Malgré la loi, l’Île-de-France va continuer de bétonner

Une trentaine de militants se sont rassemblés sur le triangle de Gonesse, dans le Val-d’Oise, pour s'opposer aux travaux de la gare de la ligne 17, en juin 2021. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
Une trentaine de militants se sont rassemblés sur le triangle de Gonesse, dans le Val-d’Oise, pour s'opposer aux travaux de la gare de la ligne 17, en juin 2021. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
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Politique Étalement urbainContrairement aux autres régions, l’Île-de-France ne prévoit pas de réduire sa consommation d’espaces naturels de 50 %. Un choix « insensé » selon Louama Mestrot, de FNE Île-de-France.
La région parisienne ne prévoit de réduire sa consommation d’espaces naturels que de 20 % sur la prochaine décennie par rapport à la précédente, contre 50 % dans les autres régions, comme l’impose la loi zéro artificialisation nette (ZAN). Le conseil régional a en effet adopté, le 12 juillet, son projet de Schéma directeur de la région Île-de-France environnemental (SDRIF-E). Ce document, qui cadre ses projets d’aménagement d’ici à 2040 et qui sera décliné dans les documents d’urbanisme des échelons inférieurs à la région, sera soumis à enquête publique à partir de janvier 2024. Cependant, il manque fortement d’ambition selon les associations environnementales et les élus de l’opposition. C’est ce qu’explique Louama Mestrot, chargée de mission aménagement du territoire à France Nature Environnement (FNE) Île-de-France.
Reporterre — Pourquoi estimez-vous que la région Île-de-France n’est pas assez ambitieuse dans ses objectifs de réduction du rythme de l’artificialisation ?
Louama Mestrot — La protection des terres naturelles, agricoles et forestières doit être un combat central pour préserver la biodiversité et la souveraineté alimentaire. C’est pourquoi nous prônons la mise en place du zéro artificialisation brute (ZAB) en Île-de-France. Autrement dit : aller plus loin que la loi Climat et l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) d’ici à 2050, qui permettra de continuer à artificialiser s’il y a compensation. À défaut de réussir à imposer cet objectif ambitieux, nous souhaitons a minima que la région se fixe l’objectif de réduction du rythme de sa consommation foncière de 50 % sur la prochaine décennie par rapport à la précédente, et non pas 20 % comme cela est prévu dans le texte voté le 12 juillet.
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Pourquoi la région ne se plie-t-elle pas à la loi ZAN ?
Depuis la loi Notre de 2015, toutes les régions doivent se doter d’un document d’urbanisme et d’aménagement. La plupart d’entre elles sont désormais encadrées par des Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet). Mais la Corse, l’Île-de-France et les territoires d’outre-mer disposaient de leurs propres documents d’aménagement avant cette loi, avec un fonctionnement légèrement différent, et ils les ont conservés. La loi Climat impose aux régions encadrées par un Sraddet une diminution par deux de leur consommation d’espace dans la prochaine décennie. L’Île-de-France ne disposant pas de Sraddet, elle n’est pas légalement contrainte par cette règle. Mais elle devrait selon nous s’y plier quand même. C’est également ce que réclament des députés de la Nupes qui viennent de publier une tribune en ce sens.
Quels sont les territoires de l’Île-de-France les plus menacés par l’artificialisation ?
Nous sommes particulièrement préoccupés par le triangle de Gonesse, au nord de Paris. Une gare du Grand Paris Express doit être construite en plein champ, ainsi qu’un établissement scolaire, malgré une forte mobilisation contre ces projets. De même, l’urbanisation massive des terres fertiles du plateau de Saclay, en Essonne, nous inquiète. Ou encore, en Seine-et-Marne, 85 hectares de terres agricoles sont menacés par la construction de la ZAC de Val Bréon 2, extension de Val Bréon 1. Ce sont trois exemples d’espaces que nous aimerions voir sanctuarisés dans le SDRIF-E.
Le logement est la première source d’artificialisation en France. Estimez-vous qu’il faut continuer à en construire en Île-de-France ?
Oui, nous estimons qu’il faut construire plus de logements sociaux et très sociaux. Nous sommes d’accord avec l’objectif de la Fondation Abbé Pierre qui demande 30 000 logements de plus par an en Île-de-France. Mais nous estimons que le projet de SDRIF-E, qui reprend l’objectif de la loi Grand Paris de 2010 de construire 70 000 nouveaux logements par an, est insensé. De même, nous sommes contre la clause « anti-ghettos » voulue par Valérie Pécresse qui prévoit de freiner la construction de logements sociaux dans les communes qui en ont déjà 30 %.
Nous estimons, comme le prévoit le SDRIF-E, qu’il faut aller vers une région polycentrique. Que toutes les richesses et les emplois cessent d’être concentrés à Paris. Les villes petites et moyennes doivent être rendues plus attractives. Mais nous insistons sur le fait qu’il faut les densifier [y construire plus de logements au kilomètre carré] plutôt que de continuer à urbaniser des espaces naturels. De plus, il est possible de créer de nouveaux logements sans artificialiser, en transformant des bureaux, en mutualisant des espaces, en rajoutant des étages à certains bâtiments, en réhabilitant les espaces vacants et les friches.
Quelles sont les prochaines étapes avant l’adoption de ce document d’aménagement ?
Le SDRIF-E va être soumis à enquête publique en janvier 2024. FNE Île-de-France participera à cette consultation, tout comme nous avions participé à la concertation en amont du projet, avec la parution d’un livre blanc. Le document final doit être voté par le conseil régional durant l’été 2024, avant d’être adopté par le Conseil d’État. D’ici là, nous allons continuer à nous mobiliser pour faire comprendre les enjeux du SDRIF-E au grand public et aux associations.