Les candidats écologistes lancés par les journées d’EELV

Éric Piolle, Sandrine Rousseau et Yannick Jadot ensemble à l’ouverture des journées d’été des écologistes. - © Moran Kerinec/Reporterre
Éric Piolle, Sandrine Rousseau et Yannick Jadot ensemble à l’ouverture des journées d’été des écologistes. - © Moran Kerinec/Reporterre
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PolitiqueAux journées d’été des écologistes, les candidats à la primaire des Verts déroulent profils et programmes. Les militants et les soutiens du parti expriment eux leurs désirs et appréhensions.
Poitiers (Vienne), reportage
Quelle teinte de Vert pourra repeindre les murs de l’Élysée ? Pour s’accorder sur le ton, Europe Écologie — Les Verts (EELV) a posé ses valises, son université d’été et ses candidats au parc de Blossac à Poitiers du 19 au 21 août. Confortés par leurs scores électoraux en progression, pressés par l’urgence exigée par le 6e rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) et les catastrophes climatiques de l’été, les écologistes voulaient clore l’époque où ils n’étaient que force d’appoint au sein des gouvernements de coalition. « Nous n’allons pas à l’élection présidentielle pour faire bonne figure, mais pour gagner », a dit Julien Bayou. Pour le secrétaire du parti, les résultats des régionales apportent un « enseignement précieux » : « Nous avons fait de meilleurs scores dans les villes écologistes. Là où il y a un maire écolo, les électeurs en redemandent ! »
Il restait à se préparer au choix du ou de la candidate pour porter les couleurs écologistes à l’élection présidentielle. En lice : Delphine Batho, Jean-Marc Governatori, Yannick Jadot, Éric Piolle et Sandrine Rousseau. Les cinq candidats seront départagés lors de la primaire des écologistes qui se tiendra du 16 au 28 septembre. Cette consultation en ligne complique la tâche pour déceler qui remportera l’investiture. Les Verts sont habitués aux favoris déçus et aux candidats surprises. Éva Joly plutôt que Nicolas Hulot en 2012, Yannick Jadot plutôt que Cécile Duflot en 2016.
Et pour 2022 ? Dans les travées, ateliers et apéros, les convaincus tentaient de rallier les indécis. « Piolle est le seul capable de coaliser la gauche française », affirmait Arun Chaudhary, ancien communicant de Barack Obama débauché par le Grenoblois. « Seule la radicalité de Rousseau nous permettra de faire face au dérèglement climatique et aux crises sociales », rétorquait Sarah, soutien de l’écoféministe. « Il n’y a que Jadot de visible sur la scène nationale, les autres vont se faire souffler par Macron, Bertrand et Mélenchon », jugeait un convaincu du député européen.
Entre candidats, les petites phrases étaient bannies, les sourires de rigueur. Chacun s’affichait avec les autres pour une salutation du coude ou un entrechoc du poing. Tous promettaient de soutenir le candidat désigné par la primaire. Ce qui n’a pas empêché quelques crispations suscitées par la compétition. Quand l’arrivée d’Éric Piolle captait les caméras dirigées vers Sandrine Rousseau, un soutien de l’économiste grinçait, bousculé par les photographes : « Ils nous ont marché dessus, il l’a fait exprès ? » Si les candidats tenaient leur langue, les militants n’avaient pas ces pudeurs. Certains critiquaient l’ego présumé d’Éric Piolle, d’autres « la cour » de Yannick Jadot.

La primaire sèmerait-elle les graines de la division ? Pas pour les candidats, qui ont souligné leurs convictions « homogènes » et tirent la comparaison avec leurs adversaires. « Le Parti socialiste (PS) tente de contourner ses propres militants. Nous, nous discutons, nous débattons », disait Yannick Jadot. « Allez voir les universités d’été de La République en marche (LREM) pour y organiser un débat entre Barbara Pompili et Gérald Darmanin, s’amusait Éric Piolle, ils s’engueulent entre eux dans le gouvernement. »
Ces jeux politiques laissaient indifférent Grégoire, ancien membre de la Convention citoyenne pour le climat : « Le véritable intérêt n’est pas de savoir qui sera candidat, mais comment l’écologie sera le sujet prioritaire de cette campagne. Les journées d’été permettent de continuer ce chemin d’apprenant de l’écologie qui ne s’arrête jamais. » Jordan, membre des jeunes écologistes poitevins était pour sa part venu « apprendre de nouvelles façons de militer, participer aux ateliers sur l’éducation et la précarité. La cerise sur le gâteau, c’est d’écouter les candidats à la primaire pour nous aider à faire notre choix selon les discours. »
Sandrine Rousseau, l’écoféministe radicale
L’enjeu central de ces journées était cependant les discours des candidats et candidates, une façon d’évaluer leur capacité à convaincre les écologistes les plus engagés.
Fichus à pois blancs et enthousiasme brûlant, difficile de manquer les soutiens de Sandrine Rousseau au premier rang de sa carte blanche. La candidate, figure du mouvement #metoo, avait quant à elle revêtu un bleu de travail, pour rappeler l’image d’Épinal de Rosie la riveteuse, symbole américain de la lutte des femmes pour leurs conditions de travail. L’écoféministe veut marquer sa différence avec ses rivaux par sa « radicalité environnementale », expliquant à Reporterre : « Nous avons cinq années pour diminuer de 80 % les émissions de CO2, c’est peu. Il nous faut prendre des lois ambitieuses. Ce qui est indispensable, c’est la refonte d’un contrat social avec la dignité en ligne de mire et la protection des plus précaires. »
Dans son programme, cette refonte se traduit par la création d’un « revenu d’existence », un accès garanti aux premiers mètres d’eau et à l’électricité, et par l’augmentation du prix du carbone à 200 euros la tonne. Surtout, Sandrine Rousseau veut mettre un terme à la prédation de l’homme « sur le corps des femmes, sur le corps des racisés, sur ceux des plus précaires ». Pour Elen Debost, sa camarade de justice face à Denis Baupin qui avait commis des agressions sexuelles à leur égard, la candidate se distingue par son expertise : « Elle est docteure en économie de l’écologie et de la précarité, c’est au cœur des sujets que nous devons gérer dans les années à venir ! »

