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Agriculture

Agriculture : le bilan désastreux du quinquennat de M. Macron

Emmanuel Macron au Salon de l'agriculture le 23 février 2019, à Paris.

Financement des mégabassines, reniement sur les pesticides, instauration de la cellule de gendarmerie Déméter… Tout au long du quinquennat d’Emmanuel Macron, les arbitrages du gouvernement ont favorisé l’agriculture intensive aux dépens des fermes biologiques. L’agriculture subit une crise humaine sans précédent.

Des occasions manquées, des solutions erronées et des reculs répétés. Le bilan de la politique agricole d’Emmanuel Macron est très négatif. Le quinquennat était pourtant riche de temps forts consacrés à l’agriculture : États généraux de l’alimentation, Varenne de l’eau, Convention citoyenne pour le climat, plans de relance successifs… « Autant d’occasions manquées pour enclencher la transition agroécologique dont le secteur avait besoin », regrette Cyrielle Denhartigh, responsable agriculture et alimentation au Réseau Action Climat (RAC). Au contraire, ces cinq années aux manettes ont favorisé les tenants d’une agriculture industrielle et prédatrice des biens communs comme l’eau et le foncier agricole.

Foncier agricole : les grands propriétaires privilégiés

Artificialisation des sols, dégradation, disparition des fermes… Les nombreuses « attaques » subies par les terres agricoles en France pourraient les faire disparaître. Pxhere/CC0

Des fermes de plus en plus grandes, concentrées entre les mains d’une poignée d’acteurs. C’est le constat du rapport sur l’état des terres agricoles publié par Terre de liens le 22 février. « Quasi-inexistantes il y a soixante ans, les grandes fermes, d’une surface moyenne de 136 ha (190 terrains de foot) représentent 1 ferme sur 5, mais 40 % du territoire agricole », a calculé l’organisation.

Des domaines plus étendus, et donc plus difficiles à acquérir pour les jeunes paysans. Selon Terre de liens, près de 5 000 personnes renoncent chaque année à s’installer. Un phénomène qui favorise le rachat par de gros propriétaires terriens - ou par de grandes firmes, de plus en plus présentes - qui privilégient les monocultures intensives. Or, le temps presse : un agriculteur sur quatre a plus de 60 ans, et dans les trois années à venir, 160 000 exploitations devront trouver un successeur.

Pour y remédier, l’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi qui vise à mieux réguler l’accès aux terres agricoles. « [Ce texte] constitue une première étape opérationnelle, pragmatique, avant d’engager ce chantier important d’une grande loi foncière », s’est félicité Julien Denormandie.

Vraiment ? Selon Philippe Camburet, le président de la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab) : « Le sujet n’a été qu’effleuré avec cette loi foncière : pas de vraie limite à l’agrandissement, pas de remise en question des relations entre les agriculteurs locataires de leurs terres et les propriétaires fonciers. J’attendais beaucoup d’une loi foncière qui reparte de zéro sur le bail rural, qu’il y ait un droit de regard pour les propriétaires sur les produits appliqués sur leurs terres… »

Les mégabassines au service de l’agriculture intensive

Manifestation contre une retenue d’eau géante (« mégabassine ») en Charente-Maritime, en novembre 2021. © Corentin Fohlen/Reporterre

Pour lutter contre les risques de sécheresse liés au changement climatique, le ministère de l’Agriculture a arbitré le financement de retenues massives au profit de l’agriculture intensive. Des « mégabassines » qui pompent les nappes phréatiques et les rivières en hiver, quand l’eau est abondante, pour remplir des réservoirs utilisés pendant les périodes sèches : « On ne va pas regarder la pluie tomber du ciel pendant six mois et la chercher les six autres mois de l’année », a justifié Julien Denormandie. Un « hold-up » sur l’or bleu, lui répond la Confédération paysanne, car la sécurisation des réserves d’eau se fait aux dépens des écosystèmes concernés : l’eau collectée n’est pas un surplus, mais une assurance de l’équilibre de la biodiversité tout au long de l’année.

