Soulèvements de la Terre : les personnalités convoquées dénoncent une « volonté d’intimider »

Des gendarmes sont venus toquer chez les actvisites et les syndicalistes pour leur porter leur convocation. - © Tommy dessine/Reporterre
Des gendarmes sont venus toquer chez les actvisites et les syndicalistes pour leur porter leur convocation. - © Tommy dessine/Reporterre
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Libertés Luttes Soulèvements de la TerreHuit militants sont convoqués le 28 juin pour s’expliquer sur la dernière manifestation contre les mégabassines à Sainte-Soline. Contactés par Reporterre, ils déclarent subir une répression démesurée.
Les convocations sont tombées dans le week-end. Huit personnes vont être auditionnées le 28 juin, dans six gendarmeries différentes à travers la France. Elles sont accusées d’avoir organisé une manifestation interdite à Sainte-Soline le 25 mars dernier. Parmi elles, les responsables locaux des Deux-Sèvres des syndicats Sud Solidaires et CGT, le porte-parole de la Confédération paysanne des Deux-Sèvres et l’ancien porte-parole national du syndicat paysan, le porte-parole de Bassines non merci ainsi que trois participants des Soulèvements de la Terre.
Reporterre a pu contacter six des huit convoqués. Des gendarmes sont venus toquer chez eux pour porter le message, racontent-ils. Deux des personnes convoquées ont déjà été en garde à vue la semaine dernière pendant quatre jours, questionnés sur le mouvement écologique Les Soulèvements de la Terre. La nouvelle convocation leur a été remise à l’occasion de leur sortie.
Drôle de cadeau d’au revoir. D’après la plupart des convoqués, ils risquent d’être mis en garde à vue. Seuls les deux responsables syndicaux de la CGT et de Sud Solidaires se sont vu préciser qu’ils étaient bien convoqués à une « audition libre ». Par ailleurs, leur convocation concerne la manifestation de Sainte-Soline du 29 octobre 2022, alors que dans les six autres cas, c’est celle du 25 mars qui est évoquée.
Accumulation de procédures
Pour tous, les moyens mis en œuvre — convocation simultanée de plusieurs personnes dans des gendarmeries distinctes — semblent une nouvelle fois démesurés au vu du fait reproché : organisation d’une manifestation interdite. « Une manifestation non autorisée, c’est une amende et six mois maximum, et donc une garde à vue de 24 heures au plus », rappelle Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci. « Il y a une volonté de chercher des responsabilités individuelles, d’intimider les personnes et les organisations », dénonce Nicolas Girod, qui était porte-parole de la Confédération paysanne au moment du rassemblement à Sainte-Soline.
Les personnes convoquées rappellent que plus de 200 organisations avaient appelé à rallier les Deux-Sèvres. « La manifestation, c’est la préfecture qui l’a interdite, la répression, c’est l’exécutif qui l’a organisée. Si la population se soulève, ce n’est pas de la responsabilité de quelques individus », conteste David Bodin, secrétaire général de la CGT des Deux-Sèvres.

