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Forêts

Partout en France, des citoyens se liguent pour que vivent les forêts

En 2018, des agents forestiers ont marché 300 km pour dénoncer l’industrialisation de la forêt française et la privatisation de l’ONF.

Les 16 et 17 octobre, une salve d’actions contre « l’industrialisation des forêts » est organisée en France. Le mouvement entend faire plier le gouvernement, qui veut accroître les prélèvements en forêt de 70 % d’ici 2050.

C’est un mouvement encore jeune mais prometteur. À la suite de la publication de l’Appel pour des forêts vivantes l’été dernier, dans Reporterre notamment, une constellation de collectifs et d’associations ont décidé de faire « front commun contre l’industrialisation des forêts ». Ils organisent le 16 et 17 octobre prochain une myriade d’événements dans les bois. Trente-trois actions sont recensées partout en France. Les militants entendent « faire résonner ces luttes au même moment sous un même cri de ralliement ».

Dans l’Ain, « un carnaval révolté » est prévu contre les coupes rases et l’exploitation de la forêt de Saint-Gobain. Dans le massif du Morvan, des habitants vont replanter une forêt diversifiée sur une ancienne monoculture résineuse. Dans le Limousin, une grande manifestation va sillonner le plateau des Millevaches. Dans les Pyrénées, les opposants à la mégascierie Florian sont aussi mobilisés. Ailleurs, des balades, des pièces de théâtre, des projections et des discussions sont au programme.

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« Cette dynamique est née de la rencontre entre plusieurs luttes de terrain, raconte à Reporterre Régis Lindeperg, un membre de la coordination impliqué dans le Morvan. C’est un mouvement spontané qui part de la base, porté par des habitants et des forestiers directement touchés par l’industrialisation de la forêt. »

« Nous ne souhaitons plus être les spectateurs passifs du ravage » : lancé cet été, l’Appel pour des forêts vivantes invite chaque collectif à se mobiliser au cours d’une année jugée « décisive ». Pour ses auteurs, « nos forêts sont à la croisée des chemins ». Ils dénoncent la multiplication des coupes rases, l’enrésinement et l’extrême mécanisation des travaux forestiers. Ils réclament un véritable service public forestier et la fin des projets de centrales à biomasse.

Le moment est effectivement charnière. Dans le cadre de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), le gouvernement veut accroître les prélèvements en forêt de 70 % d’ici 2050 pour passer d’environ 60 millions de mètres cubes de bois récoltés par an à plus d’une centaine de millions. Le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, est un ardent défenseur de cette politique. À l’Assemblée nationale, il a affirmé qu’« une forêt se cultive et s’exploite » [1]. Dans une lettre adressée à la Commission européenne, il s’est attristé de voir les forêts « réduites à des considérations environnementales en ne tenant pas compte des aspects socioéconomiques ».

« Seule une pression sur le terrain pourra faire plier l’État »

« Au sommet de l’État, tout est verrouillé, constatent les membres de l’Appel. Seule une pression sur le terrain pourra les faire plier. » Le texte est signé par une cinquantaine d’organisations dont l’association Canopée, le Réseau pour les alternatives forestières ou encore le Snupfen — le syndicat majoritaire de l’Office national des forêts. Il est aussi porté par des professionnels et des forestiers engagés dans les circuits courts et la sylviculture proche de la nature. Le mouvement a reçu également le soutien de personnalités et d’intellectuels comme le paysagiste Gilles Clément, le philosophe Baptiste Morizot, le botaniste Francis Hallé ou l’ingénieur forestier Ernst Zürcher qui ont publié une tribune dans Le Monde, mercredi 13 octobre.

Manifestation contre une mégascierie à Lannemezan (Hautes-Pyrénées) en novembre 2020. © Alain Pitton/Reporterre

« La particularité de cet appel est de rassembler différentes conceptions de ce que devrait être une forêt vivante, dit Élie Kongs, membre de la coordination et du syndicat de la montagne limousine. Il s’agit de former une alliance entre une multitude d’usages et d’approches qui se retrouvent toutes dans leur opposition à l’extractivisme forestier. »

Pour le collectif, une forêt vivante est une forêt diversifiée qui ruisselle de vies, pleine d’interactions et riche d’un écosystème complexe, qui n’exclut pas forcément les humains. Les membres de l’Appel défendent une gestion soutenable allant de la sylviculture douce à la forêt cueillie, de la futaie jardinée à la libre évolution. Par principe, une forêt vivante s’oppose à une forêt plantée, monospécifique, surexploitée, alignée au cordeau et sans biodiversité.

« Nous devons nous réapproprier la responsabilité de notre environnement »

Comme le mouvement des Soulèvements de la Terre, l’Appel pour des forêts vivantes cherche à reterritorialiser les luttes écologistes. « La protection de la nature n’est pas qu’une affaire d’experts, explique Elie Kongs. Nous défendons l’idée que c’est depuis les milieux de vie que peuvent se réinventer des relations adéquates aux écosystèmes, moins en répétant de grandes généralités sur la crise environnementale qu’en mettant en partage notre aptitude à prendre soin de là où nous habitons. Nous devons nous réapproprier la responsabilité de notre environnement dont nous avons été exclus. Chacun sait que les États, enferrés dans les logiques imposées par les lobbies productivistes, en sont incapables. »

Le grimpeur arboriste Thomas Brail, défenseur des forêts sur le terrain et sur les réseaux sociaux, au milieu d’une coupe rase dans le Tarn. © Alain Pitton/Reporterre

Au-delà des mobilisations du 16 et du 17 octobre, le mouvement prépare une assemblée des luttes forestières qui aura lieu courant janvier 2022. Plus que de faire un coup d’éclat, les membres de l’Appel cherchent à enraciner leur combat et à accroître le rapport de force. En mars, ils organiseront une action de désobéissance civile. Les signataires de l’Appel se disent non violents mais assument la possibilité d’être dans l’illégalité.

La menace semble être prise au sérieux par la filière. Un courrier a récemment été envoyé par l’interprofession à tout le secteur. Elle enjoint les professionnels « à sécuriser leur matériel au maximum pour éviter tout acte de sabotage et autres dégradations ». « Si vous êtes dans une zone potentiellement sensible (près d’une ville, sur un chantier visible de loin…) vous pouvez également contacter préventivement la gendarmerie pour qu’ils puissent intervenir rapidement le cas échéant. »

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