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ReportageAgriculture

Pour la Confédération paysanne, l’agriculture se sauvera par le lien avec la société

Le syndicat agricole a tenu son congrès national les 12 et 13 avril en Bretagne. Il a affirmé le lien essentiel entre une agriculture soucieuse de qualité et une société préoccupée par son alimentation.

  • Muzillac (Morbihan), reportage

« Nous ne réfléchissons pas en matière d’agriculture, mais en matière d’alimentation, a expliqué à Muzillac Laurent Pinatel, le porte-parole de la Confédération paysanne depuis 2013. Nous ne souhaitons pas une politique construite uniquement par les agriculteurs, mais prenant en compte les consommateurs, les citoyens. L’agriculture doit être un service public. »

Cette manière d’aborder les questions agricoles fait partie de la culture du troisième syndicat agricole français, qui fête ses 30 ans cette année. Créé en 1987, le syndicat revendique aujourd’hui 10.000 adhérents, contre plus de 200.000 pour le syndicat majoritaire, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). Dans la logique de cette ouverture, la Confédération paysanne a impulsé, à partir de 2003, la création des Amis de la Conf’, une association nationale ouverte aux non-paysans pour parler d’agriculture.

« À chaque fois qu’un sujet agricole fait la Une de la presse, les adhésions et dons que nous recevons montent en flèche, explique Jean-Pierre Edin, salarié des Amis de la Conf’. On note, par exemple, qu’il y a un avant et un après la ferme-usine des 1.000 vaches, où nous sommes passés de 800 à plus de 1.000 adhérents. » Les projets d’aménagement urbain sont également une bonne porte d’entrée pour les citoyens, comme le raconte Violette Auberger. « Dans la Loire, où je vis, il y avait un projet d’autoroute et la question de la protection des terres agricoles contre l’urbanisation est arrivée très vite sur la table. Nous avons pu faire preuve de pédagogie sur ces enjeux très techniques. »

Les Amis de la Conf’ : Jean-Pierre Edin et deux de ses trois coprésidentes, Violette Auberger et Francine Narbal.

L’agriculture à deux vitesses 

Lors du congrès de Muzillac, plusieurs chapiteaux étaient dressés pour accueillir les convives à déjeuner. À 300 mètres, le vieux couvent a accueilli les réunions internes au syndicat, et des stands d’associations et de syndicats y étaient tenus. Parmi eux, celui du collectif de soutien aux salariés de l’entreprise agroalimentaire Triskalia et celui pour les victimes des pesticides de l’Ouest. « C’est la Conf’ qui nous a invités », lance Michel Besnard, membre du collectif. Plus précisément, Morgane Ody, maraîchère, leur a proposé de venir, consciente que les victimes des pesticides travaillent autant dans l’agroalimentaire que dans l’agriculture. Pour cette maraîchère installée à Brech, dans le Morbihan, ces intérêts communs sont évidents, raison pour laquelle elle prône une approche globale de la question paysanne. « Il faut un soutien public pour que les agriculteurs se convertissent à des modèles autonomes financièrement et en matière d’intrants. On ne peut pas se contenter de parler de la responsabilité individuelle des paysans. Si on interdit tous les intrants en France et qu’on continue d’importer des cerises pleines de pesticides depuis l’autre bout du monde, ça ne peut pas fonctionner. Il faut lier les pratiques agricoles au commerce international. »

Le collectif de soutien aux salariés de Triskalia était présent au congrès de la Confédération paysanne.

« Quand on fait du cochon hors-sol en Bretagne, on importe du soja d’Amérique du Sud pour nourrir les bêtes. Nous avons cette vision d’ensemble, nous ne défendons pas une filière particulière, mais portons un projet de société qui va de nos éleveurs aux producteurs des pays du Sud, détaille Julien Brothier, porte-parole du syndicat dans le Morbihan. Chacune de nos actions locales porte cette dimension, à la différence de la FNSEA, le syndicat majoritaire, qui défend uniquement les filières en France. »

Julien Brothier, porte-parole du syndicat dans le Morbihan.

Laurent Pinatel, le porte-parole national, va plus loin en dressant le constat d’un creusement du fossé entre les exploitations de grande taille et celles petites, voire très petites. D’un côté, le bio et les circuits courts semblent s’être inscrits dans le temps et avoir passé le cap de l’effet de mode. Les agriculteurs construisent leur modèle économique en associant ventes sur les marchés, au sein des Amap et auprès des grandes surfaces. Les emplois à la clef sont bel et bien là. Mais cette effervescence d’initiatives n’atteint pas le stade critique qui permettrait de passer du local au global et de faire système.

D’un autre côté, les paysans subissent des pertes importantes de revenus, la reconnaissance qu’ils reçoivent est en berne et les suicides sont nombreux dans la profession, en particulier dans le secteur laitier. Une agriculture à deux vitesses, en somme, où les exploitations de taille moyenne s’éteignent les unes après les autres, à l’ombre des drames humains.

Laurent Pinatel, porte-parole national de la Confédération paysanne.

« Cette vision d’une agriculture a deux vitesses est celle portée par Christiane Lambert, [la nouvelle patronne de la FNSEA] et par le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, explique le porte-parole national du syndicat. Nous, nous parlons de l’alimentation, pas uniquement de l’agriculture, et souhaitons faire basculer l’ensemble de l’agriculture vers des modèles de production de qualité en matière de produits, de revenus, de conditions de travail et d’environnement. »

« Fournir des aliments de qualité à un prix accessible à tous » 

Pour y parvenir, la Confédération paysanne suit deux axes de travail. À l’échelle européenne, avec des primes sur la qualité des produits pour qu’ils restent accessibles au plus grand nombre. À l’échelle nationale, avec des outils législatifs sur la répartition des marges entre les producteurs et les grandes entreprises de transformation pour garantir un revenu aux agriculteurs.

Le cas de la famille Besnier, propriétaire de Lactalis, est emblématique de cette répartition des revenus. Emmanuel Besnier, le PDG de la laiterie, fait dorénavant partie des dix premières fortunes françaises, avec 10,6 milliards d’euros, selon Forbes. En parallèle, la recette pour les éleveurs de Lactalis entre 2014 et 2016 a diminué de 2 milliards d’euros, estime Laurent Pinatel. « Il manque 2 milliards d’euros pour les éleveurs, Besnier gagne 4 milliards et l’État fait un plan d’urgence pour les producteurs de lait. Il y a un problème dans la répartition des marges », s’agace le porte-parole national.

Entre les négociations de la Politique agricole commune (Pac) — qui se déroulent à l’échelon européen entre ministres —, et les négociations nationales — où le syndicat majoritaire et les lobbyings de l’agroalimentaire ont bien plus de poids —, la marge de manœuvre de la Confédération paysanne se situe dans son rapport avec les consommateurs et les citoyens : « Nous pourrons faire bouger notre modèle en se plaçant sur une politique alimentaire qui a pour objectif de fournir des aliments de qualité à un prix accessible à tous, explique Laurent Pinatel. Ce n’est possible qu’en passant par la société civile, qui est de plus en plus soucieuse de la qualité des aliments, de leur provenance, des modes de production et de rémunération des paysans. »

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