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Nature

Biodiversité : « Le déclin se poursuit » et la France ne fait (presque) rien

« Le déclin de la biodiversité se poursuit », alerte un rapport du Conseil économique, social et environnemental, à paraître ce 23 septembre. Ses auteurs taclent le gouvernement qui n’a « pas pris ses responsabilités » face à l’« urgence ». D’autant que les outils législatifs pour protéger le vivant existent mais ne sont pas appliqués.

Le vivant s’effondre, et nous regardons ailleurs. Un nouveau rapport, à paraître ce mercredi 23 septembre, vient, à son tour, tirer la sonnette d’alarme. Il émane du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et dresse un bilan plus que mitigé de l’action environnementale française. « Le dérèglement climatique est entré dans le viseur des responsables politiques, mais la biodiversité est restée sur le bord du chemin », constate, amer, Allain Bougrain-Dubourg, l’un des deux auteurs de l’avis du Cese.

Ce n’est pourtant pas faute d’alertes scientifiques : la sixième extinction de masse est aujourd’hui fort bien documentée. D’après le « Giec de la biodiversité », « environ un million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction notamment au cours des prochaines décennies, ce qui n’a jamais eu lieu auparavant dans l’histoire de l’humanité ». En France, la population des oiseaux, bon indicateur de l’ensemble de la biodiversité, a chuté en dix ans de 40 % pour les chardonnerets et d’un tiers pour les oiseaux vivant dans des milieux agricoles. Et selon le dernier rapport de l’Observatoire national de la biodiversité, seulement 20 % des écosystèmes remarquables sont dans un état de conservation favorable.

Ce n’est pas faute non plus d’outils législatifs : la loi « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », adoptée en août 2016 après deux ans et demi de débats parlementaires, « affichait des objectifs ambitieux et des apports utiles », indique le rapport du Cese. Le texte instaurait notamment un objectif de « zéro perte nette de biodiversité », mettait en place l’obligation d’« éviter, réduire, compenser » les atteintes à l’environnement, et cherchait à clarifier la gouvernance de ces politiques par la création de l’Agence française pour la biodiversité.

Le scarabée pique-prune, une espèce protégée.

Sauf que… Quatre ans après la promulgation de cette loi « historique » – le précédent grand texte pour la nature remontait à 1976 – le Conseil économique social et environnemental « constate que non seulement la "reconquête" n’est pas amorcée, mais qu’au contraire, le déclin se poursuit ». « La loi n’a pas démérité, mais on ne s’est pas emparé de cet outil, on ne sait même pas le faire marcher, dénonce M. Bougrain-Dubourg. Il n’y a ni les moyens suffisants pour l’appliquer, ni la volonté politique pour porter le changement de paradigme nécessaire. Le gouvernement n’a pas pris ses responsabilités. » Que s’est-il donc passé ? Comme d’autres politiques environnementales – la sortie des pesticides ou la rénovation énergétique – la loi biodiversité semble avoir fait les frais d’un mal bien français en matière d’écologie : la difficulté de passer de la parole aux actes.

Moins de 0,4 % du budget de l’État est consacré à la biodiversité

Il y a d’abord un problème de gros sous. « Les moyens humains et financiers consacrés par les pouvoirs publics à la protection de la biodiversité demeurent relativement limités », observent les auteurs du rapport. Au total, 1,265 milliard d’euros est consacré à la biodiversité, soit moins de 0,4 % du budget de l’État. Sans oublier que de nombreuses aides publiques sont à l’inverse néfastes pour l’environnement. Ce manque de moyens est préoccupant pour le jeune Office français de la biodiversité (OFB), nouveau « bras armé » de la politique environnementale. « Les moyens et les effectifs alloués à l’OFB ne lui permettront pas de mener à bien l’ensemble de ses missions », préviennent les auteurs, qui pointent notamment le dénuement des agences régionales de la biodiversité (ARB), censées mettre en œuvre localement les objectifs écologiques nationaux. Seules sept des dix-huit régions françaises disposent d’une ARB, étoffée chacune d’à peine une quinzaine de salariés.

Il y a ensuite un échec dans l’application même de la loi. Au nom du « zéro perte nette de biodiversité », le texte de 2016 obligeait normalement tout projet d’infrastructure à « éviter, réduire et compenser » – c’est ce qu’on nomme la séquence ERC – les atteintes qu’il porterait à l’environnement (destruction d’habitats, d’espèces…). L’idée est relativement simple : les promoteurs de routes ou de centres commerciaux doivent au maximum éviter les dommages environnementaux, sinon réduire leurs impacts, et en dernier ressort compenser les destructions, « en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ». Dans les faits, « les impacts apparaissent souvent sous-estimés » par les porteurs de projet et « les mesures d’évitement demeurent très rares ».

