La centrale à biomasse de Gardanne est un contre-sens écologique, selon les opposants

La centrale thermique de Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône, est adaptée pour fonctionner avec du bois, encouragée par les subventions. Pourtant, les opposants au projet n’y voient aucun caractère écologique : sa colossale consommation de bois va déstructurer les filières locales, multiplier les trajets en camion et les émissions de polluants dans l’atmosphère. Ils manifesteront leur désaccord sur place dimanche 5 février.
- Actualisation - Lundi 6 février 2017 - Plusieurs centaines de personnes ont manifesté sous la pluie, à Gardanne, contre la centrale à biomasse. Voir le récit détaillé ici.
- Gardanne (Bouches-du-Rhône), correspondance
Dimanche 5 février, les opposants à la centrale biomasse de Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône, convergeront des Hautes-Alpes, du Verdon, du Luberon, des Cévennes… comme ils l’avaient fait en octobre 2014, dans l’ancienne ville minière.
C’est une longue histoire. À la centrale thermique de Provence, jusque-là intégralement alimentée au charbon, la tranche 4 doit être transformée pour brûler du bois. En 2011, le Grenelle de l’environnement avait consacré le développement de la biomasse. L’État proposa de financer des centrales électriques dont le combustible se constitue de bois et de végétaux. E.ON, alors troisième acteur mondial de distribution d’énergie, saisit l’occasion pour proposer la mutation d’une unité de sa centrale située à proximité d’Aix-en-Provence. 1,5 milliard d’euros d’aides publiques sur 20 ans lui étaient promis au passage. La municipalité (PCF) de Gardanne et la section CGT de la centrale ont soutenu le projet, et continuent de le faire, au nom de la défense des emplois. Uniper, d’abord filiale d’E.ON avant d’être indépendante en 2016, a récupéré la gestion de l’opération. Celle-ci est présentée comme écologique au motif que le bois constitue une source d’énergie renouvelable. Une affirmation qualifiée de « biomascarade » par les opposants, qui dénoncent l’origine et les volumes des approvisionnements comme véritables menaces pour la forêt, mais aussi les pollutions du transport et de l’incinération.
De gros consommateurs qui poussent à l’industrialisation de la forêt
Les Hautes-Alpes, le Verdon, le Luberon, les Cévennes font partie d’une zone d’approvisionnement jugée comme prioritaire par Uniper. La ressource en bois sollicitée est monumentale. 850.000 tonnes par an, « soit 2.300 tonnes par jour », selon les calculs de Claude Calvet, de SOS forêts du Sud. Le collectif craint que cette masse pèse sur la forêt méditerranéenne déjà fragile, peu productrice et soumise à d’autres sollicitations : 150.000 tonnes annuelles pour la centrale de Pierrelatte (Drôme), 180.000 pour le projet Innova à Brignoles (Var) et 1,2 million pour la papeterie de Tarascon (Bouches-du-Rhône). Autant de gros consommateurs qui poussent à l’industrialisation de la forêt. « Ces installations très consommatrices de bois se sont installées dans une région qui en produit peu et mal. Nous ne sommes pas dans le Jura ! » dit au journal Le Ravi Jérôme Dubois, professeur à l’institut d’urbanisme et d’aménagement d’Aix-en-Provence.
Face au projet gardannais, la région Paca (avant qu’elle ne soit dirigée par la droite, en 2016), le département des Alpes-de-Hautes-Provence, les parcs naturels régionaux du Luberon et du Verdon, 9 communautés de communes et 41 communes des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes s’opposent ou émettent des réserves. Concerné par une fourniture de 35.000 tonnes par an, le Parc national des Cévennes se pose cependant en partenaire d’Uniper. Par le projet Cevaigoual, porté par le Centre régional de la propriété forestière (CRPF) et adoubé par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), le Parc entend « favoriser la valorisation des ressources forestières là où elles sont sous-exploitées, pour alimenter la filière bois, notamment les réseaux de chaleur et les chaudières à bois ». Priorité est donnée aux chaufferies locales avant que d’autres chaudières plus grosses et plus éloignées, comme celle d’Uniper, viennent se servir.

Janine Bourrely, propriétaire forestière à Saint-Jean-du-Gard et présidente du CRPF, y voit un chance pour la revalorisation de la châtaigneraie malade. De nombreuses parcelles contiennent une part trop importante de bois mort. « Reboiser coûte trop cher, 5.000 à 6.000 euros l’hectare », plaide-t-elle. Uniper apparaît comme « une start-up qui offre la possibilité au propriétaire forestier de reboiser durablement en achetant le bois mort », dit-elle. Mais le collectif SOS forêt Cévennes estime que l’initiative est une porte ouverte au remplacement des châtaigneraies par des plantations valorisant des arbres à croissance rapide pour les besoins de l’industrie. « La question est de savoir quand et comment couper, nuance Jacques Rutten, président de l’Association Causses-Cévennes d’action citoyenne (Accac), parce que les sous-bois ont tendance à devenir impénétrables par manque d’exploitation forestière : certains ruisseaux ne coulent plus et la biodiversité s’appauvrit. »
Pour démarrer, l’entreprise Uniper entend se fournir pour 55 % à l’importation. Le reste venant d’un rayon de 400 kilomètres autour de la centrale. 43 % de cette fourniture « locale » sera forestière. Les 57 % restant seront du déchet vert, des résidus de l’agriculture et autres bois résidus de l’industrie et de la consommation des particuliers. Pour cette dernière catégorie, Veolia se porte fournisseur à hauteur de 6 % du volume total. Puis le « 100 % local » sera atteint au bout de 10 ans, assure Uniper.
Un système sophistiqué de blanchiment permet au bois de rejoindre les circuits commerciaux légaux
Pour l’heure, la chaîne d’approvisionnement étant confiée à une forêt de sous-traitants, il est extrêmement difficile d’obtenir des informations précises. Contacté, Uniper n’a pas souhaité répondre à Reporterre. Dans les Cévennes, « aucune coupe n’a démarré pour fournir la centrale », dit Janine Bourrely. En janvier 2016, le Silver Pegasus, cargo battant pavillon panaméen, a livré 39.000 tonnes de bois transformé en provenance du Brésil. Uniper assure ne se fournir que de bois certifiés PEFC ou FSC. Deux labels qui sont critiqués pour leur laxisme et leur manque de contrôle, comme en témoigne l’émission de France 2 Cash Investigation du 24 janvier, ou les analyses du magazine Lutopik ainsi que de Télé Millevaches.

