Croquettes, pâtées... Chiens et chats détraquent aussi le climat

Les chats ont un métabolisme nécessitant beaucoup de protéines, présentes par exemple dans les croquettes carnées. Celles-ci pourraient être remplacées par des croquettes à base d'insectes. - Flickr/CC BY-NC-SA 2.0/MTSOfan
Les chats ont un métabolisme nécessitant beaucoup de protéines, présentes par exemple dans les croquettes carnées. Celles-ci pourraient être remplacées par des croquettes à base d'insectes. - Flickr/CC BY-NC-SA 2.0/MTSOfan
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Alimentation AnimauxL’industrie de la viande pollue. Les chiens et chats, qui en consomment beaucoup dans leurs croquettes et pâtées, doivent-ils arrêter d’en manger ? Le végétarisme est-il la solution ?
Retrouvez les dessous de cet article dans « Les coulisses de l’enquête », le nouveau podcast de Reporterre :
Il aboie, dévore tous les ans l’équivalent de 164 kg de viande fraîche et rejette autant de gaz à effet de serre que deux Toyota Land Cruiser parcourant chacune 10 000 km… construction et carburant compris. Qui est-ce ? Un simple chien.
L’empreinte carbone liée à la consommation de viande de nos compagnons les chiens ne devrait plus être négligée, tant ses conséquences sur l’environnement sont importantes, démontraient en 2009 les professeurs Brenda et Robert Vale dans un ouvrage au titre provocateur : Il est temps de manger le chien. Ce temps est-il venu ?
Chaque année, sur Terre, autour de 330 millions de tonnes de viande sont produites. Déforestation, utilisation mirobolante d’eau et de biocides, combustion d’énergies fossiles… Les ravages causés par cette industrie poussent beaucoup d’humains à interroger leurs modes de consommation. Seulement, ceux des animaux de compagnie restent bien peu débattus et guère documentés. Alors, qu’en est-il de l’appétit des 15 millions de chats et 7,5 millions de chiens domestiqués vivant dans l’Hexagone ? En l’absence d’étude, le mystère demeure.

La consommation de produits d’origine animale des chiens et chats a toutefois été évaluée aux États-Unis, en 2017, par un chercheur de l’université de Californie. À eux seuls, chaque année, ils « sont responsables d’environ 64 millions de tonnes d’équivalent CO2 », écrivait Gregory S. Okin. Soit les émissions nécessaires à la fabrication et l’utilisation de 753 millions de smartphones.
Aux yeux du géographe, de tels chiffres ne peuvent être exclus des calculs de la consommation alimentaire globale du territoire : « Ils consomment autant d’énergie alimentaire qu’environ 62 millions d’Américains, soit un cinquième de la population. »
Des bas morceaux… comestibles pour les humains
« Les animaux de compagnie ne sont pas des consommateurs de viande, conteste auprès de Reporterre l’essayiste Audrey Jougla. Leur alimentation n’est responsable d’aucun abattage. » Autrice de Montaigne, Kant et mon chien (Delachaux & Niestlé, 2022), elle assure que les ingrédients carnés composant la « petfood » (la nourriture pour animaux) proviennent uniquement « du recyclage des pièces délaissées par les humains ».
Lors de l’abattage du bétail, certaines parties des carcasses sont en effet abandonnées par les industriels pour des questions culturelle, de mode ou de calibrage. Ces bas morceaux, appelés sous-produits dans la législation européenne, sont alors destinés à être transformés en croquettes. En clair, on parle ici d’abats tels que les poumons, os, rate, testicules, œsophage, foie, cœur, babines, etc.
« Ce sont plus de 600 000 tonnes valorisées chaque année, qui ne sont pas gaspillées », se vantait ainsi dans un clip publicitaire la Fédération des fabricants d’aliments pour chiens, chats, oiseaux et autres animaux familiers (Facco) [1].

Un argument reposant toutefois sur l’hypothèse qu’aucun de ces sous-produits ne pourrait intégrer notre propre alimentation, à l’issue d’une transformation appropriée. Or cette idée est fausse : tous les bas morceaux destinés à la nourriture pour nos amis à quatre pattes sont préalablement déclarés propres à la consommation humaine par les services vétérinaires d’inspection sanitaire.
Dans son étude, le chercheur Gregory S. Okin révélait déjà la comestibilité d’une grande partie des croquettes et pâtées : « Des Américains en situation précaire s’en servent d’ailleurs comme aliment de dernier recours », précisait-il, avant de projeter : « Dans l’hypothèse où seulement un quart de l’énergie d’origine animale contenue dans la nourriture des animaux serait consommable par les humains, elle soutiendrait la consommation d’énergie animale de 26 millions d’Américains. »
Des produits réalisés grâce à de « douloureuses expérimentations animales »
Qu’en est-il de ces propriétaires cherchant à leur offrir une nourriture de meilleure qualité, et donc plus de viande ? « Si l’on venait à remplacer les sous-produits par de la viande que nous consommons au quotidien, on filerait droit dans le mur et l’écologie en prendrait un coup », prévient Charlotte Devaux, vétérinaire nutritionniste.

