Climat : la lutte contre l’inaction de l’État renaît des cendres de la forêt

Forêt de Louchats, en Gironde, avec les organisations de L’Affaire du siècle (au micro, Cécile Duflot d'Oxfam France), le 13 octobre 2022. - © Benjamin Guillot Moueix / L'Affaire du siècle
Forêt de Louchats, en Gironde, avec les organisations de L’Affaire du siècle (au micro, Cécile Duflot d'Oxfam France), le 13 octobre 2022. - © Benjamin Guillot Moueix / L'Affaire du siècle
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Incendies ForêtsUn an après la condamnation de l’État pour inaction climatique, les organisations de L’Affaire du siècle se sont réunies, le 13 octobre, dans une forêt de Gironde ravagée par les incendies de cet été. « L’État n’est pas au rendez-vous », ont-elles dénoncé.
Louchats (Gironde), reportage
Cécile Duflot se baisse, et saisit sur le sol calciné une pomme de pin. « C’est pour mon bureau ; j’aime bien rapporter des petits objets récupérés lors de mes déplacements, en général, ça intéresse et intrigue les gens. » Ce sera sans doute l’occasion de rappeler à ses visiteurs comment, cet été, des incendies alimentés par le réchauffement climatique ont ravagé plus 62 000 hectares de massifs forestiers. Nous sommes le jeudi 13 octobre à Louchats, il est environ 10 h 30, et la directrice générale d’Oxfam France répond aux questions de journalistes devant un paysage de désolation : une forêt de pins brûlée par le feu de Landiras, en juillet dernier. De pins, il n’y en a d’ailleurs plus guère sur cette parcelle de 5 hectares, jonchée de souches incendiées, de branches d’arbres et de traces de cendre.
Ni le lieu du rendez-vous ni la date n’ont été choisis au hasard par les organisations de L’Affaire du siècle, à l’initiative de cette conférence de presse. Celle-ci a en effet lieu la veille du premier anniversaire de la condamnation de l’État pour inaction climatique et préjudice écologique.
Le 14 octobre 2021, à la suite d’un recours juridique porté par Oxfam, Greenpeace, la Fondation pour la Nature et l’Homme et Notre Affaire à tous, le tribunal administratif de Paris a sommé l’État de respecter ses engagements climatiques, mais aussi de réparer les dommages à l’environnement causés par son inaction (15 millions de tonnes en trop d’émissions de gaz à effet de serre entre 2015 et 2018). Date limite donnée par la justice : le 31 décembre 2022. Alors, à deux mois de l’échéance, les associations de L’Affaire du siècle ont souhaité dresser le bilan depuis ce lieu, révélateur de l’accélération du réchauffement climatique.

« L’État n’est pas au rendez-vous aujourd’hui »
« C’est important d’être ici : on a besoin de voir les choses pour se rendre compte de l’urgence. » Debout derrière son pupitre enveloppé d’un épais brouillard, Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à tous, annonce tout de suite la couleur : « L’État n’est pas au rendez-vous aujourd’hui. » D’après l’Observatoire Climat-Énergie, en 2021, l’État n’a de fait pas respecté ses objectifs en matière d’émissions nettes de gaz à effet de serre. De son côté, le Haut Conseil pour le climat a appelé en juin à un « sursaut » de l’action climatique en France.
« Depuis sa condamnation judiciaire, on a assisté à une série de reculs très importants de la part de notre gouvernement, ce qui ne donne pas confiance en la suite de la trajectoire du pays », se désole à son tour Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France. Projet de terminal méthanier au Havre, de redémarrage d’une centrale à charbon en Moselle, soutien à l’agro-industrie, absence de politique ambitieuse concernant les transports — première source d’émissions de gaz à effet de serre en France —, énorme retard dans la rénovation énergétique des bâtiments…
Les problèmes sont nombreux alors que, comme le souligne Cécile Duflot, les solutions existent : « L’inaction de l’État n’est pas le fruit d’une impossibilité, mais bien d’un manque de volonté politique de notre gouvernement. Or, la voie juridique est un outil démocratique indispensable pour que les politiques publiques soient mises en œuvre. On va donc continuer à l’utiliser pour faire agir ceux qui ont aujourd’hui une responsabilité non seulement technique, mais aussi historique. »
« Des arbres ont brûlé, car on n’a pas fait ce qu’il fallait »
Ainsi, L’Affaire du siècle compte étudier précisément les éléments apportés par l’État au tribunal administratif de Paris, le 31 décembre prochain, pour initier des actions juridiques adaptées. L’une des pistes retenues est de réclamer d’importantes astreintes financières à la France — en 2021, sur le même modèle, le Conseil d’État a condamné la France à 10 millions d’euros d’amende en raison de son échec pour baisser le niveau de pollution de l’air. L’idée serait ensuite d’allouer cette somme à des investissements structurels pour lutter contre le réchauffement climatique.

Le tout en faveur d’une justice sociale : à l’heure de la crise énergétique et de l’inflation qui touche l’Hexagone, les quatre organisations n’ont pas manqué de rappeler comment le plan de sobriété énergétique du gouvernement « n’accompagne pas suffisamment les plus précaires ». Tandis que, dans le même temps, des multinationales comme TotalÉnergies engrangent des bénéfices nets records (16 milliards de dollars en 2021). D’où la volonté de L’Affaire du siècle de davantage contraindre les entreprises, notamment au titre de leur devoir de vigilance, inscrit dans la loi depuis 2017.
Reste qu’au-delà de ces aspects purement législatifs, cette conférence de presse a aussi été l’occasion de rappeler l’émotion suscitée par ces incendies. En témoignent les propos de l’expert forestier Jacques Hazera, propriétaire de cette forêt : « La vie sauvage a été durement affectée par ces feux, de nombreux animaux ont péri, sans compter toute la vie qui grouille dans le sol. J’ai même croisé des chevreuils qui n’avaient plus que trois pattes. » Ou encore ceux de Jean-François Julliard : « Ici, nos pieds foulent les cendres d’arbres qui ont brûlé, car on n’a pas fait ce qu’il fallait. »