« On peut réussir à gouverner » : à la Nupes, la victoire entrevue sans chanter

Des militantes au QG de la Nupes, au premier tour des législatives, le 12 juin 2022. - © Tiphaine Blot/Reporterre
Des militantes au QG de la Nupes, au premier tour des législatives, le 12 juin 2022. - © Tiphaine Blot/Reporterre
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Législatives PolitiqueLa victoire possible a été célébrée du bout des lèvres par les militants de la Nupes réunis dans leur QG parisien, le soir du premier tour des législatives, le 12 juin. Pour eux, l’alliance de la gauche est prête à gouverner.
Paris, reportage
On s’impatiente dans la salle de presse de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes). Depuis 18 heures, plusieurs dizaines de journalistes font le pied de grue en attendant les résultats du premier tour des élections législatives. Les chaînes de télévision en continu peinent à se mettre quelque chose sous la dent. Où sont les candidats et candidates ? « Encore dans leurs circonscriptions », assurent les responsables presse. Où sont les militants et les militantes ? « Vous pourrez aller leur parler en petits groupes, seulement pendant quelques minutes », promet une organisatrice. Nous sommes loin de l’ambiance survoltée du soir du premier tour de la présidentielle, où des centaines de partisans s’étaient réunis au cirque d’hiver en espérant la victoire de La France insoumise (LFI).
En ce dimanche 12 juin, il n’y a pas foule dans la salle réservée aux militants. La plupart sont restés dans leurs circonscriptions. D’autres sont toujours dans les bureaux de vote comme assesseurs et comptent les bulletins. Ceux qui ont fait le déplacement attendent avec impatience les résultats. « Je me suis levée à 4 heures ce matin pour aller travailler et depuis j’ai la boule au ventre », confie Nathalie Gauthier, militante LFI dans le Val-d’Oise. Durant la campagne, elle s’occupait d’envoyer les tracts et les affiches dans toute la France. « J’avais un peu l’impression de faire ma part, comme un petit colibri », s’amuse celle qui se revendique fièrement comme végane et qui a milité avec L214.

À ses côtés, Hélène Casteilla, militante LFI en Seine-Saint-Denis, n’a pas ménagé ses efforts pour convaincre les quartiers populaires de retourner aux urnes. « La proximité avec la présidentielle nous a laissé peu de temps et surtout, les gens ne se rendent pas compte que les législatives comptent tout autant. » Elle se réjouit de l’alliance de la Nupes même si elle aurait aimé « qu’elle soit faite avant, comme ça on aurait eu Jean-Luc Mélenchon au second tour ».

Il est presque 20 heures et les deux militantes retiennent leur souffle avant l’annonce des résultats. Un grand écran retransmet en direct l’émission de France 2. Le couperet tombe : la Nupes et Ensemble !, l’alliance autour d’Emmanuel Macron sont à égalité avec 25,2 % des voix, selon les premières estimations. Dans le public, c’est l’euphorie. Les deux amies ont presque la larme à l’œil. « Et encore, il n’y pas les résultats des grandes villes et de l’Île-de-France. C’est sûr qu’on va avoir un meilleur score qu’à la présidentielle », dit Hélène Casteilla. C’est alors que Jean-Luc Mélenchon débarque dans la salle, suivi par une nuée de caméras. « Il faut qu’ils fassent attention, ils vont finir par l’étouffer », s’exclame la militante.
« La gauche est enfin en mesure de gouverner »
Costume gris et cravate rouge, l’homme qui espère devenir Premier ministre fait le tour de ses soutiens l’air triomphant, avant d’entamer sa déclaration face aux nombreux journalistes. « Le parti présidentiel est battu et défait dès le premier tour. C’est la première fois dans l’histoire de la Ve République qu’un président nouvellement élu ne parvient pas à obtenir la majorité. » Mais le patron des Insoumis sait qu’il reste encore du chemin à faire pour obtenir une majorité à l’Assemblée. Certes, l’alliance Nupes a réussi à décrocher plus de 400 circonscriptions pour le second tour. Un record et un score bien supérieur à 2017, où la seule France insoumise n’avait obtenu que 170 circonscriptions à l’issue du premier tour.
Mais avant de crier victoire, il faudra combattre l’abstention, qui s’établit à 52,49 % et convaincre les électeurs de se rendre aux urnes. Jean-Luc Mélenchon a ainsi appelé « le peuple à déferler » dimanche 19 juin pour le second tour, afin de « rejeter définitivement le projet funeste de la majorité d’Emmanuel Macron ». Il s’est tout particulièrement adressé à la jeunesse et aux milieux populaires, « durement éprouvés par trente ans de néolibéralisme ».
Un électorat qui s’était largement mobilisé pour lui durant le premier tour de la présidentielle. Ahmed Berrahal, militant LFI qui a fait campagne à Bobigny et Aulnay-sous-Bois s’en souvient bien. « C’était la première fois que je voyais des gens du quartier aller voter », raconte ce syndicaliste de la RATP. Mais la campagne pour les législatives a été plus compliquée. « Les gens ne savent pas à quoi ça sert un député. Il faut aller chercher les abstentionnistes, surtout les jeunes. Ce n’est pas payant de voter, et si les candidats ne respectent pas leurs promesses, on sera dans la rue pour qu’ils s’en souviennent. »

Aux côtés de Jean-Luc Mélenchon, tous les représentants des partis membres de la Nupes ont pris la parole : Julien Bayou, secrétaire national Europe Écologie-Les Verts (EELV), s’est félicité d’un résultat « exceptionnel et enthousiasmant, ouvrant le champ des possibles ». Éva Sas, porte-parole EELV, a parlé d’un « moment historique » pour des électeurs « qui ont compris qu’il n’y avait rien à attendre de Macron ». Ian Brossat, porte-parole du Parti communiste français (PCF), a fait part d’une « grande satisfaction », tandis que Sophie Taillé-Polian, coordinatrice nationale chez Génération s, a assuré que la victoire était possible « grâce à l’union et un programme clair, chiffré et crédible ».

Corinne Narassiguin, du Parti socialiste, s’est réjouit d’avoir rejoint la Nupes : « Nous avons eu raison de nous engager dans cette voie, car il y avait une attente chez les électeurs. » Enfin Aurélie Trouvé, présidente du parlement de l’Union Populaire, n’a pas caché sa joie. C’était la première campagne électorale pour l’ancienne porte-parole d’Attac. « Je suis très heureuse. On peut réussir à avoir 289 députés et enfin gouverner. Moi je suis d’une génération qui n’a connu que le libéralisme économique. Aujourd’hui j’ai vraiment l’impression que c’est historique et qu’on redessine une perspective de rupture. La gauche est enfin à la hauteur des enjeux et en mesure de gouverner. »
À 21 h 30, dans la salle réservée aux militants, il reste encore plein de fromages sur le buffet, mais quasiment plus personne pour le manger. Hélène et Nathalie s’apprêtent à rentrer chez elles, mais auparavant, poussent la chansonnette en entonnant « Les copains d’abord » de Georges Brassens. « Parce que lorsqu’on s’occupait des affiches, Hélène chantait tout le temps », se souvient Nathalie. Les deux femmes repartent le cœur gonflé d’espoir qu’une nouvelle majorité de députés puisse construire « un autre monde » depuis les bancs de l’Assemblée.