« Plutôt que de réfléchir à l’adaptation au changement climatique, on choisit une solution technologique qui va aggraver les causes et les effets », dénonce Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne. Pour l’agriculteur, la soutenabilité de la production agricole ne peut passer que par la sobriété : « Si on veut produire plus longtemps, il va falloir accepter de produire moins, et de réduire le gaspillage entre production, transformation et consommation. »

Que reste-t-il de la loi Égalim ?

Élaborée lors des États généraux de l’alimentation (EGA) de 2017, la loi sur l’agriculture et l’alimentation avait l’ambition de revaloriser la rémunération des agriculteurs. Cinq ans plus tard, les mesures adoptées sont un échec. Elles n’ont pas permis l’encadrement des négociations commerciales entre agriculteurs et acheteurs ni l’interdiction du paiement en dessous du prix de revient aux agriculteurs. La seconde loi Égalim, adoptée en novembre 2021, n’a pas résorbé ces failles. « On se retrouve cinq ans après les états généraux avec un ministère qui a du mal à faire payer la grande distribution », se désole Nicolas Girod.

Un plan stratégique national tolérant avec l’agriculture intensive

© Étienne Gendrin/Reporterre

Déclinaison française de la Politique agricole commune (PAC) européenne, le Plan stratégique national (PSN) flèche les neuf milliards injectés chaque année par Bruxelles dans l’agriculture française. Son dernier arbitrage budgétaire daté de décembre 2021 a surtout profité à l’agriculture conventionnelle, et « ne tient pas compte des recommandations scientifiques et des attentes sociales en matière d’environnement et de climat », estime Mathieu Courgeau, porte-parole de la Plateforme pour une autre PAC.

En cause, la présence dans ce PSN de la certification Haute valeur environnementale (HVE), qui devrait récompenser les agriculteurs appliquant des pratiques agricoles vertueuses par des aides du dispositif écorégime. Mais le cahier des charges du label est trop laxiste pour être pertinent. Le HVE tolère, par exemple, l’usage des pesticides cancérigènes. L’Autorité environnementale, une entité indépendante chargée de l’évaluation des politiques environnementales, note elle-même que le HVE n’apporte « aucun bénéfice environnemental supplémentaire par rapport à celui apporté par le simple respect des bonnes conditions agricoles et environnementales ».

Pourtant, de nombreuses mesures environnementales auraient pu être soutenues. Mathieu Courgeau énumère : « S’engager à réduire les pesticides, augmenter la part de prairie, réduire les engrais azotés… Faute de budget, ces mesures ne sont pas accessibles sur le territoire national. Or, les aides ont eu tendance à stagner, voire diminuer. »

Si le nouveau PSN va gonfler l’aide au passage en agriculture biologique, cette augmentation ne viendra pas combler la suppression des aides au maintien en bio, actée en 2018. Cette disparition réduit l’attrait économique des fermes en bio, et pourrait même convaincre certains paysans de débuter une déconversion.

L’élevage en pâturage, un mirage

Quant aux élevages, Cyrielle Denhartigh souligne l’écart entre le discours du ministre de l’Agriculture, vantant l’importance de l’accès aux pâturages des animaux, et la réalité des actes : le PSN n’offre aucune aide valorisant les éleveurs qui laissent leurs bêtes accéder aux pâtures. « On a demandé à ce que ce critère soit écrit dans le PSN. Ça nous a été refusé, se rappelle-t-elle. Or, si on veut sortir les éleveurs de l’élevage industriel, il faut flécher des aides vers les élevages les plus vertueux. »

Cependant, Philippe Camburet met en avant « des décisions plutôt courageuses » pendant le quinquennat sur la condition animale. « En particulier sur les missions de surveillance des abattoirs, qui ont recueilli un financement du plan de relance, cite-t-il. La filière porcine ne comptait pas voir arriver la fin de la castration à vif aussi vite, il y a eu l’abandon du broyage de poussin… Ça fait partie des “crantages” qui vont dans le bon sens. »

