux écharpes tricolores ruminent aussi. Emmenés par les écologistes, ils sont passés tout près d’un joli tour de force à l’Assemblée. Lors de l’examen de la mission agriculture du PLF 2024, un amendement pour un renforcement « majeur » des crédits affectés aux Maec, de l’ordre de 100 millions d’euros pour le PLF 2024, avait été adopté contre l’avis du ministre de l’Agriculture Marc Fesneau. Il a finalement été balayé par l’usage de l’article 49.3, qui donne la possibilité au Premier ministre de faire adopter un projet de loi sans un vote de l’Assemblée nationale. « 49.3 : échec et Maec des budgets pour la transition écologique », résume une banderole accrochée aux arbres.

« L’abandon de cet amendement est un énième signal négatif envoyé par le gouvernement à la filière bio », regrette Marie Pochon, députée Les écologistes (LE) de la Drôme. Elle cite, pêle-mêle, « le maintien des niches fiscales pour le label Haute valeur environnementale (HVE) » — label concurrent, mais au cahier des charges moins exigeant —, « le refus de baisser la taxation des produits bio », ou encore « le non-respect des objectifs contenus dans la loi Egalim ».

« On fait face à une volonté bien orchestrée de dénigrement de l’agriculture biologique, abonde le sénateur d’Ille-et-Vilaine Daniel Salmon, à ses côtés. C’est d’autant plus décourageant que la bio, qui était un petit coin de ciel bleu, est aujourd’hui en grande difficulté. » L’agriculture biologique traverse en effet une crise aiguë, consécutive au début de la guerre en Ukraine. Avec l’inflation, les consommateurs limitent leurs dépenses, ce qui pèse sur les ventes de produits issus de l’agriculture biologique. Leur part dans l’alimentation des Français est passée de 6,4 % à 6 % en 2022.
« L’agriculture bio est structurellement sous-dotée »
« Pour soutenir les fermes face à la crise inflationniste, nous demandons un plan de soutien exceptionnel à l’agriculture biologique, qui est déjà structurellement sous-dotée, dit Véronique Marchesseau. Sans ces mesures, comment voulez-vous éviter une vague de découragement dans les rangs des agriculteurs, le retour à une agriculture conventionnelle ou, pire, l’arrêt pur et simple de l’activité ? »
Après la mobilisation, une délégation a été reçue dans la foulée par le cabinet du ministre de l’Agriculture. Selon nos informations, après deux heures d’échanges, la rencontre a été jugée « décevante », le ministère n’exprimant pas de volonté de mieux doter les Maec, ni les autres aides bio. Les militants en appellent désormais à la Première ministre Élisabeth Borne, en charge de la planification écologique.