Four solaire, sono autonome… en Bretagne, les low-tech sont à la fête

Au festival de la low-tech, les visiteurs ont pédalé pour émettre de la musique, le 25 juin 2022. - © Guy Pichard/Reporterre
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Alternatives Science et citoyensLa première édition du festival de la low-tech a commencé samedi 25 juin. L’idée : démocratiser ces technologies sobres, qui requièrent des changements de comportement conséquents.
Concarneau (Finistère), reportage
À son départ, il y a six ans, il n’y avait pas grand monde. À son retour, samedi 25 juin, ils étaient plusieurs centaines, amassés sur le quai du port de Concarneau malgré la pluie éparse. Une foule hétérogène de sexagénaires en balade, de jeunes ingénieurs à la tignasse ébouriffée et de Bretons bien peignés, mocassins aux pieds et vareuse nouée sur les épaules, est venue fêter le retour du Nomade des mers, le navire amiral des « low-tech ».
L’équipage, qui a visité vingt-cinq pays à la recherche de ces systèmes à la fois utiles, durables et accessibles — contrairement à la « high-tech » —, a été accueilli par un déluge d’applaudissements. « Je n’ai pas l’impression d’être arrivé, commente Corentin de Chatelperron, l’aventurier à la tête du projet. J’ai l’impression que c’est le début de quelque chose. »
L’arrivée en fanfare du catamaran a marqué le lancement de la première édition du festival de la low-tech, qui se déroule jusqu’au dimanche 3 juillet. L’objectif : faire découvrir la démarche au plus grand nombre, et montrer qu’elle peut structurer la société. « On commence à avoir fait le tour des systèmes qui marchent, explique Quentin Mateus, du Low-Tech Lab, l’association qui organise l’évènement. Il ne faut pas les garder dans un petit milieu dans lequel on fait l’effort de chercher des tutoriels de fours solaires. »

Des « systèmes malins » à faire soi-même
Côté institutions, c’est un succès. En partenariat avec l’Agence de la transition écologique (Ademe), la Région Bretagne et la communauté d’agglomération, le Low-Tech Lab a annoncé qu’il accompagnerait bientôt vingt organisations dans leur « transition low-tech ». Parmi elles : l’hôpital de Concarneau, la mairie, une brasserie, un hôtel, le Muséum national d’histoire naturelle... Le Low-tech Lab tentera (entre autres) d’améliorer la gestion des déchets, du chauffage, des déplacements et de la nourriture de ces établissements. « Il y a encore beaucoup de travail, mais la low-tech a une capacité réelle à se développer et à changer les choses », estime la vice-présidente de la région Bretagne, Laurence Fortin, qui espère faire du territoire « le laboratoire européen des low-tech ».
Côté société civile, la mission semble également réussie : les allées du « village », où les acteurs du mouvement exposent leurs innovations, sont pleines. L’endroit ressemble à l’antre d’un Géo Trouvetou. Un joyeux capharnaüm de 1 600 m2 où l’on trouve des éoliennes « maison » en bois et en tôle recyclée, des élevages de mouches soldat noires pour accélérer le compostage, des toilettes sèches et des poêles à bois bouilleurs, qui permettent de chauffer son eau sans recourir au gaz fossile.

Du rock breton est diffusé grâce à une « remorque boum boum », une charrette équipée d’un haut-parleur et recouverte de panneaux photovoltaïques. Quand il fait beau, « on peut faire la fête éternellement », explique Adrien, de l’association Véloma. Par temps gris, il faut pédaler. Les festivaliers se prêtent gaiement au jeu, grimpant sur les vélos vintage reliés au dispositif pour l’alimenter en énergie.
Des ateliers de construction ont également été organisés par le Konk Ar Lab, le laboratoire de fabrication collaboratif local. L’enjeu est important : l’idée des « low-tech » n’est pas seulement d’adopter un mode de vie plus sobre et résilient, mais également de se réapproprier la technique. C’est la raison pour laquelle les plans de ces « systèmes malins » sont en accès libre. L’objectif est de permettre à chacun d’être plus autonome, « plutôt que de vendre un objet ou un service dont on devient dépendant », explique Quentin Mateus.

