Loups, requins, ibis, blaireaux : un massacre sans base scientifique

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Loups, requins, ibis sacré, bouquetins… ces animaux sauvages subissent des phases d’abattage massif de la part des autorités. Le plus souvent sans discernement sinon pour complaire à des intérêts particuliers, explique l’auteur de cette tribune, selon lequel « réflexion et matière grise pourraient permettre d’éviter une violence inutile ».
Farid Benhammou est géographe et chercheur au laboratoire Ruralité de l’université de Poitiers. Il a codirigé le dossier « Territoires humains, mondes animaux » de la revue Historiens & Géographes (juill.-août 2017) dans le cadre du Festival international de géographie de Saint-Dié-des-Vosges, dont la 28e édition se déroule ce week-end.

Par leur approche mêlant éléments sociaux et écologiques contextualisés dans un territoire, les géographes peuvent apporter une vision pertinente de la question de la gestion et de la préservation de la faune sauvage en France. Or, dans notre pays, les espèces qui peuvent représenter une contrainte réelle ou exagérée pour les activités humaines font souvent l’objet d’une gestion brutale allant jusqu’à la destruction. Même des espèces protégées comme le loup, les requins ou le bouquetin subissent dans certains cas une élimination perpétuant la notion de « nuisible » censée être tombée en désuétude. Et nous pourrions aussi évoquer les cas du blaireau, du grand cormoran ou encore de l’ibis sacré, cet Africain indésirable.

Malgré les progrès réglementaires des statuts juridiques de la plupart des animaux sauvages, malgré une opinion publique globalement favorable à ces espèces, des acteurs des territoires, surtout ruraux, exercent sur les élus et les préfets une influence disproportionnée par rapport à leur poids effectif dans la société. Représentants agricoles, professionnels du tourisme ou chasseurs permettent des accommodations des lois environnementales quand ils ne les vident pas de leur substance. Les préfets avec les services de l’État, dont certains sont rattachés aux administrations environnementales, se retrouvent à exercer une violence dont l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) est le bras armé.
Une négligence voire un mépris de la recherche et des connaissances scientifiques
Pour le loup, les requins, le blaireau, l’ibis sacré… entre autres, cela va de l’élimination contenue (à l’efficacité non prouvée) pour le loup à des massacres totalement inutiles et contre-productifs comme pour les requins ou les ibis sacrés tirés à tour de bras par l’ONCFS. Ainsi, d’importants fonds publics sont mis en œuvre, en finançant une brigade d’élimination des 40 loups à tuer sur les 360 estimés en France (en 2017), alors qu’il n’existe aucune corrélation entre tirs de loups et baisse de la prédation. Au contraire, alors que l’on n’a jamais tué autant de spécimens de cette espèce « protégée », les attaques du canidé ne cessent de croître.
Pour les requins à la Réunion qui ont causé des attaques mortelles sur des usagers ne respectant pas les consignes de sécurité, l’État et les collectivités locales subventionnent à coup de millions d’euros l’élimination de requins dont la plupart ne sont pas impliqués dans les attaques sur l’homme avec fréquemment des espèces de requins non incriminés (requin-taureau, requin-marteau) voire rares, et en danger comme le grand requin blanc.
Ces gestions par la tuerie s’appuient aussi sur une négligence voire un mépris de la recherche et des connaissances scientifiques. Contrairement à ce qui s’est passé à Hawaï dans les années 1990 où la multiplication des attaques de requin a donné lieu à des programmes de recherche sans précédent, à la Réunion, les programmes scientifiques rigoureux ont été interrompus. Pour le loup, si des moyens importants sont utilisés pour connaître et évaluer la population (à quelle fin ?), il n’y a aucune vraie ambition en matière de recherche sur des moyens de protection innovants, de la médiation et les sciences sociales.

De plus, l’appel à l’élimination de ces animaux est utilisé pour affaiblir les mesures de protection des espaces naturels. Ainsi à la Réunion, la réserve marine est accusée d’avoir attiré les requins agresseurs alors que l’appâtage pour les pêcher a probablement une plus grosse responsabilité. La réserve est un bouc émissaire, car son milieu n’est pas propice au requin-bouledogue, la principale espèce incriminée. De même pour le loup : ses détracteurs appellent souvent à étendre son élimination au cœur des Parcs nationaux, les seuls confettis de territoire français bénéficiant d’une protection spatiale relativement efficace.
Le statut de protection intégrale n’est même pas une garantie, comme l’ont subi les bouquetins du massif du Bargy, en Haute-Savoie. Accusé de transmettre la brucellose aux bovins, l’ongulé a bien failli être totalement éradiqué d’une vallée, avec l’appui de l’armée, pour contenter des éleveurs dont les troupeaux sont aussi des réservoirs de la maladie. Mais le sanitaire semble tout excuser, comme un loisir sanglant et inutilement cruel qu’est le déterrage du blaireau. Des passionnés bénévoles se réunissent et utilisent des races de chiens spécialisés pour forcer le ou les blaireaux dans leur terrier. Après des heures de terreur, ceux-ci finissent au bout d’une tenaille puis déchiquetés par les chiens. Ce loisir serait d’utilité publique, car le blaireau est vecteur de la tuberculose bovine. Or, l’animal est vecteur secondaire de la maladie et l’éradication locale est totalement inefficace.
De la réflexion et de la matière grise permettraient d’éviter une violence inutile
Dans la série des massacres inutiles dans nos campagnes, l’ibis sacré occupe une belle place. Issue d’introduction ayant prospéré sur le littoral atlantique, la population de cet oiseau emblématique de l’Égypte ancienne a été accusée de détruire des nichées d’espèces protégées. L’oiseau est qualifié d’invasif car africain. Or, l’ibis sacré fait partie de l’aire biogéographique paléarctique ouest et côtoie la plupart des échassiers et oiseaux du Grand-Ouest français également en Afrique et au Moyen-Orient. Et l’espèce est passée en France de 1.200 couples en 2006 à quelques dizaines aujourd’hui. Le plus dramatique est que des études rigoureuses de son régime alimentaire ont montré que l’animal n’avait aucune incidence négative sur la faune locale. Pourtant, des abattages massifs ont été mis en œuvre par l’ONCFS. Le drame est que ces opérations perturbent fortement le milieu et ont provoqué des déclins de colonies d’échassiers, à commencer par la spatule blanche, espèce menacée et protégée qui apprécie la compagnie des ibis !
Dans la plupart des cas cités, de la médiation, et surtout de la réflexion et de la matière grise, pourraient permettre d’éviter une violence inutile. La transition écologique de nos sociétés ne peut pas passer par une politique du fusil qui méprise une connaissance plurielle et contextualisée.