Pour l’heure, un tel revirement n’est pas envisageable et serait synonyme de faillite pour un grand nombre d’industriels du petfood. D’autant que ceux-ci s’attachent à développer des arguments santé, tels que la promesse d’une digestion facile ou la réduction des allergènes. « Toutefois, ce que le consommateur ne voit pas, ce sont les douloureuses expérimentations animales réalisées en centre de R&D pour élaborer ces produits sophistiqués, dénonce Audrey Jougla, lanceuse d’alerte d’Animal Testing. Et ce, alors même que les croquettes traditionnelles faisaient tout à fait l’affaire. »
« L’industrie du petfood leur ment sans remords »
Sans surprise, les emballages ne font aucune mention du traitement réservé à ces animaux de laboratoire. En revanche, les industriels laissent apparaître d’attrayants filets de poulet ou de poisson. « Tout ça est faux à 99,9 %, s’indigne Pauline Teyssier, à l’initiative du projet Petfood Review qui dénonce les pratiques illégales du secteur. C’est de la publicité mensongère. Les propriétaires d’animaux sont devenus des cibles commerciales, à qui l’industrie du petfood ment sans remords. Il ne faut pas se voiler la face, les ingrédients de leurs recettes restent et resteront des sous-produits. »
Les mystères de la composition exacte de ces recettes, le biologiste Diego Cardeñosa a tenté de les percer en 2019. Parmi les 87 produits analysés par le chercheur de l’université Stony Brook de New York, au moins 21 contenaient de micros fragments d’ADN de différentes espèces de requins : « Tous appartenaient à des espèces quasi menacées ou menacées d’extinction d’après la liste rouge de l’UICN [2] », notait-il. Par ailleurs, aucun des produits ne faisait mention d’ingrédients à base de requin. Un manque de transparence dénoncé par l’auteur de l’étude : « Cela souligne la nécessité de multiplier les contrôles d’étiquetage [...] pour que les consommateurs aient la possibilité de choisir d’acheter ou non ces produits. »
Des animaux végétariens ?
Faut-il alors arrêter d’avoir des animaux de compagnie pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre ? En partie, selon le Dr Gregory S. Okin : « Diminuer le taux de possession de chiens et de chats, peut-être en faveur d’autres animaux moins énergivores [oiseaux, lapins, hamsters, etc.], mais offrant des avantages similaires sur le plan de la santé, du social et de l’émotion, réduirait considérablement les impacts environnementaux. »
Le géographe recommande par ailleurs de mener « des efforts simultanés », à l’échelle de l’industrie, « pour réduire la suralimentation, les déchets et trouver d’autres sources de protéines ».

Des alternatives à la nourriture carnée existent déjà, comme le régime végétalien. Celui-ci serait meilleur pour la santé des chiens, révélaient en 2022 des chercheurs de l’université de Lincoln, au Royaume-Uni. Toutefois, l’industrie du petfood ne serait pas encore prête : « Techniquement et scientifiquement, c’est faisable, explique la vétérinaire nutritionniste Charlotte Devaux. Seulement, en l’état, ce n’est pas recommandé. Les produits aujourd’hui disponibles ne sont pas satisfaisants. »
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Autre possibilité : les insectes. L’entreprise française Ÿnsect transforme par exemple des scarabées en aliments pour chiens, chats… et humains. Leadeuse du marché, elle construit actuellement, à Amiens (Somme), la plus grande ferme verticale du monde. Une menace aux yeux de la Facco, qui, à défaut d’avoir accepté de répondre à Reporterre, défend son morceau de viande sur son site internet : « Les insectes constituent une nouvelle source d’énergie, là où les sous-produits animaux sont une source d’énergie déjà disponible qu’il ne faut pas gaspiller. »
Aux États-Unis, des sociétés s’intéressent, elles, à la viande cellulaire, cultivée en laboratoires. En 2021, une jeune entreprise étasunienne a ainsi élaboré des friandises pour chats à base de cellules de souris cultivées. Cette technique, ne nécessitant pas l’abattage d’animaux, reste toutefois très énergivore et loin d’être bientôt disponible en France.