« Tout le monde peut le faire »
Sous un barnum, une poignée de visiteurs se concentre, le nez penché au-dessus du plan d’une « marmite norvégienne », une boîte dans laquelle on peut placer ses aliments en fin de cuisson afin qu’ils mijotent sans nouvelle dépense d’énergie. Nolwenn, ingénieure en environnement de 24 ans, est venue avec son petit frère de 13 ans.
Le visage parsemé de taches de rousseur, il trace attentivement des lignes de construction sur un morceau d’aluminium récupéré en pharmacie. Habituellement, ce matériau est utilisé pour garder les médicaments au frais. Il fera un isolant parfait pour sa marmite. Nolwenn guide la main de son petit frère lors de la découpe. « Faire soi-même, ça crée presque une relation sensuelle entre son objet et soi, dit-elle. Tu as moins envie de le jeter, et plus envie d’en prendre soin. » Cuire un plat dans une marmite norvégienne est plus long. Mais « ce n’est pas si grave, continue la jeune femme, si l’on apprend à réorganiser son temps ».

Une bonne partie des visiteurs sont, comme elle, déjà dans une démarche de réduction de leur empreinte écologique, et cherchent de l’inspiration pour devenir plus autonomes énergétiquement. Beaucoup sont bricoleurs, voire sont passés par les bancs d’une école d’ingénieurs. « Mais tout le monde peut le faire, insiste Adrien, de Véloma. La fibre du bricolage, c’est comme le dessin. Tout le monde dessine, mais certains arrêtent à cinq ans. »

Pour les moins sensibles aux enjeux environnementaux, le passage à l’acte peut sembler plus ardu. Romain et ses amis, la vingtaine, sont tombés sur le festival par hasard, sans connaître le concept de la low-tech. « Incroyable ! » s’extasient-ils, les sourcils levés par la surprise, en voyant un jeune homme sortir d’un four solaire une fournée de cookies brûlants. L’odeur de noisette et de caramel emplit les narines. Le jeune homme et ses amis trouvent la démarche « géniale », mais doutent de pouvoir la mettre en pratique. Juste avant, ils ont visité la « tiny house » autonome en énergie conçue par le Low-tech Lab. « C’est sympa, mais je ne me vois pas vivre avec des enfants là-dedans. Ça prend vite de la place ces petites choses », dit Théo, 24 ans, en désignant du regard sa poussette.
Économies, activité physique, reconquête des savoirs, création de liens sociaux...
Julie et sa mère, Maryse, conviennent elles aussi qu’une société low-tech requerrait de « changer de mode de vie ». En visitant le Nomade des mers, elles ont appris que les membres de l’équipage devaient pédaler pendant plus d’une heure pour charger la batterie de leurs téléphones. « Si on faisait ça, on enverrait sûrement moins de messages, sourit la quinquagénaire. Il faut vraiment être motivé. » Le manque de culture technique d’une partie de la population pourrait selon elle être un obstacle : « Il faudrait pouvoir trouver ces objets en grande surface. Tout le monde ne va pas les fabriquer. »
Mère et fille jugent malgré tout l’évènement « très inspirant », et s’apprêtent à tester chez elles four solaire et frigo du désert. « Ce type de festival peut amener un changement de comportement, espère Julie. De toute manière, on n’aura pas le choix. »

La démarche, poursuit la jeune femme, a par ailleurs de nombreux bienfaits. Économies, activité physique, reconquête des savoirs, création de liens sociaux... Pour le symboliser, la première journée du festival s’achève dans la joie, avec un concert alimenté grâce à des panneaux photovoltaïques. La chanteuse Roza, venue de Belgique à vélo, entame une reprise de « Santiano » à la guitare tandis que le soleil décline. La musique et les cris de joie recouvrent bientôt les hurlements des goélands. La low-tech est aussi une fête.