En outre, dans les résultats d’une enquête menée de 2012 à 2014, Greenpeace affirme que l’écoulement de bois illégal au Brésil représente une part énorme des exportations : 54 % du total pour l’état du Mato Grosso et jusqu’à 75 % au Pará, principale région productrice d’Amazonie. Un système sophistiqué de blanchiment permet au bois de rejoindre les circuits commerciaux légaux. Ce qui n’empêche pas Uniper d’affirmer à la Provence que « cette cargaison répond aux normes de gestion forestière durable, au règlement bois de l’Union européenne et à la réglementation phytosanitaire française ». Malchance ou prémonition, le stock est parti en fumée dans les incendies de l’été de la région marseillaise.
Cet incendie n’est pas une exception. Début août 2016, les flammes ont ravagé le parc de stockage de la papeterie de Tarascon. Attisées par un fort mistral, elles ont consumé 20.000 tonnes de bois et menacé des habitations. Sur le même site, des incendies s’étaient déjà produits, avec 10.000 tonnes de bois disparus en 2009 et 27.000 tonnes en 2012. À Gardanne, centrale et zone de stockage se situent en zone urbanisée.
La pollution atmosphérique due à l’activité de la centrale constitue un autre péril pour les riverains. À la demande d’Uniper, l’impact a été modélisé par Air Paca. Les particules PM10, mises en cause dans la pollution urbaine cet hiver, constituent « le polluant qui présente les concentrations les plus élevées », analyse l’association régionale de surveillance de la qualité de l’air. La zone de stockage et ses abords immédiats sont affectés par « le réenvol de grosses particules sous l’effet du vent », précise Air Paca. Pour celles qui viendraient de la combustion, Uniper rassure par la mise en place de filtres à particules et grâce à ses hautes cheminées : « Les émissions de la centrale thermique, situées en hauteur, sont peu perceptibles au niveau du sol », affirme Air Paca. « Mais à mesure que les fumées refroidissent, les particules descendent. Elles peuvent se déposer 20 kilomètres plus loin », expose Bernard Auric, ancien directeur de la centrale, aujourd’hui à la retraite. Désormais président de l’Association de lutte contre les nuisances et la pollution (ALNP), il s’inquiète de la diffusion de particules fines « qui entrent dans le sang et dans les poumons ». Son association a été fondée en 2003 par des habitants de Meyreuil, village jouxtant la centrale, principalement pour faire reconnaître la pollution des poussières de charbon. « Le linge que vous mettiez à sécher dehors ressortait noir », raconte Bernard Auric. Aujourd’hui, l’association tente d’alerter les pouvoirs publics sur les nouveaux rejets de polluants dus à la biomasse.
La modélisation d’Air Paca ne dit rien des taux de CO2 relâchés dans l’atmosphère et ne prend pas en compte les rejets des camions venus livrés. « Près de 200 par jour », selon Jean Ganzhorn, ingénieur en énergie et membre de SOS forêt du Sud. 40 autres camions sortiront les cendres quotidiennement, selon le site Marsactu. Si Uniper entend valoriser une partie des 220.000 tonnes annuelles produites dans des produits du BTP, il en restera 70.000 tonnes par an, que l’industriel espère stocker sur l’ancien terril minier de Bramefan, dans la commune voisine de Fuveau. Une enquête publique s’est achevée le 20 janvier à ce sujet. Il appartient désormais à la préfecture de se prononcer pour savoir si Uniper pourra se servir du site comme décharge. Uniper et la mairie de Fuveau se veulent rassurantes sur les usages futurs du site. Imperméabilisation des bassins de stockage, cendres mouillées pour éviter les poussières toxiques sont annoncées en réponse aux inquiétudes des riverains.

Par voie de presse, Uniper annonçait le démarrage de la biomasse à la fin de l’année 2016. Officiellement, la phase d’expérimentation se poursuit. « Au nom du maintien de 80 emplois directs, on défend une installation du XXe siècle fondée sur une logique d’économie minière, interpelle Jean Ganzhorn, alors que l’on pourrait créer près de 200 emplois avec un projet bien plus efficace énergétiquement, valorisant mieux la biomasse et consommant beaucoup moins de bois. » Dans le scénario de l’ingénieur, le bois serait utilisé en priorité comme matériau permettant la production énergétique (construction d’éoliennes) ou les économies d’énergie (fibres de bois pour l’isolation). Une proposition qui pourrait bien séduire Janine Bourrely. « Plutôt qu’une chaudière, ce qui est plus intéressant, c’est d’aider à l’isolation par la laine de bois », juge-t-elle.
En attendant la mobilisation de dimanche, Jean Ganzhorn reste catégorique sur le non-sens du projet d’Uniper : « Les Bouches-du-Rhône sont le département le plus ensoleillé et le plus venteux de France et on y fait une centrale biomasse plutôt que d’y développer solaire et éolien ! »