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Politique

Municipales : quelle stratégie pour Europe Écologie-Les Verts ?

Alors que l’opinion publique montre une préoccupation croissante pour le climat et la protection de l’environnement, Europe Écologie-Les Verts joue gros lors du scrutin municipal. Plusieurs mairies importantes pourraient tomber dans son escarcelle. Le point sur la stratégie des écologistes.

L’hiver passe inaperçu, dans un ciel détraqué par le dérèglement climatique. Le 15 mars, le premier tour du scrutin municipal annoncera-t-il le printemps avec cinq jours d’avance en France ? Car la couleur de l’élection, c’est le vert, résolument. Pas une liste qui n’omette un petit couplet écolo, aux six coins de l’Hexagone. Jamais, sur tract électoral, les arbres n’auront été autant courtisés, les sacs en plastique honnis, les cantines bio adorées.

Car les partis ont bien décrypté la leçon surprise du très bon résultat aux Européennes de mai dernier. La liste Europe Écologie-Les Verts (EELV) menée par Yannick Jadot était arrivée en troisième position avec 13,48 % des voix, poussée par le vote des jeunes. Un parti donné moribond après le fiasco de son alliance avec Benoît Hamon à la présidentielle de 2017…

« La campagne des municipales est un festival de verdissements factices »

Depuis, le thermomètre grimpe, les citoyens défilent dans la rue pour le climat, l’influence de Greta Thunberg s’étend, les méga incendies succèdent aux inondations historiques et la pression ne cesse de monter dans l’opinion. Début février, 45 % [1] des sondés jugeaient possible de voter écologiste au premier tour, un potentiel jamais enregistré à ce niveau.

« L’écologie est devenue le cadre du débat public, se réjouit Julien Bayou, secrétaire national EELV. Au point que la campagne est le théâtre d’un festival de verdissements factices. » Il reste pourtant prudent. « Notre électorat se décide souvent tardivement… » Mars 2020 : après moult désillusions, l’heure de ramasser la mise électorale ?

Congrès fédéral d’EELV.

Le temps de l’hégémonie d’EELV sur les thèmes écologistes n’est plus. Sincères ou opportunistes, tous les partis politiques ont des propositions à mettre sur la table. La première tâche tactique des écologistes, c’est de convaincre l’opinion « qu’il vaut mieux choisir l’original à la copie ». Dit autrement par David Belliard, candidat EELV à Paris : « Pour faire de l’écologie, il faut des écologistes. » Et le parti se trouve en position plus confortable qu’en 2017, constate Julien Bayou, secrétaire national. « La France insoumise est moins audible aujourd’hui sur son projet d’éco-socialisme. Le PS et l’[UDI|Union des démocrates et indépendants] sont beaucoup plus présents sur les questions d’environnement. » Mais moins crédible à gauche quand il s’agit de porter une écologie sociale ambitieuse. Quant à La République en marche, « le parti présidentiel souffre de son incohérence : difficile de revendiquer localement l’écologie quand le gouvernement recule sur le glyphosate, promeut l’accord économique UE-Canada (Ceta) ou traine les pieds pour sortir du charbon. De notre côté, nous pouvons affirmer “constance, cohérence et courage” sur l’écologie. »

EELV a fait le choix de soutenir des listes écologistes « ouvertes »

Lors de son conseil fédéral de juin 2019, EELV a fait le choix de soutenir des listes écologistes « ouvertes » dans le maximum de municipalités de France, « en particulier dans les villes de plus de 9.000 habitants ». Il y a encore trois ans, on aurait parlé de « stratégie d’autonomie au premier tour », mais ça ne veut plus dire grand-chose, commente Hélène Hardy, déléguée aux élections au bureau exécutif national du parti. « Ce terme renvoyait, dans 95 % des cas, au rapport historique que nous entretenions avec des socialistes à tendance hégémonique. Il s’agissait de nous démarquer de notre rôle de supplétifs. Aujourd’hui, le contexte est totalement différent. »

Éric Piolle, maire de Grenoble.