Pesticides, un renoncement répété

Candidat, Emmanuel Macron promettait « l’élimination progressive des pesticides ». Président, il a renié ses engagements. Concernant l’interdiction du glyphosate, cet herbicide prisé des agriculteurs mais classé cancérigène probable par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « au plus tard » en trois ans, la doctrine du gouvernement est désormais « de dire que nous devons sortir du glyphosate à chaque fois que cela est possible », rétropédalait Julien Denormandie auprès de L’Usine nouvelle en mars 2021. Les néonicotinoïdes, une famille d’insecticides interdite par la loi Biodiversité en 2018, ont finalement été ré-autorisés dans certains cas. Des dérogations contestées ont été accordées aux planteurs de betterave.

Un champ de betterave sucrière dans l’Oise. © Justine Guitton-Boussion/Reporterre

Des reculs successifs, derrière lesquels Générations futures croit reconnaître l’emprise du syndicat agricole majoritaire FNSEA. « Encore une fois, le gouvernement cède en faisant passer l’intérêt économique avant celui de l’environnement », déplore François Veillerette, porte-parole de l’association. Le militant note cependant au registre des bonnes nouvelles la reconnaissance du cancer de la prostate comme maladie professionnelle pouvant être liée à l’usage des pesticides.

Des repas végétariens à l’école… en fonction des moyens

En 2017, Emmanuel Macron promettait que, « d’ici 2022, 50 % des produits proposés par les cantines scolaires et les restaurants d’entreprise devront être bio, écologiques ou issus de circuits courts ». À cette date, le taux pour les produits bio dans la restauration collective n’atteint que 5,6 %. La faute à la crise sanitaire, mais aussi au manque de moyens déployés auprès des collectivités chargées de les instaurer. Seuls 50 millions d’euros ont été engagés par le plan de relance de 2020, là où les associations estiment nécessaire un investissement annuel de 350 millions.

Les militants notent cependant des avancées. « Les repas végétariens ont été entérinés, on est sorti de l’expérimentation pour les cantines scolaires », observe Cyrielle Denhartigh. Avec un bémol : là aussi, les fonds manquent. Conséquence : 41 % des collèges et 48 % des lycées ne proposent toujours pas un repas végétarien par semaine selon Greenpeace.

Le numérique comme seule réponse à l’insécurité alimentaire

Pixabay / CC / Herney Gómez

Pour assurer l’avenir de l’agriculture, le gouvernement a choisi la fuite en avant technologique, fondée sur trois piliers : « Le numérique, la robotique et la génétique », a expliqué le ministre de l’Agriculture. Pour la mener à bien, l’État finance via la Banque publique d’investissement (BPI) les levées de fonds des start-ups du secteur, et soutient les recherches agronomiques pour faire entrer le numérique dans les fermes. Les associations doutent que les solutions techniques soient suffisantes pour pallier l’insécurité alimentaire, et qu’elles ne bénéficient au contraire qu’aux acteurs industriels de l’agriculture.

La cellule Déméter surveille les militants

Fondée fin 2019 pour lutter contre les « atteintes au monde agricole », la cellule de gendarmerie Déméter a concentré ses efforts à l’encontre des militants antispécistes et écologistes critiques de l’agriculture industrielle. Cette collaboration étroite entre le ministère de l’Intérieur et la FNSEA est unilatéralement critiquée pour son « caractère odieux ». Nicolas Girod : « C’est intolérable qu’on mette des gendarmes au service d’un modèle agricole qui met en difficulté les paysans qui s’attaquent réellement au défi climatique ! »

Malgré la décision du tribunal administratif de Paris qui avait enjoint fin janvier à la cellule de mettre fin à la prévention des « actions de nature idéologique », Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, et Julien Denormandie, celui de l’Agriculture, ont renouvelé leur soutien à Déméter et fait appel de cette décision. « J’ai l’impression de retrouver les années Chirac, où le ministère de l’Agriculture faisait ce que la FNSEA lui soufflait, dit François Veillerette. On a une politique au service de la production industrielle, avec pour objectif de leur envoyer des signaux très forts à la veille des élections. »

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