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28 juillet 2016 / Léa Dang (Reporterre)Voilà huit mois que la France vit sous l’état d’urgence. Le 21 juillet, le Parlement a prorogé une troisième fois ce régime d’exception, étendant à nouveau la surveillance administrative sans contrôle judiciaire. Reporterre a voulu faire le point précis sur ce nouveau recul des libertés publiques.
Depuis le 14 novembre 2015, à la suite des attentats coordonnés dans Paris, l’état d’urgence a été renouvelé à trois reprises, en dernier lieu par la loi no 2016-629 du 20 mai 2016 prorogeant l’application de la loi no 55-385 du 3 avril 1955. Il était censé prendre fin le 26 juillet. Depuis huit mois maintenant, la France est sous l’état d’urgence.
Parmi les mesures à l’œuvre lors des précédents états d’urgence et qui restent en vigueur, il y a la possibilité pour la police :
Pour faciliter la mise en œuvre de ces mesures, le contrôle judiciaire a été écarté. Les policiers ont plus de liberté. Après avoir obtenu l’autorisation d’un préfet pour une perquisition, les agents de police peuvent, sans nouvelle autorisation écrite et motivée, recourir à d’autres perquisitions.
L’état d’urgence tel qu’il a été adopté le 21 juillet ajoute huit nouveaux articles et renforce des mesures préexistantes.
• Consulter le texte de la loi du 21 juillet sur l’état d’urgence prorogeant l’état d’urgence.
Le texte de loi est découpé en deux parties. La première fait référence « aux dispositions relatives à l’état d’urgence ».
La deuxième partie de la loi fait référence « aux dispositions de renforcement de la lutte antiterroriste », mais aucune définition du terrorisme n’est explicitement inscrite. Le texte fait référence à l’article 421-1 du Code pénal et aux articles suivants, qui listent les crimes et les délits, considérés comme des actes terroristes « lorsqu’ils sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».
Les parlementaires ont introduit plusieurs amendements, dont l’article 15, qui permet la mise en place, « pour les seuls besoins de la prévention du terrorisme », « d’une technique de renseignement permettant le suivi en temps réel des données de connexion d’une personne préalablement identifiée comme susceptible d’être en lien avec une menace ». Cette technique permettra à l’État d’avoir accès :
Cela concerne tout individu en lien avec une personne susceptible de représenter une menace. Tout l’entourage est susceptible d’un suivi en temps réel par ce dispositif.
Un changement majeur se trouve en dehors du texte. En effet, l’article 851-2 du Code de sécurité intérieure de la loi sur le renseignement adoptée en 2015 est modifié par l’article 15 de la loi relative à l’état d’urgence. Pourquoi ? Parce que l’article 851-2 permet à la police d’avoir accès uniquement aux données des personnes suspectées de terrorisme. La loi sur le renseignement étend donc ces mesures de surveillance à l’entourage et « aux personnes susceptibles d’être en lien avec une menace » (art. L851-2). De surcroît, cette disposition sera valable même en dehors de l’état d’urgence.
Outre cette mesure qui étend la capacité de contrôle de l’État, d’autres nouveautés apparaissent. Les peines sont alourdies, les personnes condamnées pour terrorisme auront un régime spécifique, qui exclut, par exemple, la libération sous contrainte ou la permission de sortie. La détention provisoire des mineurs est plus longue, elle passe d’un an à deux ans pour « l’instruction du délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » et d’un an à trois ans pour « l’instruction du crime d’association de malfaiteurs ». Les assignations à résidence des personnes « de retour d’un théâtre d’opérations à l’étranger de groupements terroriste » peuvent désormais être renouvelées par le ministre de l’Intérieur, et durer trois mois (au lieu d’un mois au départ). Les étrangers condamnés pour terrorisme seront désormais automatiquement interdits de territoire français.
Enfin, des mesures plus techniques apparaissent. Plusieurs députés du parti Les Républicains ont réussi à insérer l’amendement concernant les systèmes de vidéosurveillance dans les cellules de détention provisoire criminelle, afin d’anticiper les éventuels suicides ou évasions.
• Voici différents articles et tribunes sur l’état d’urgence publiés par Reporterre :
Source : Léa Dang pour Reporterre
Photos : Flickr-(thierry ehrmann/CC BY 2.0)