Depuis un mois, l’accumulation de procédures contre les militants écologistes est sans précédent. Une première vague d’une quinzaine d’arrestations, liées à une action menée contre l’usine Lafarge de Bouc-bel-Air (Bouches-du-Rhône) en décembre 2022, a eu lieu le 5 juin dernier. Quinze jours plus tard, c’est de nouveau près d’une vingtaine d’arrestations qui était menée dans le cadre de cette procédure, débouchant sur des gardes à vue de quatre jours permises par l’utilisation de dispositifs de l’antiterrorisme. « Quand le ministre de l’Intérieur nous traite d’écoterroristes, cela veut bien dire qu’il s’autorise à utiliser les moyens qui vont avec », déplore Hervé Auguin, co-délégué de Sud Solidaires dans les Deux-Sèvres.
« Un nouveau cap franchi »
À cela s’ajoute la dissolution des Soulèvements de la Terre, prononcée en conseil des ministres le 21 juin, et des arrestations liées aux manifestations de Sainte-Soline. Ces dernières ont abouti à des inculpations. Un procès s’est déjà tenu, et une personne a été placée en détention pour dix mois. Une autre — Loïc, maraîcher — est en détention provisoire dans l’attente de son procès. Trois autres doivent comparaître le 27 juillet devant le tribunal correctionnel.
Dans ce contexte, cette nouvelle vague de convocations et de gardes à vue confirme qu’un « nouveau cap dans la répression a été franchi », estime Julien Le Guet. C’est la première fois que les responsables des syndicats de salariés sont mis en cause dans la lutte contre les mégabassines. « C’est dans les compétences des syndicats d’organiser des manifestations sur la voie publique. Jusqu’ici, ils avaient été ménagés », note-t-il.
Ces responsables syndicaux relèvent d’ailleurs une multiplication des interdictions de rassemblement. « La préfecture des Deux-Sèvres ne veut plus qu’il y ait de manifestations sur la question de l’eau dans le département », observe David Bodin. « C’est devenu compliqué de faire valoir notre droit à manifester, s’inquiète également Nicolas Girod. On encourt des gardes à vue, des peines de prison. C’est choquant. »
« Le gouvernement veut faire sans le peuple »
David Bodin dénonce aussi les moyens utilisés contre les manifestants : « Des armes de guerre ont été utilisées, lors de la manifestation de mars dernier, et 5 000 munitions ont été tirées en deux heures. » Pour lui, cette répression est le signe de la criminalisation des luttes. Une politique qui fait écho à celle du gouvernement pendant les mobilisations contre la réforme des retraites. « Le peuple n’est pas d’accord avec le gouvernement et donc le gouvernement veut faire sans le peuple, c’est une conception étrange de la démocratie », regrette-t-il.
Pour les six convoqués interrogés par Reporterre, le gouvernement a clairement pris parti dans ce combat pour le partage de l’eau : celui de l’agriculture productiviste, et des syndicats agricoles qui la portent, FNSEA et Jeunes agriculteurs. « J’ai dû déposer plainte il y a un an et demi pour menaces de mort de la part du président des Jeunes agriculteurs des Deux-Sèvres. Je n’ai jamais eu de nouvelles, raconte Benoît Jaunet, porte-parole de la Confédération paysanne des Deux-Sèvres. On demande seulement un moratoire, on appelle au dialogue, à l’écoute, on porte des alternatives. Mais la préfecture et les agriculteurs qui pompent l’eau refusent de nous rencontrer. »

La FNSEA organise régulièrement des manifestations menant à des dégradations et des atteintes à des symboles de l’État comme des préfectures. Elles sont pourtant moins sévèrement réprimées, a déjà raconté Reporterre. « Il y a un deux poids, deux mesures, dit Julien Le Guet. Si maintenant la doctrine est que, dès qu’ont lieu des agissements qui ne sont pas dans le cadre de la loi, ils doivent être imputés aux organisateurs des manifestations… la FNSEA fermera demain. Je demande sa dissolution ! »
Diversion
La répression ciblerait précisément certaines luttes : « On se questionne sur la véritable indépendance des juges, explique Basile, l’un des trois participants des Soulèvements de la Terre convoqués ce 28 juin. On a un procureur à Niort en charge de la procédure pour Sainte-Soline, le parquet d’Aix-en-Provence en charge de l’affaire Lafarge pour des faits qui ont eu lieu dans sa juridiction. Et cela aboutit à une multitude d’arrestations synchrones à la veille de la dissolution administrative des Soulèvements. Ça laisse à penser qu’il y a une opération politique pilotée directement depuis le ministère de l’Intérieur qui vise à produire un effet de terreur, stupeur et intimidation sur une partie des personnes qui prennent part au mouvement des Soulèvements de la Terre. »
Gérald Darmanin, lors de son audition devant l’Assemblée nationale après la mobilisation à Sainte-Soline en mars avait d’ailleurs désigné son adversaire, à savoir « l’ultragauche qui a souhaité infiltrer le mouvement social, en prendre la direction, je dirais le prendre en otage », disait-il. Il dénonçait une « une préméditation de la violence » lors de cette manifestation et estimait que « personne n’a[vait] respecté l’État de droit ». Autant de déclarations qui peuvent désormais servir à justifier les procédures menées contre les participants à cette manifestation.
« Tout cela est une diversion pour éviter de parler du fond du sujet, regrette Hervé Auguin de Sud Solidaires. Mais cette répression renforce notre conviction que nos luttes sont fortes, légitimes. Le mouvement local contre les mégabassines regroupe des syndicats de salariés comme la CGT et Solidaires, mais aussi un syndicat de paysans, des associations environnementales locales et nationales, des partis politiques, la LPO [Ligue de protection des oiseaux], etc. Il y a des très jeunes, des moins jeunes, des catégories socio-professionnelles très différentes : ouvriers, paysans retraités, étudiants. » Et de conclure : « C’est la société dans son ensemble qui se mobilise. L’enjeu, c’est notre survie. S’il n’y a plus d’eau, il n’y a plus de vie. Il faut protéger l’eau. »