Quant à la compensation, « les mesures ne portent souvent que sur une fraction de la biodiversité touchée et sur des parcelles trop réduites pour être efficaces ». Au total, selon une étude parue en 2019 dans la revue Biological conservation, 2.400 hectares artificialisés ont donné lieu à 577 hectares de compensation, dont 80 % sur des espaces déjà naturels et seulement 3 % sur des espaces dégradés. Conclusion, pour les rapporteurs : « La séquence ERC est trop souvent détournée en un droit à artificialiser, écrivent-ils. Trop fréquemment, ce sont les associations qui veillent au respect du droit, par la contestation en justice des arrêtés d’autorisation, alors que c’est la responsabilité directe de l’État, chargé d’autoriser le projet, de fixer les obligations d’évitement de réduction ou de compensation au bon niveau. »

Orange (Vaucluse).

Chaque année, entre 40.000 hectares et 60.000 hectares disparaissent sous le béton

Autre raté, pointé par le rapport : la lutte contre l’artificialisation des sols. « La France se singularise en Europe occidentale par un rythme élevé de consommation d’espaces non artificialisés », notent-ils. Chaque année, entre 40.000 hectares et 60.000 hectares (de quatre à six fois Paris) disparaissent sous le béton. Pour le Cese, « les espaces naturels, agricoles et forestiers apparaissent souvent comme une variable d’ajustement de l’extension urbaine et non comme des espaces à protéger et valoriser ». En cause, notamment, des outils réglementaires qui « tendent souvent à amplifier » le phénomène. Les différents documents de planification de l’urbanisme – Sraddet régionaux, Scot ou PLU« ne comportent aucune disposition chiffrée et contraignante en matière d’artificialisation ». Résultat, les velléités d’attractivité économique et de compétitivité entre territoires prennent le dessus, au détriment de l’environnement. Les dispositifs fiscaux ne poussent pas non plus à la sobriété foncière : « La fiscalité applicable au foncier non bâti incite les propriétaires à vendre [leurs parcelles] comme terrains à bâtir au lieu de les maintenir naturels ou agricoles avec de nombreuses fonctions écologiques ».

Des tiaré, à Tahiti. Les Outre-mer hébergent 80 % de la biodiversité française.

Absence de volonté politique, manque de moyens et de connaissances, mauvaise cohérence entre les outils réglementaires et fiscaux… Il n’en faut pas plus pour qu’une loi ambitieuse ne devienne une coquille vide. « Un texte de cette ampleur nécessite du temps pour sa mise en place, résume Pascal Férey, l’autre auteur de l’avis. Mais quand on a le feu dans la boutique et qu’on ne sort pas les extincteurs les plus appropriés, il devient impossible d’éteindre les flammes. Et le gouvernement n’a pas fait de choix stratégiques, il n’a pas rendu d’arbitrages permettant de prioriser, de prendre les mesures les plus urgentes. » Le constat est particulièrement criant dans les Outre-mer qui hébergent 80 % de la biodiversité française. La loi de 2016 prévoyait de protéger 55.000 hectares de mangrove d’ici à 2020, de protéger 75 % des récifs coralliens d’ici à 2021 et de mettre en place un réseau d’aires protégées. Rien de tout ceci n’a eu lieu : pour les mangroves comme pour les récifs, les objectifs n’ont pu être atteints « faute d’effectifs de police de l’environnement ». Quant aux aires protégées, « l’expérimentation n’a pas été initiée et semble avoir disparu de l’ordre du jour ».

Alors que faire ? « Il faut du courage et de la détermination politique pour que vive la vie, dit Allain Bougrain-Dubourg. On n’a pas besoin d’une nouvelle loi, celle de 2016 est très bien, mais il faut de la volonté pour la faire appliquer réellement. » Les deux rapporteurs se sont tout de même essayés à émettre des préconisations : renforcer le contrôle du respect de la séquence ERC, définir un paquet réglementaire et fiscal contre l’artificialisation des sols – en poussant pour l’adoption de documents d’urbanisme plus contraignants et en supprimant les mesures fiscales qui incitent à la bétonisation. Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, qui à l’époque avait porté la loi de « reconquête de la biodiversité » saura-t-elle rehausser l’ambition de la France ? « Elle a la compétence et la recherche d’éthique à l’égard du vivant, elle a tout compris de la difficulté et de la nécessité d’agir, croit M. Bougrain-Dubourg. Mais tout se joue à l’Élysée et à Bercy, qui n’ont eux pas du tout pris la mesure de l’urgence. »

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