Le test d’un gouvernement déficient et policier


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Politique Covid-19L’attitude du gouvernement à l’égard du dépistage du coronavirus est révélatrice de son incapacité à analyser correctement les situations. Elle souligne l’urgence de changer un système politique fondée sur la verticalité et le pouvoir d’une oligarchie. Instaurer la 6e République sera une priorité de l’après confinement.
Le coeur des stratégies de lutte efficaces contre le coronavirus, bien plus que les masques ou le confinement, ce sont les tests. L’Allemagne et la Corée du sud, parmi d’autres, ont fait face à la pandémie en recourant tôt au dépistage. La France a mis deux mois à prendre conscience de cette réalité. Dépassée sur le nombre de lits de réanimation, la fourniture de masques, voire les blouses et les gants des soignants, elle est aussi restée aveugle à l’urgence du dépistage, mise en œuvre dès février par l’Allemagne (voir l’article de notre correspondante ici). Et la France pratique un confinement massif, appliqué avec brutalité par une police qui ne considère pas les citoyens comme des êtres responsables mais comme des délinquants potentiels ou avérés.
On peut incriminer, bien sûr, M. Macron. Son retard à comprendre ce qui se passait, ses injonctions contradictoires à quelques jours d’intervalle, son absurde rhétorique guerrière, son agitation inutile et parfois contre-productive - trois heures passées avec M. Didier Raoult ! Si la pandémie a fait un tri parmi les dirigeants de ce monde, M. Macron est clairement à ranger du côté de MM. Trump ou Bolsonaro plutôt que de celui de Mme Merkel ou M. Conte.
Mais on ferait erreur en se focalisant sur ce président qui dispose de beaucoup plus de pouvoir qu’il n’est capable d’en assumer. C’est en fait une classe dirigeante française - une « élite » comme elle aime à se désigner, ou une oligarchie comme il est plus exact de dire - qui est en cause, tout le milieu dans lequel baigne M. Macron et son gouvernement. Car finalement, les dirigeants français ont collectivement échoué : ils avaient tous les canaux d’information possibles pour comprendre ce qui se passait en Chine dès décembre 2019 et savoir dès fin janvier que la question des tests est cruciale. La ville de Wuhan, d’où est partie la pandémie, est très bien connue de la France, puisque une centaine d’entreprises françaises, et non des moindres, y ont des activités. La situation biologique de la métropole chinoise aussi pouvait être bien connue, puisque la France a activement participé à la construction du laboratoire P4 implanté à Wuhan. Et le réseau diplomatique français, souvent vanté comme un des plus étendus du monde, a des antennes dans des pays aussi exotiques que l’Allemagne et aurait pu faire remonter la description sur les stratégies de lutte adoptées. Mais, soit l’information n’a pas été remontée, soit elle n’a pas été entendue d’en haut, en tout cas l’appareil de décision est resté cafouilleux et sans vision claire..
Une sixième République, vite !
Le trait politique le plus frappant de cette situation est qu’elle démontre le caractère totalement dépassé des institutions françaises : elles sont totalement verticales, et donnent un pouvoir bien trop excessif au président de la République. Et d’autant plus que la coïncidence de l’élection présidentielle et des élections législatives produit une Assemblée à la botte du président, et donc l’absence d’un contre-pouvoir législatif, pourtant vital. Le cercle du pouvoir peut donc agir sans entendre l’extérieur, sans délibérer véritablement, sans être soumis à la critique qui permet, le plus souvent, d’éviter nombre d’erreurs. S’il y a une priorité politique à poser sur la table au sortir de ce confinement, c’est la mise en chantier d’une nouvelle Constitution pour sortir de la Ve République, devenue dangereuse pour le pays en donnant trop de pouvoir à un homme isolé.
Police partout, tests nulle part

Ce pouvoir arrogant n’est pas seulement dangereux par son inefficacité, mais par son recours permanent à l’autorité brutale de la police pour se faire obéir. Incapable de voir la nécessité des tests, paniqué à l’idée de voir l’appareil hospitalier - soigneusement affaibli par des lustres de dogme néolibéral - dépassé par l’afflux des malades, le gouvernement a recouru au confinement massif (après que une intervention du président, quelques jours auparavant, vantant les sorties en terrasse et en salle de concert, et que les élections municipales se soient déroulées l’avant-veille). Et sur le mode de la contrainte, avec nécessité d’une attestation de sortie pour un kilomètre maximum et une heure, interdiction d’aller dans les jardins, de faire du vélo, de marcher dans les campagnes... Cette contrainte sans nuances était assortie de contrôles policiers dans un esprit symbolisé par l’imbécillité du préfet de police Didier Lallement, selon lequel « ceux qui sont aujourd’hui hospitalisés sont ceux qui au début du confinement ne l’ont pas respecté ».
Selon une habitude qui s’est malheureusement ancrée dans un pays où l’oligarchie se méfie de tous plutôt que de faire confiance aux citoyens, les violences policières se multiplient, particulièrement dans les quartiers populaires (voir ici une liste non exhaustive de ces brutalités en mars et avril). Le gouvernement était début mars plus préoccupé d’acheter des aérosols lacrymogènes et des drones que des tests. Tout se passe comme si la pandémie permettait au gouvernement de poursuivre la mise en place d’une société de contrôle, qu’il s’apprête à compléter par des applications téléphoniques permettant de suivre tout le monde au nom de la santé.
Écologie : après l’urgence sanitaire, l’urgence économique
Verticalité arrogante, impéritie, contrôle policier et numérique : l’éventail serait incomplet si l’oligarchie ne préparait une relance marginalisant, une fois de plus, l’enjeu écologique. Après l’urgence sanitaire, on va vouloir nous imposer l’urgence économique. Les signaux lancés sont clairs : le Parlement vote des aides aux entreprises sans condition écologique, le gouvernement rejette à l’Assemblée nationale un « plan de transformation en faveur du climat, de la biodiversité, de la solidarité », un décret discret permet aux préfets de déroger aux normes environnementales.
Là, encore, l’urgence serait à la délibération, à la réflexion collective, au recours à l’intelligence de toutes et de tous. Mais en France, une oligarchie sourde n’attend que de reprendre le chemin du passé. L’après-confinement sera une bataille.