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EntretienPolitique

Avec le passe sanitaire, « la parole publique est piétinée, comme la confiance qui va avec »

Le député LFI Ugo Bernalicis à l'Assemblée nationale, le 24 février 2020, à Paris.

Après les annonces d’Emmanuel Macron sur le passe sanitaire, Ugo Bernalicis et plus de 70 députés ont déposé un recours devant le Conseil constitutionnel pour contester ce projet de loi. D’une décision prise par un « monarque », à un examen non « consciencieux », le député de la France insoumise revient sur les raisons de cette saisine.

Ugo Bernalicis fait partie des 74 députés d’opposition ayant déposé un recours devant le Conseil constitutionnel pour contester le projet de loi sur le passe sanitaire. C’est encore lui qui a rencontré les « Sages » afin de les convaincre de censurer les dispositions de ce texte très décrié. Le député La France insoumise (LFI) nous explique les raisons de ce recours et les conséquences éventuelles.



Reporterre — Le vote de la loi sur le passe sanitaire a eu lieu le vendredi 23 juillet, à 5 h 30 du matin, après une âpre nuit de débats. De telles nocturnes sont-elles fréquentes ?

Ugo Bernalicis — Cela arrive plus souvent qu’on ne le croit, quand c’est la dernière ligne droite et que l’on veut terminer. Je repense à la loi Sécurité globale, votée à 6 heures du matin. Mais ce qui est scandaleux, c’est que nous n’ayons eu que 48 heures pour déposer nos amendements, alors que le gouvernement a pris une semaine pour écrire son texte. Ce qui prouve qu’après l’annonce d’Emmanuel Macron le 12 juillet, rien n’était prêt. Il a décidé cela tout seul, tel un monarque, mais cela ne se passe pas ainsi dans une démocratie.

De plus, le 31 mai dernier, lors du vote de la loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, le passe sanitaire était déjà créé pour les grands rassemblements. Mais à l’époque, toutes les prises de parole juraient que ce passe ne serait jamais appliqué dans la vie quotidienne. Le gouvernement s’est largement contredit depuis.

Certains députés n’hésitent pas à dire que les travaux parlementaires ont été bâclés. Qu’en pensez-vous ?

C’est vrai. L’examen des amendements de cette loi n’a pas été consciencieux, alors qu’elle va restreindre nos libertés. C’était devenu si urgent pour le gouvernement, qu’Olivier Veran [le ministre des Solidarités et de la Santé] a assuré que si nous ne finissions pas dans la nuit de mercredi à jeudi, nous aurions des morts sur la conscience, car le texte ne se serait pas appliqué assez vite. Il a ensuite dû ravaler ses paroles, en réalisant que le calendrier était intenable.


Le Conseil constitutionnel, que vous avez saisi avec 73 autres députés, doit rendre sa décision le 5 août. Peut-il apporter une réponse favorable à votre saisine ?

Nous avons saisi le Conseil constitutionnel sur deux principes de constitutionnalité : la nécessité des mesures et leur proportionnalité. La disposition qui est la plus éloignée du contexte sanitaire et la plus susceptible de censure, ce sont les suspensions de contrats sans salaire et les licenciements [1].

Durant ce quinquennat, on ne compte même plus les saisines auprès du Conseil constitutionnel, la loi Avia ou encore la loi Sécurité globale, qui ont été en partie censurées. Ainsi, on ne peut pas dire que nous n’avons pas d’espoir.

Mais sur les textes concernant l’état d’urgence sanitaire, le Conseil n’a pas pris de décision particulièrement courageuse. Pourtant, j’ai vu ses membres exaspérés par la situation dans laquelle on les mettait. Car l’Assemblée nationale, le Sénat ou le Conseil constitutionnel ne sont pas que des chambres d’enregistrement. C’est pour cela que nous sommes dans un état de droit. Si ces étapes ne fonctionnent plus, nous passons dans une autre configuration.


Que pensez-vous des manifestations contre le passe sanitaire ?

Instaurer le passe sanitaire dans ces conditions fracture l’ensemble du pays et nous éloigne de l’objectif que nous devrions tous partager dans le cadre d’une gestion de crise : se serrer les coudes et ne pas se diviser. Aujourd’hui, la parole publique est piétinée, comme la confiance qui va avec. Ceux qui attendaient encore un peu pour se faire vacciner n’en ont plus envie à cause des revirements du gouvernement. D’un samedi sur l’autre, les gens sont de plus en plus nombreux dans la rue, alors que nous sommes en plein été. Cela ne s’était jamais vu, même sous les Gilets jaunes.


Êtes-vous allé manifester ?

Je suis allé voir ceux qui manifestaient le mercredi [21 juillet] devant l’Assemblée nationale. Quelques trolls criaient plus fort que les autres, mais ils ne sont pas représentatifs de la masse. Des collègues de mon groupe parlementaire sont allés manifester le samedi, sans banderole, puisque cela joue sur la visibilité. Cela permet d’être plus à l’aise, car si nous sommes opposés au passe sanitaire, nous ne voulons pas accaparer le mouvement et être amalgamés à certains défilant avec une étoile jaune. Les seuls politiques qui se sont rendus visibles sont ceux ayant organisé une manifestation, comme Florian Philippot [ancien numéro deux du Front national], qui sont aujourd’hui accusés de vouloir récupérer le mouvement. Mais cela ne m’inquiète pas, c’est comme au début des Gilets jaunes où l’extrême droite a rapidement été mise à l’écart. Si les mobilisations se poursuivent, cela peut avoir un impact sur les décrets d’application, qui seront divulgués le 7 août, afin qu’ils soient moins liberticides.

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