Vous balader en forêt vous expose désormais à une amende

Du fait de la loi du 2 février 2023, les randonneurs qui osent franchir une forêt privée (75 % des forêts françaises) prennent le risque d’une verbalisation. - © Mathieu Génon/Reporterre
Du fait de la loi du 2 février 2023, les randonneurs qui osent franchir une forêt privée (75 % des forêts françaises) prennent le risque d’une verbalisation. - © Mathieu Génon/Reporterre
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Pénétrer sans autorisation dans une forêt privée est puni d’une amende depuis 9 mois. Une « privatisation des espaces naturels », dénonce-t-on à gauche. Et un outil pour réprimer les écologistes luttant contre la destruction des bois.
L’accès à la nature est-il en voie de criminalisation ? Depuis la loi du 2 février dernier, le fait de pénétrer sans autorisation dans une « propriété privée rurale et forestière » peut être sanctionné d’une contravention de la quatrième classe punie d’une amende pouvant aller jusqu’à 750 euros.
Cette disposition avait été introduite dans une proposition de loi portée par les sénateurs centristes qui voulaient limiter l’engrillagement des forêts. En contrepartie, et pour rassurer les propriétaires fonciers, les élus avaient proposé cette contravention, adoptée par la majorité. Les écologistes et la gauche avaient, de leur côté, dénoncé « une privatisation des espaces naturels ». Ils rappelaient que 75 % de la forêt française était privée et qu’il suffirait désormais de quelques panneaux signalétiques pour empêcher et pénaliser son accès.
Les effets de la loi n’ont pas tardé à se faire sentir et ont ravivé les conflits d’usage. Dans le massif de la Chartreuse, un marquis s’est offusqué cet été du passage de « hordes déferlantes de curieux irrespectueux sans foi ni loi » et a interdit l’entrée de ses 750 hectares de forêt en plein cœur de la réserve naturelle. Du fait de cette nouvelle loi, les randonneurs qui osaient franchir sa propriété prenaient le risque d’une verbalisation.
Des « hordes déferlantes » dans la forêt
L’affaire a suscité un tel émoi localement qu’une pétition a recueilli plus de 35 000 signatures. Une manifestation a aussi rassemblé 1 000 personnes — des randonneurs, des habitants du territoire, des amoureux de la nature. Les participants dénonçaient l’hypocrisie du propriétaire qui continue à autoriser sur son terrain des parties de chasse privée pour de riches clients étrangers.
Plus au sud, sur la montagne de Lure, dans les Alpes de Haute-Provence, plusieurs militants ont également reçu une convocation pour s’être rendus sur une parcelle privée en cours de déboisement. Ils s’opposaient depuis plusieurs mois à la destruction de 17 hectares de forêt au profit d’une gigantesque centrale photovoltaïque. Pour avoir été sur ce domaine privé, les militants ont reçu des amendes.
Vers une répression des écologistes ?
L’association Canopée pointe « le risque de dérives » et de « détournement » de cette disposition de loi à l’encontre des activistes. La période est en effet charnière. La filière forêt bois est de plus en plus décriée pour ses pratiques controversées, et notamment ses coupes rases. Les occupations de chantier se multiplient tout comme les actions antichasse. La nouvelle infraction pourrait à l’avenir servir à réprimer massivement les écologistes. Dans les débats parlementaires, au début de l’année, la secrétaire d’État à la biodiversité, Bérangère Couillard, avait ainsi affirmé que « les intrusions volontaires caractérisées en forêt devaient être sanctionnées ».

La nouvelle infraction facilite la procédure et renforce l’arsenal à disposition des forces de police. « Elle pourrait très bien être utilisée contre nos actions. Celles-ci sont pourtant indispensables pour interpeller les professionnels et créer un débat », souligne Bruno Doucet, chargé de campagne au sein de l’association Canopée.
Mercredi 8 novembre, les deux députés écologistes Lisa Belluco et Jérémie Iordanoff ont déposé une proposition de loi pour supprimer l’infraction et revenir au droit antérieur. « La menace qui plane ne concerne pas seulement les militants, insiste le député de l’Isère Jérémie Lordanoff. Mais elle risque au contraire d’impacter tous les usagers de la forêt. À peine quelques mois après sa création, nous constatons déjà des abus. À l’avenir il y a de fortes chances que cela se renforce. Les propriétaires fonciers vont être poussés à interdire l’accès à leur terrain pour des questions d’assurance ou simplement pour faire plaisir à des sociétés de chasse, c’est intolérable. »
Droit d’accès à la nature
Il plaide avec sa collègue pour un rééquilibrage entre le respect de la propriété privée et la liberté de circuler. Sur le fond, les députés veulent aussi engager une réflexion plus large sur un futur droit d’accès à la nature. « La pratique de loisirs et de sport de plein air et l’accès à la nature pour toutes et tous sont nécessaires pour notre santé physique et mentale, rappelle Lisa Belluco. Par ailleurs, cet accès à la nature est une condition pour comprendre le monde vivant qui nous entoure et mieux le protéger. »
Après le dépôt de cette première proposition de loi, les écologistes espèrent arriver à créer d’ici 2024 un grand débat transpartisan autour de cette question en s’inspirant des législations scandinaves [1]. Et si vivre dignement, si être libres et égaux en droits signifiaient également avoir la liberté d’accéder et de profiter en tous lieux des merveilles de la nature ?