Médiatrice pastorale, elle aide randonneurs et troupeaux à cohabiter

Tout l'été, Anne-Laure, guide de montagne âgée de 31 ans, effectue un travail de prévention sur les sentiers de randonnée dans le massif de Belledonne. - ©Benoît Pavan / Hans Lucas pour Reporterre
Patous, troupeaux... Dans le massif de Belledonne, Anne-Laure a été missionnée pour faire de la prévention auprès des randonneurs. Objectif : savoir utiliser les bons gestes.
Massif de Belledonne (Isère), reportage
Peu de randonneurs auront remarqué, ce matin-là, l’affiche plastifiée accrochée par Anne-Laure sur le parking. Mais la jeune femme de 31 ans relativise : « Mon boulot avant tout, c’est de tchatcher ! » Voilà plus d’un mois qu’a démarré son travail de médiatrice pastorale dans les zones de Chamrousse et de la Pra, au-dessus de Grenoble (Isère). Une mission encore peu répandue en France, qui consiste à informer tous les usagers de la montagne sur la présence du troupeau et sur les bons gestes à avoir... en particulier face aux patous, ces gros chiens de berger dont les attaques sont régulièrement relayées dans la presse locale.
Au départ du chemin qui va vers la cascade de l’Oursière, en contrebas de Chamrousse, Anne-Laure aborde deux frères en train de se préparer. « Il y aura un troupeau sur votre route, vous connaissez les gestes ? » Les deux hommes, originaires de la Marne, écoutent d’abord d’une oreille un peu distraite les consignes qu’Anne-Laure égrène patiemment. Mais leur attention se réveille lorsque la médiatrice précise que ce jour-là, le troupeau est gardé par une dizaine de patous. « Ah oui, quand même ! » siffle l’un des deux frères.

Plus loin, Anne-Laure croise un couple, redescendu de bonne heure de la plaine de la Pra, quelque 1 000 mètres plus haut. La médiatrice entame la discussion : « Vous avez croisé le troupeau ? » Le couple, qui venait tester le bivouac à cet endroit pour y retourner avec ses enfants, fait part de ses inquiétudes. Pendant la nuit, ils ont entendu des bruits autour de leur tente. « Les patous travaillent même la nuit, ils surveillent les bêtes qui s’aventurent seules », explique Anne-Laure. Le couple raconte aussi qu’au matin, le troupeau était tout autour de leur tente. « C’est bon signe, ça veut dire que le troupeau vous a “analysé” et accepté », rassure Anne-Laure, face à leur mine étonnée.

Chacun à sa place… mais tous ensemble
Des échanges comme ceux-là, Anne-Laure peut en avoir plusieurs dizaines par jour. Inlassablement, la jeune femme répète les consignes auprès de toutes les personnes qu’elle croise. Avec plus ou moins de détails, selon qu’ils sont des randonneurs du dimanche ou plus avertis. « C’est l’avantage de la médiation, on peut adapter notre discours. Certains n’ont pas du tout la culture de la montagne, et connaissent encore moins la médiation pastorale. Une fois, une personne a même cru que j’allais lui parler de religion ! » s’amuse la jeune femme.

Il faut dire que le travail d’Anne-Laure a quelque chose de l’ordre du sacré. Cinq jours par semaine, la jeune femme prend son bâton de pèlerin, accompagnée de sa chienne Saya, et sillonne les sentiers de randonnée. Chaque jour, elle fait face aux questionnements et aux idées reçues. « J’ai vu des gens qui avaient pris des bombes lacrymogènes avec eux ! Les mauvais comportements accentuent le problème, car le patou réagira encore plus fortement la fois d’après. » Mais la médiatrice agit avec pédagogie et sans jugement. « Mon but, c’est que tout le monde ait sa place », insiste la jeune femme, qui a une formation de guide de montagne et une certification en élevage caprin.

Un recours croissant aux patous
Et la tâche n’est pas mince. Dans cette partie du massif de Belledonne, hyper populaire auprès du grand public pour les sports de montagne, mais aussi appréciée pour la chasse, certaines zones sont classées Natura 2000. On compte aussi environ 12 000 hectares d’alpages. Cette année, les usagers de la montagne doivent composer avec un troupeau d’un peu plus de 1 000 bêtes... et avec le loup, bel et bien implanté dans le massif. « Savoir si le loup est présent, c’est LA question des randonneurs », remarque Anne-Laure.
Difficile de savoir exactement combien de meutes sont présentes dans cette zone, d’autant que les méthodes de comptage font rarement consensus. Mais lorsque le prédateur tant redouté a fait son retour en France, au début des années 1990, les Alpes ont été sa première porte d’entrée. Et les attaques de loups se sont multipliées, contraignant les éleveurs à revoir leur fonctionnement. Après un demi-siècle sans prédateurs, les éleveurs sont aujourd’hui nombreux à recourir aux patous pour protéger leur troupeau.

Aucune statistique n’existe sur le nombre de ces chiens, mais un groupe de travail à l’Assemblée nationale sur les chiens de troupeau a pu établir que « l’aide financière à l’acquisition et à l’entretien des chiens de protection concerne environ 4 231 chiens en 2019, contre 3 664 en 2018 », ce nombre étant probablement sous-évalué. Un arrêté de 2019 a contribué à cet essor en encadrant l’indemnisation des éleveurs. « Les éleveurs n’ont pas forcément envie de s’équiper en patous, mais c’est de plus en plus une condition pour être indemnisé en cas d’attaque », souligne Loris Subit, chargée de mission pour l’association Espace Belledonne.

« Les mauvais comportements, c’est tous les jours »
« Ooooooh ! » Sur le plateau de la Pra, au pied du refuge, Ret, le berger, n’hésite pas à donner de la voix pour éloigner les randonneurs imprudents, alors que deux hommes affolent moutons et patous en traversant l’alpage. « Les mauvais comportements, c’est tous les jours », souffle le saisonnier de 32 ans. Depuis le début de la saison, trois randonneurs ont été attaqués par « ses » patous. « À chaque fois, on avait de mauvais gestes, des gens qui hurlent sur les chiens, qui brandissent leurs bâtons », raconte Ret.

Une situation d’autant plus difficile à gérer pour le berger que les patous sont des chiens de travail, appartenant généralement à l’éleveur et agissant en totale autonomie dans les pâturages. S’ils n’attaquent pas le berger, ils ne lui obéissent pour autant pas au doigt et à l’œil… et sont dressés avant tout pour protéger les bêtes. « Les gens ne savent pas comment fonctionne un troupeau, ils pensent que les bergers ne font rien », s’agace Ret.

Panneaux, flyers, réseaux sociaux… La communication autour du patou existe pourtant depuis longtemps. « Mais un panneau, on n’a pas forcément envie de le lire, et il y en a beaucoup. Le relationnel, ça marche dix fois mieux ! » assure Loris Subit, de l’Espace Belledonne. Des médiateurs comme Anne-Laure, « il m’en faudrait au moins six », abonde le berger. L’avenir dira si la « tchatche » d’Anne-Laure pourra essaimer…
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