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Forêts

Essentielle à la vie, la photosynthèse est menacée par le réchauffement climatique

À cause de la chaleur, les luxuriants massifs de l’Amazonie, du bassin du Congo ou d’Asie du Sud-Est pourraient dépérir.

La photosynthèse, essentielle à la vie, déraille lorsque les feuilles chauffent trop. Passés 3,9 °C de réchauffement, les forêts tropicales pourraient dépérir de manière massive, alerte une étude.

Apparue il y a 3,8 milliards d’années, la photosynthèse est essentielle au maintien de la vie sur Terre. C’est grâce à elle que les plantes, les algues et certaines bactéries convertissent la lumière du soleil en glucose et parviennent, au cours de l’opération, à absorber du dioxyde de carbone et à libérer de l’oxygène dans l’atmosphère. Effréné, le changement climatique pourrait mettre en péril ce processus dans les forêts tropicales, suggère une étude publiée le 23 août dans la revue Nature. Si rien n’est fait pour ralentir nos émissions de gaz à effet de serre, les luxuriants massifs de l’Amazonie, du bassin du Congo ou d’Asie du Sud-Est pourraient dépérir, avec des conséquences en cascade sur les espèces qu’ils abritent et la régulation du climat.

La communauté scientifique sait depuis 1864 – et la publication des travaux du botaniste allemand Julius von Sachs – que les rouages de la photosynthèse s’enrayent lorsque la température des feuilles dépasse un certain seuil. Une étude portant sur 147 espèces d’arbres tropicaux, publiée en 2021 dans la revue Plant, Cell & Environment, estime qu’il se situe, en moyenne, à 46,7 °C. Cette limite fatidique peut sembler difficilement atteignable « mais la température des feuilles peut être bien plus élevée que celle de la température de l’air », a précisé le chercheur Martijn Slot, du Smithsonian Tropical Research Institute, lors de la conférence de presse présentant l’étude le 21 août. Passé ce stade, la machinerie cellulaire permettant de convertir l’énergie lumineuse en énergie chimique se dérègle de manière irréversible, et la feuille meurt.

« C’est un signe avant-coureur »

L’étude publiée dans Nature montre qu’une proportion faible – mais préoccupante – des feuilles situées dans les canopées tropicales atteignent d’ores et déjà ce seuil mortel. Afin de parvenir à ce résultat, l’équipe de chercheurs a eu recours au radiomètre Ecostress, un instrument de mesure de l’évolution des écosystèmes installé à bord de la Station spatiale internationale. Ils ont également utilisé des données provenant d’un pyrgéomètre – un outil de mesure du rayonnement infrarouge – perché sur une tour de 64 mètres de haut au milieu de l’Amazonie, et d’une nuée de capteurs installés à la main sur des plantes brésiliennes, portoricaines, panaméennes et australiennes. Cet ensemble de données leur a permis de déterminer que la température de 0,01 % des feuilles tropicales dépasse le seuil « critique » de 46,7 °C au moins une fois par an.

Ce pourcentage peut sembler ridiculement faible. « Mais c’est un signe avant-coureur », a mis en garde Joshua Fisher, de l’université Chapman, lors de la conférence de presse. « C’est un peu comme pour la santé : on veut savoir que l’on a un cancer avant qu’il ne devienne incontrôlable. »

L’étude publiée dans Nature montre qu’une proportion faible – mais préoccupante – des feuilles situées dans les canopées tropicales atteignent d’ores et déjà ce seuil mortel. Flickr / CC BY 2.0 / Évimage

La détérioration de cette minorité de feuilles peut par ailleurs avoir des effets vicieux. Lorsqu’elles meurent, les feuilles cessent d’évapotranspirer – c’est-à-dire d’émettre de la vapeur d’eau, en rafraîchissant l’atmosphère aux alentours. Conséquence : la température au niveau de leur branche, de leur arbre et de ses voisins peut augmenter, au risque d’entraîner d’autres feuilles dans leur chute. « Dès qu’un petit pourcentage de feuilles est à l’agonie, l’avenir des autres devient préoccupant », a signalé Christopher Doughty, de la Northern Arizona University, lors de la présentation de l’étude aux médias. Selon le chercheur, l’augmentation de la mortalité des arbres observée en Amazonie depuis une quinzaine d’années pourrait être liée à ce phénomène.

Il est encore temps d’agir

L’équipe de scientifiques a également tâché de comprendre comment la situation pourrait évoluer en fonction des différents scénarios de réchauffement du climat. Ils s’attendent à ce que la proportion de feuilles atteintes augmente avec chaque degré supplémentaire. Selon le modèle qu’ils ont créé, un point de bascule pourrait être atteint si la température dépasse localement les 3,9 °C de réchauffement : les feuilles pourraient alors mourir en masse, anticipent-ils, et entraîner un dépérissement généralisé des massifs. Cela pourrait diminuer drastiquement les capacités d’absorption du dioxyde de carbone par les arbres, et donc accélérer le réchauffement climatique.

Le seuil des 3,9 °C de réchauffement dans les tropiques pourrait être atteint dès 2081 si jamais l’humanité suit la trajectoire du « scénario du pire » (RCP 8.5) établi par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. « Si nous ne faisons rien pour atténuer le changement climatique et continuons d’émettre du carbone dans l’atmosphère, il est possible que nous dépassions cette limite, alerte Christopher Doughty. Mais si nous changeons et réduisons la déforestation, elle peut rester hors de notre portée. » Il est encore temps d’agir, selon le chercheur, et de « décider du destin » de ces forêts et de leurs habitants.

Imma Oliveras, directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement – et co-autrice de cette étude –, estime dans un communiqué que ces projections « nous aident à identifier les risques de l’inaction et la nécessité d’atténuer le changement climatique ». Christopher Doughty espère qu’elles seront complétées par d’autres études sur le sujet dans les mois et années à venir. De grandes incertitudes demeurent en effet quant aux conséquences de la mort des feuilles sur la santé des arbres, ainsi que sur les éventuelles différences entre les espèces tropicales. Une chose reste néanmoins certaine : sans réduction de nos émissions de gaz à effet de serre, nos cathédrales végétales deviendront champs de ruine.

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