Le PS, devenu fantomatique, se plaint désormais d’être mal traité par EELV, qui choisirait de s’allier au niveau local uniquement quand ça l’arrange — comme à Grenoble, la plus importante ville française sous gestion écologiste (165.000 habitants). Le maire Éric Piolle, qui sollicite sa reconduction, accueille sur sa liste un large panel d’organisations politiques écologistes (dont le Parti animaliste), de gauche (dont le PCF) et citoyenne. Mais pas le PS local, qui a préféré adouber son poulain local… le macroniste Olivier Noblecourt, « Monsieur pauvreté » du gouvernement en congé de sa mission pour les besoins de la campagne, où il affrontera notamment… une candidate LREM

Piolle a de bonnes chances de l’emporter, et confortablement, avec sa liste « franchement écolo ». Une estampille qui remplace « autonome » dans la bouche d’Hélène Hardy : « Il n’est pas prioritaire que la tête de liste soit EELV : l’important, c’est le programme, qui doit être écolo-compatible et cohérent sur tous les fronts. À partir de là, tout est envisageable en terme d’alliances. » C’est dans les gènes du parti : les statuts stipulent que les groupes locaux ont le dernier mot sur leur stratégie électorale. À une restriction près, a voté le Conseil fédéral : « Les partis soutenant le gouvernement actuel, dont la politique environnementale, économique et sociale est incompatible avec l’écologie, n’auront pas leur place sur ces listes. » Sous peine de se voir retirer le droit d’utiliser le logo EELV.

La couverture du territoire par les listes écologistes n’a jamais été aussi large

En gros, il existe donc deux cas de figures : un pôle associant le parti à d’autres mouvements écologistes (CAP 21, Génération écologie, Parti animaliste, Alliance écologiste indépendante, etc.) ou bien un rassemblement avec des forces de gauche à condition qu’elles acceptent un programme « franchement écologique ». L’orthodoxie des deux options, à l’échelon municipal, a le bon goût de neutraliser un débat stratégique qui ne manquera de ressurgir lors des scrutins régionaux ou présidentiel : rassembler largement la « famille écolo » (Yannick Jadot) ou chercher des alliances à gauche (Julien Bayou, David Cormand).

« Les triangulaires avec des écolos au second tour, c’est plutôt inédit. »

« Et l’on rencontre une grande variété de combinaisons, souligne Alain Coulombel, l’un des porte-parole nationaux du parti. Y compris des rapprochements avec la France insoumise, dont les militants sont plus autonomes qu’on ne l’imagine, sur le terrain. » C’est le cas à Grenoble entre autres : « Beaucoup d’observateurs voient dans les alliances l’alpha et l’omega de la réussite. Mais ce qui semble séduire, c’est d’abord le projet écologiste. »

L’état des lieux abonde dans son sens, alors que la couverture du territoire par les listes écologistes n’a jamais été aussi large. À deux semaines de la date limite de dépôt des candidatures (27 février), elles étaient présentes dans 39 des 42 villes françaises de plus de 100.000 habitants, contre 17 en 2014. Avec des intentions de vote au premier tour dépassant parfois 30 %. Outre Grenoble, il n’est pas déraisonnable d’imaginer un très bon résultat écolo (voire une victoire) à Lyon (liste à composante 100 % écologiste menée par l’EELV Grégory Doucet), à Bordeaux (alliance avec le PS, le PCF, Génération.s, Nouvelle donne et Place publique, menée par l’EELV Pierre Hurmic), à Nantes (alliance avec Génération écologie et le Parti animaliste, menée par l’EELV Julie Laernoes), à Strasbourg (alliance avec le PCF, Génération.s et Place publique menée par l’EELV Jeanne Barseghian), à Rouen (alliance avec le PCF et Génération.s menée par l’EELV Jean-Michel Bérégovoy) et plus certainement encore à Besançon (alliance avec le PS, le PCF, Génération.s et le collectif À gauche citoyens, menée par l’EELV Anne Vignot).

Des membres d’Archipel citoyen, liste participative toulousaine.

Presque partout, ces listes sont ouvertes à la société civile et s’attirent le soutien de mouvements citoyens. Ce scrutin municipal est même marqué par une étonnante effervescence de listes citoyennes, issues de processus participatifs horizontaux et très démocratiques. Les écologistes s’y sentent naturellement à l’aise, au point de contribuer fréquemment à ces élaborations, et même d’occuper la tête de liste, comme à Poitiers ou encore à Toulouse, où la liste Archipel citoyen semble promise au second tour.

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