Grâce aux low-tech, ils ont vécu 4 mois seuls dans le désert

Leur four solaire ayant implosé, les deux aventuriers (ici Corentin de Chatelperron) ont dû recourir à une parabole pour cuire leurs plats, en plein désert mexicain. - © Low-tech Lab
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Vivre 4 mois dans une « biosphère low-tech » autosuffisante, en plein désert mexicain : Corentin de Chatelperron et Caroline Pultz racontent cette expérience, qui les a convaincus du potentiel de ces techniques sobres.
Paris, reportage
Il y a encore quelques mois, Corentin de Chatelperron et Caroline Pultz vivaient d’amour et d’eau fraîchement désalinisée dans une « biosphère low-tech », au beau milieu du désert mexicain. On retrouve les deux explorateurs au centre culturel de la Gaîté lyrique, en plein cœur de l’océan de bitume parisien.
Ils arrivent d’un pas souple, l’air guilleret, lui en sandales malgré un thermomètre plafonnant à 13 °C dehors. Au plafond, des néons rouges ; partout ailleurs, une profusion d’enceintes, d’ampoules et de jeunes yeux scotchés à des écrans. On est bien loin de l’îlot de bois et de jute dans lequel l’ingénieur et la designeuse ont passé le printemps 2023, avec pour seuls secours un four solaire, un bassin de spiruline, un système bioponique pour faire pousser hors-sol des légumes-feuilles avec des engrais organiques, et une colonie de champignons.
Les deux membres du Low-tech Lab — une association visant à valoriser les innovations utiles, durables et accessibles — racontent cette expérience dans une web-série (à voir gratuitement) et un documentaire Arte (Expérience biosphère : 120 jours dans le désert), respectivement diffusés à partir du jeudi 16 novembre et début 2024.
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La première les suit lors de la préparation de leur mission avec des experts de la nourriture, de l’habitat et de l’énergie ; le second raconte leurs quatre mois dans le désert. Le tout avec une grande clairvoyance, beaucoup d’humour et un optimisme à ragaillardir les cœurs des plus écoanxieux. L’objectif de ces vidéos : montrer qu’il est possible de vivre des vies plus sobres, et heureuses, grâce à la panoplie de « low-tech » testée et approuvée par toute l’équipe de bricoleurs bretons depuis 2016.

À travers ce récit, Caroline Pultz et Corentin de Chatelperron espèrent promouvoir d’autres visions du futur, sans taxis volants, frigos connectés, ni autres joujoux climaticides faussement intelligents. « Il n’existe pas vraiment, aujourd’hui, de projets qui repensent l’habitat de manière systémique, à part peut-être pour la conquête spatiale », note la designeuse belge. « On veut être la Nasa du low-tech », complète son compagnon dans un éclat de rire.
Biosphère du désert
Le quadragénaire, que l’on jurerait âgé d’à peine 25 ans, en est à son second essai. En 2018, il a vécu pendant 120 jours en autarcie sur une plateforme en bambou, au beau milieu d’une baie thaïlandaise. Avec cette nouvelle « biosphère » mexicaine, Caroline Pultz et lui désiraient passer à l’étape supérieure. « On a voulu sortir de l’image des low-tech comme un truc de bricolage, de garage », explique Caroline Pultz.
Tous deux souhaitaient montrer que ces techniques sobres ne constituent pas un retour en arrière, mais un horizon souhaitable. Afin de les rendre « désirables » auprès du plus grand nombre, les deux touche-à-tout ont travaillé avec des designers, des artistes et des chefs cuisiniers.

La web-série et le documentaire les montrent dans une tente-laboratoire aux lignes épurées, vêtus de vêtements à l’esthétique futuriste évoquant davantage le film de science-fiction Dune que La Petite maison dans la prairie. « Tout en gardant la philosophie du low-tech, insiste Caroline Pultz. Même si c’est beau, ça reste super accessible. »
En tout et pour tout, leur « biosphère » autoconstruite de 60 m2 ne leur a coûté que 3 500 euros, et l’ensemble des matériaux — biosourcés ou de récup’ — utilisés pour confectionner leurs low-tech, 1 000 euros.
Le lieu où mener l’expérience — un bout de désert de Basse-Californie hérissé de cactus, face à la mer de Cortés et ses nuées de baleines grises — leur est apparu comme une évidence. « 41 % des terres habitées sont aujourd’hui arides, et elles vont s’étendre de plus en plus avec le dérèglement climatique », signale Caroline Pultz. « On voulait montrer que même dans une zone comme ça, où il n’y a pas vraiment de ressources, on peut vivre vraiment bien avec une bonne combinaison de low-tech », poursuit son compagnon.
« Au bout de deux mois, on était vraiment pépères »
Sobres jusqu’au bout des orteils, les deux explorateurs ont mis plus de deux mois à rejoindre l’endroit, d’abord en traversant l’océan Atlantique en voilier, puis le Mexique en bus. Aucune route, ni source d’eau potable, ni signal téléphonique à des kilomètres à la ronde — sauf, pour des raisons mystérieuses, au pied d’une seule et unique plante grasse, située à trente minutes de marche et surnommée « le cybercactus », se souviennent-ils en riant.
« On avait l’impression d’être sur Mars », décrit Corentin de Chatelperron. Leurs nuits, d’un noir criblé d’étoiles, étaient rythmées par les hurlements des coyotes, le hululement des chouettes et le frottement des pinces de scorpions contre les parois de leur tente. « Les quinze premiers jours, j’avais une boule au ventre rien qu’à l’idée de dormir dans un endroit aussi hostile », confie Caroline Pultz.

