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Non, M. Macron, la crise climatique ne se mettra pas sur pause

Le président Emmanuel Macron s'exprime lors de la COP26 sur le dérèglement climatique, à Glasgow, en novembre 2021.

Alors qu’Emmanuel Macron a réclamé une « pause » environnementale, des députés européens LFI appellent dans cette tribune à un sursaut de la gauche et des écologistes « pour mettre les réactionnaires en échec ».

Manon Aubry est députée européenne La France insoumise (LFI) et coprésidente du groupe de la gauche au Parlement européen. Leïla Chaibi, Marina Mesure et Younous Omarjee sont députés européens (LFI) [1].



L’appel d’Emmanuel Macron jeudi 11 mai à effectuer une « pause réglementaire européenne » en matière environnementale, réitérée le lendemain et confirmée dans la foulée par son gouvernement, a provoqué une véritable déflagration en France et dans l’Union européenne. Car tout le monde l’a compris à Bruxelles, Emmanuel Macron rejoint délibérément les positions politiques écolosceptiques de la droite et de l’extrême droite européennes, particulièrement en vogue ces derniers mois.
 
La déclaration d’Emmanuel Macron tranche terriblement avec le désastre écologique qui s’accélère sous nos yeux et qui, lui, est loin de se mettre sur pause. Nous avons franchi cinq des neuf limites planétaires, la sécheresse historique entraîne des restrictions d’eau dans vingt départements français et les grands feux de forêt se multiplient. La biodiversité s’effondre avec une chute de 70 à 80 % du nombre d’insectes en Europe en quelques décennies. Le Conseil d’État a réitéré la semaine dernière la condamnation de l’État pour inaction climatique.
 
Les conséquences du dérèglement climatique meurtrissent déjà l’Europe, confrontée à des épisodes caniculaires à répétition, des sécheresses de plus en plus régulières, des inondations et des catastrophes chaque fois plus meurtrières. Et ce n’est que le début d’une réaction en chaîne gravissime. Le Pacte vert pour l’Europe (Green Deal) et le paquet climat européen sont un premier pas important pour y faire face. Mais tout le monde s’accorde pour dire que ces objectifs sont insuffisants et qu’il doit absolument s’accompagner dès la future mandature européenne de mesures complémentaires ambitieuses si l’Europe veut rester dans les clous de l’Accord de Paris, protéger la biodiversité et limiter drastiquement la pollution.
 

Des activistes réunis le 14 décembre 2021 à Paris contre la politique progaz et pronucléaire du gouvernement. © Alexandre-Reza Kokabi / Reporterre

Malgré tout, le président lance cet appel ahurissant à une pause réglementaire qui enterre la poursuite de l’action environnementale de l’Union européenne. Cette volte-face s’inscrit d’ailleurs dans un contexte de politique européenne qui lui donne tout son sens… et toute sa gravité. Depuis quelques mois, la mise en œuvre du Green Deal européen est menacée par des alliances nouvelles entre la droite et l’extrême droite, travaillant de concert au torpillage de l’action environnementale et climatique de l’Union européenne.

La rhétorique du président de la République et de ses ministres fait directement écho à ces discours qui touchent une partie du Parlement européen et des gouvernements des États membres, qui considèrent toute action écologique comme une contrainte bureaucratique abusive et un frein à l’activité économique dont il faudrait se débarrasser.

« Le perroquet de la droite et de l’extrême droite écolosceptique »

 
Au Parlement européen, le groupe du PPE (réunissant les partis conservateurs) a rejoint ces positions depuis un an et s’oppose aux textes environnementaux en cours de discussion tels que le règlement sur l’utilisation durable des pesticides, la directive sur la réduction des émissions industrielles, le règlement sur la restauration de la nature, la réponse européenne au plan américain anti-inflation (IRA), etc. Le président Renaissance de la Commission de l’environnement du Parlement, Pascal Canfin, alertait lui-même sur le sujet le 12 mai en affirmant que « si le Green Deal s’effondre, c’est à cause du Parti populaire européen ». Aujourd’hui, Emmanuel Macron a décidé d’inscrire la France aux côtés de la droite, de l’extrême droite et de ceux qui souhaitent tuer dans l’œuf toute ambition écologique européenne supplémentaire.
 
La parole de la France s’en trouve durablement décrédibilisée au Conseil comme au Parlement européens, car le « champion de la planète » se range aux côtés de la pire des droites et parle désormais comme le Hongrois Viktor Orbán, le Polonais Mateusz Morawiecki et l’Italienne Giorgia Meloni.

Emmanuel Macron était déjà connu pour son double discours écologiste dans les sommets internationaux, mais bataillant en coulisses pour soustraire le secteur financier au devoir de vigilance environnementale, accompagner les projets climaticides de Total en Ouganda et en Arabie saoudite, ou labelliser le gaz comme énergie durable dans la classification européenne des investissements (taxonomie) en échange d’une protection de l’industrie nucléaire. Emmanuel Macron avait déjà vidé de son sens le concept pourtant essentiel de planification écologique en le limitant à un Commissariat au plan consultatif sans pouvoir réel d’impulsion et de coordination.
 
Emmanuel Macron désobéit depuis des années aux règles environnementales européennes, en matière de pollution de l’air, de développement des énergies renouvelables, de surpêche ou de verdissement du système agricole. Le chantre du progressisme de 2017 est désormais devenu publiquement le perroquet de la droite et de l’extrême droite écolosceptique, la seule à sortir renforcée de cette séquence. En annonçant qu’il bloquerait toute velléité d’aller plus loin à partir de 2024, Emmanuel Macron met en danger dès maintenant l’application déjà incertaine du reste du Green Deal et du paquet climat d’ici la fin de la mandature. Et il lance sa campagne des européennes avec un message clair : les intérêts des actionnaires industriels passeront pour lui avant ceux de la planète.
 
Face à cette dérive, les groupes de gauche et les écologistes doivent se réunir pour sauver l’ambition climatique de l’Union européenne. La présidente du groupe des socialistes européens Iratxe García Pérez a ouvert la porte à cette possibilité la semaine dernière, en affirmant qu’elle pourrait mettre fin à la cogestion avec la droite et les libéraux si leur rapprochement avec l’extrême droite se poursuivait. Il était temps ! Les lignes bougent dangereusement et la gauche ne doit pas passer à côté de sa responsabilité historique : faire front commun pour mettre les réactionnaires en échec et protéger les peuples comme la nature.

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