Éric Piolle, apôtre d’un arc humaniste
Moins électrique et plus professoral que sa rivale, Éric Piolle a présenté un plan de route chiffré vers la présidentielle. Un travail d’un an, labouré par 300 adhérents, qui ont auditionné syndicats, experts et membres de la société civile. « L’idée est de transformer nos problèmes en emplois et créer 1,5 million de jobs par la transition énergétique », expliquait Laura Slimani, membre de cette équipe et de la direction nationale de Génération·s.

L’édile grenoblois prévoit l’adoption d’un « ISF climatique » pour « attaquer à la racine les situations de rente ». S’il est élu président, il proposera un référendum sur cinq points dans la foulée des législatives : séparer la justice de l’exécutif, établir la représentation proportionnelle à l’Assemblée nationale, faire entrer le climat dans l’article 1 de la Constitution, mettre en place un référendum d’initiative citoyenne (RIC), supprimer les articles 13 et 16 de la Constitution : le premier précise que le président signe les ordonnances et décrets, le second lui octroie des pouvoirs exceptionnels en période de crise.
Delphine Batho, la décroissance sans complexe
Delphine Batho base son programme sur un constat : « La décroissance est le seul chemin possible face à l’accélération des catastrophes climatiques. » Pour la députée des Deux-Sèvres, « il n’est pas possible d’être écologiste et d’être pour la croissance économique. C’est incompatible. Aujourd’hui, l’urgence impose qu’on s’attaque à la cause du problème et pas simplement à un certain nombre d’aspects superficiels. »

Son projet : faire de la décroissance un « choix conscient », qu’elle assure déjà pris par « une majorité culturelle potentielle ». Selon elle, « toutes les personnes qui décident de ne pas prendre l’avion, d’acheter d’occasion plutôt que neuf, de consommer moins, mais mieux, qui changent leurs habitudes alimentaires, font le choix de décroissance sans mettre le mot dessus. » La députée veut cesser « le matraquage idéologique assimilant décroissance à diminution du confort. Si vous arrêtez l’essor du e-commerce en France, vous conservez quatre emplois contre un emploi créé chez Amazon. »
Yannick Jadot : « Si on veut gouverner, il n’y aura pas de confort »
À l’aise sur scène face à un public nombreux, Yannick Jadot a déroulé son jeu de mesures. Un plan de relance « écologique et sociale » à 50 milliards d’euros et l’avènement d’un revenu citoyen dès 18 ans. « [Il] n’hésitera pas à nationaliser temporairement si nécessaire les industries pour contrôler les pollutions et le dumping social ! » Les promesses se succèdent, des applaudissements y répondent : « Extirper les lobbies des ministères » ; « Accueillir en dignité Afghanes et Afghans », « Zéro artificialisation des sols », « La régulation du cannabis et des drogues douces, un enjeu pour libérer les quartiers des mafias ! »

Un temps bousculé sur sa gauche par sa présence à la manifestation policière au printemps, l’ancien directeur des campagnes de Greenpeace est revenu sur l’événement : « Je sais que ça a choqué, cette manif de policiers n’était pas confortable, mais j’assume. Si on veut gouverner, il n’y aura pas de confort. » Il a promis dans la foulée le transfert de l’IGPN, la police des polices, au Défenseur des droits.
Jean-Marc Governatori, l’invité non désiré
Quand Jean-Marc Governatori est monté à la tribune, les militants écologistes ont déserté la pelouse. Exclu un temps du « pôle écologiste » pour ses divergences avec EELV sur la forme de la primaire, le conseiller municipal niçois est entré aux universités d’été par la porte judiciaire. Seule une poignée de curieux, certains goguenards, reste assister à l’étrange performance.

Portées « par l’énergie de l’amour », les envolées lyriques parfois confuses du candidat attirent les rires. Son programme laisse songeur. « Moi président, nous instaurerons des potagers partout pour résoudre la précarité alimentaire ! » Il l’assure, il abolira la corrida, les expérimentations animales, l’élevage en batterie, la chasse... Et diviserait la tâche du Premier ministre entre trois ministres, qui seraient élus par une nouvelle chambre législative elle-même constituée par des citoyens tirés au sort.

Pour Julie, qui a fait le déplacement depuis Paris, l’enthousiasme de ces promesses n’empêche pas l’appréhension :« Même quand nous aurons un ou une candidate, il va falloir s’atteler au gros du travail : l’union des gauches, disait la jeune femme, toujours indécise sur son choix de candidat. Je ne pense pas que les Insoumis ou les Socialistes se rangeront docilement derrière nous avant le premier tour. Et au second, il sera peut-être trop tard. » D’ici là, la primaire des écologistes va mobiliser toute leur attention.
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