Angoisse décuplée par le fait que leur « biosphère » a mis du temps à fonctionner aussi bien que prévu. Les deux aventuriers avaient imaginé un système autosuffisant, « où chaque déchet deviendrait une ressource pour d’autres êtres vivants » : des bactéries devaient transformer leur urine en nitrate assimilable par les plantes ; le contenu de leurs toilettes sèches devait servir d’aliment à des mouches soldats noires, dont les larves feraient office de nourriture pour des grillons, eux-mêmes consommés par les humains.
Pour fournir l’énergie nécessaire à la cuisson des aliments, à la bonne marche des pompes à eau et à la recharge de leurs quelques instruments électroniques, ils avaient embarqué une poignée de panneaux photovoltaïques, un four solaire et une « centrale musculaire » (un pédalier-rameur générateur d’électricité).

Les débuts ont été semés d’embûches. Leur four solaire a rapidement implosé ; le froid nocturne a ralenti la croissance des insectes ; faute de soleil, les dessalinisateurs n’ont quant à eux produit, pendant les six premières semaines, qu’un dixième des 27 litres nécessaires quotidiennement au bon fonctionnement de leur système (à titre de comparaison, un Français consomme, en moyenne, 150 litres d’eau par jour).
« Le premier mois, on ne s’est pas lavé », rit Caroline Pultz. « C’était un gros échec, abonde Corentin de Chatelperron. Il n’y a que la spiruline qui a marché du feu de Dieu. »
À force de bricolage et d’ajustements, leur « biosphère du désert » a fini par fonctionner. « Au bout de deux mois, on était vraiment pépères, raconte Corentin de Chatelperron. Les dessalinisateurs produisaient assez d’eau [jusqu’à 42 litres par jour] et tout l’écosystème a commencé à marcher. »
« On aurait pu vivre toute notre vie comme ça »
L’angoisse a cédé à l’émerveillement. « Au début, c’était hyper dur psychologiquement, parce qu’on passe d’un monde où on appuie sur un bouton pour avoir tout ce qu’on veut, à un monde où l’on doit tout faire soi-même de A à Z, explique Caroline Pultz. Mais au bout d’un moment, ça devient un loisir. »
Seule une heure de leurs journées était consacrée à la « maintenance » de leur biosphère ; le reste était passé à observer les lynx, les insectes et les oiseaux qui grouillaient autour d’eux : « Tous les bruits, on les connaissait, décrit Corentin de Chatelperron. Le blaireau, l’aigle qui vient de pêcher un poisson... On s’est intégrés et à la fin, c’était chez nous. »

Ces quatre mois les ont convaincus d’une chose : « Grâce aux low-tech, on peut vivre mieux, avec moins de ressources et de moyens ». Leur suivi médical, effectué par des chercheurs de l’université de Caen (Calvados), indique qu’ils ont achevé l’expérience en bonne forme, sans carences, et apaisés. « On aurait pu vivre toute notre vie comme ça », signale Corentin de Chatelperron.
Les deux explorateurs ne souhaitent pas s’arrêter en si bon chemin. Leur prochaine expérimentation débutera en mars 2024, dans un territoire encore plus hostile, pour ces deux amoureux des grands espaces, que le désert mexicain : un appartement parisien. « D’ici 2050, 80 % des gens vivront en ville, et beaucoup souhaitent intégrer les low-tech à leur quotidien », justifie Caroline Pultz.
Cette fois-ci, les deux explorateurs ne vivront pas en vase clos. « On veut se répartir les compétences et les tâches, créer un réseau en milieu urbain », explique la designeuse. Un programme de sciences participatives ouvert aux candidatures est également sur le point d’être lancé afin que « d’autres personnes puissent tester chez elles des morceaux de la biosphère ».
Les low-tech pourraient-elles devenir, un jour, la pierre angulaire de territoires encore plus vastes ? Caroline Pultz l’assure : « Si ça fonctionne sur 60 m2 en plein désert, ça peut fonctionner sur toute la planète. »